Décentralisation: une proposition pour simplifier le millefeuille edit
La question de faire franchir une nouvelle étape à la décentralisation est aujourd’hui de nouveau posée. La création d’un statut de conseiller territorial, élu commun aux assemblées régionale et départementale, revient dans le débat public. Cette idée avait été lancée par Nicolas Sarkozy en 2009, avant d’être abandonnée par François Hollande en 2012. On pouvait justifier cet abandon en envisageant la suppression des départements, dont les compétences auraient été intégrées pour partie dans les régions et pour partie dans les intercommunalités. Mais cette clarification n’a pas eu lieu, bien au contraire, et les fusions de régions en 2016 ont changé les termes de l’équation. Il est donc légitime de reconsidérer la création du « conseiller territorial », et avec elle d’une architecture institutionnelle qui trouve enfin son équilibre.
Qu’est-ce qui a changé et justifierait de revenir à la proposition de 2009 ? Trois éléments principalement. Les fusions des régions (2016) ont conduit à des régions gigantesques par leur étendue, conduisant à une perte de proximité des élus régionaux, dont l’action est très mal connue des habitants. Deuxième élément, la réforme des conditions de l’élection des élus départementaux (2013) avait permis des cantons plus équilibrés dans leur taille, et surtout une réelle parité[1]. Troisième élément, depuis 2011 différentes réformes ont profondément modifié les compétences fiscales des différentes collectivités locales. Les deux collectivités qui sortent confortées de ce micmac fiscal généralisé sont les communes et les départements, en particulier après la disparition de la taxe d’habitation.
Aujourd’hui, nous cumulons à la fois une perte de proximité des régions, et une absence de clarification du millefeuille territorial. Quant aux collectivités qui devaient porter le nouvel acte de la décentralisation, elles peinent à convaincre. Beaucoup de critiques sont adressées à ces interco XXL, à ces régions démesurées, réalisées à marche forcée ! Elles sont sources de dépenses publiques supplémentaires, loin des économies envisagées, et sources de déficit démocratique accru.
Mais revenir sur ces découpages serait coûteux et inefficace pour l’action publique locale. La table rase est impossible, il faut partir de l’existant. Pour autant il est indispensable de clarifier les compétences, d’améliorer la visibilité pour nos concitoyens qui ne savent plus « qui fait quoi ». Comment faire ?
En partant de l’objectif d’une bonne compréhension de l’action publique par les citoyens, et en s’appuyant sur le principe de subsidiarité, on peut défendre aujourd’hui une vision différente de la décentralisation, structurée sur deux niveaux : commune et intercommunalité d’un côté, et département et région de l’autre.
Une nouvelle architecture institutionnelle
Dans cette nouvelle architecture institutionnelle, la région ne serait plus un échelon à part mais une structure interdépartementale. Elle garderait un rôle d’orientation stratégique, tout en devenant un véritable outil de coordination interdépartementale. Par exemple pour la formation : la carte des formations relèverait d’un choix régional tandis que le suivi des établissements relèverait des départements. Le principe de subsidiarité invite à ne confier aux vastes régions issues de la fusion que ce qui ne peut pas être géré au niveau du département. « Une mission, un responsable ».
Dans le même esprit, les intercommunalités mettraient en œuvre les politiques de réseau, les schémas de développement, et les grands équipements qui ne peuvent relever de la seule commune ; mais celle-ci, reconnue et appréciée des citoyens, doit pourtant rester l’échelon de base, de proximité qui gère tout ce qui peut l’être à son niveau.
Une même compétence ne doit pas pouvoir être gérée par ces deux niveaux : la culture, le sport devraient relever de l’échelon communal ou intercommunal, sans intervention de l’échelon départemental ou régional ! À l’inverse, la santé ou l’enseignement supérieur devraient relever exclusivement de l’échelon région / département.
Au sein des intercommunalités il convient d’avoir une plus grande souplesse dans la mise en œuvre des compétences partagées, ou permettre les regroupements infra-communautaires pour des projets qui dépassent l’échelle de la commune sans atteindre celui de l’intercommunalité : il faut que deux communes qui le souhaitent, au sein d’une intercommunalité, puissent se regrouper pour construire une piscine, ou une école.
La question de l’eau mérite un regard particulier car elle ne peut s’enfermer dans des limites administratives : la notion de bassin versant doit être confortée à partir des cellules de base que sont les communes plus que des intercommunalités ; trop de règlement sont figés dans des modélisations de bureau d’études qui créent par exemple des limites « linéaires » aux nappes phréatiques, ou des formes « octogonales » à des zones humides : l’État décentralisé doit permettre des adaptations concertées à l’esprit plus qu’à la lettre de la règle. L’eau potable qui vient de la montagne par gravitation ne se gère pas comme l’eau qu’il faut capter dans le sol : pourquoi organiser sur un modèle unique la gestion de l’eau potable ou de l’assainissement dans les territoires ?
Simplifier la désignation des représentants
Les modes d’élection seraient en correspondance. Le conseiller territorial serait l’équivalent du conseiller intercommunal. Chaque département désignerait un certain nombre de conseillers dans l’instance régionale comme chaque commune désigne un certain nombre de représentants dans l’instance intercommunale. Le conseiller territorial permettrait de faire du département le bras armé des régions dans les territoires et de rendre concrète et efficace une action concertée, par exemple en matière économique.
L’absence d'attribution de prime majoritaire n’assure pas de dégager une majorité stable dans les conseils régionaux, et le même problème se pose aujourd’hui au niveau intercommunal. Pour répondre à cette difficulté, on pourrait imaginer, lors des élections départementales ou communales, le rattachement des listes à des programmes régionaux ou intercommunaux.
Sur le plan de la fiscalité, le même principe pourrait être mis en œuvre avec une fiscalité assise sur le territoire, décidée par les communes et les départements tandis que les élus territoriaux ou intercommunaux fixeraient les contributions aux intercommunalités et régions.
La clarification institutionnelle proposée ici ne doit pas toutefois concerner que les collectivités locales, mais aussi l’organisation de l’Etat, dans ses rapports aux collectivités et dans son organisation dans les territoires.
Dans cette mécanique institutionnelle interviennent par exemple les agences qui se sont multipliées sans apporter une réelle clarification sur le « qui fait quoi ? » et qui apparaissent pour certaines comme des « collectivités locales » supplémentaires « autonomes », compliquant les mises au point des projets et leurs financements.
L’organisation de l’Etat dans les territoires est bien sûr concernée au travers du pouvoir du préfet, dans l’adaptation des normes réglementaires en fonction des réalités des territoires, ou pour dépasser les injonctions réglementaires contradictoires. L’Etat doit s’inscrire dans une logique de conseil plus que de contrôle des décisions des collectivités. Mais l’Etat doit aussi offrir une meilleure lisibilité de ses financements sur un horizon pluriannuel, au-delà des fluctuations annuelles des budgets nationaux ou des appels d’offres éphémères, ou encore de la multiplicité des dotations d’investissement.
Bien sûr, ces principes devraient être adaptés aux territoires car une réforme homogène ne peut pas répondre à l’ensemble des réalités géographiques, humaines, territoriales. Mais partout l’enjeu sera le même : accroître la lisibilité, la transparence des responsabilités des élus locaux, pour plus de responsabilités.
Dominique Gambier, ancien président de l’université de Rouen, est maire de Déville lès Rouen, vice-président de la Région de Haute Normandie de 1997 à 2015, ancien député de Seine Maritime.
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[1] Pour les élections départementales, depuis 2013 le mode de scrutin est binominal mixte majoritaire à deux tours. Chaque canton élit un binôme composé d’une femme et d’un homme.