Europe : sa politique climatique menace-t-elle sa compétitivité ? edit

26 janvier 2007

La Commission a présenté ses propositions de politique intégrée « climat et énergie» en vue d'une stratégie globale pour les émissions de gaz à effet de serre. En s'engageant sur la voie d'une discipline forte et contraignante, l'Europe ne risque-t-elle pas de voir sa marge compétitive s'éroder face à des concurrents qui n'auraient pas les mêmes exigences qu'elle ?

Bruxelles propose de limiter à moins de 2°C l’augmentation de température moyenne, par rapport à la situation préindustrielle. Cela imposerait au plan mondial de retrouver en 2050 un niveau d’émission inférieur de 30 à 50 % à celui de 1990, correspondant pour les pays industrialisés à la division par quatre de leurs émissions.

Le problème est que l’Union ne représente que 16% des émissions mondiales, et qu’elle ne peut évidemment atteindre l’objectif global du fait de sa seule action, même si elle ramenait ses émissions à zéro. Or le signal d’alarme est déjà tiré : en se lançant seule dans une politique ambitieuse, de type « Facteur 4 », l’Europe pourrait mettre en danger sa compétitivité industrielle, déjà menacée de toute part. Il faut donc trouver une issue au problème d’action collective qui confronte la lutte contre le changement climatique au « dilemme du prisonnier » : la coopération entre les Etats permettrait d’aboutir au meilleur résultat pour tous, mais si elle n’est garantie par aucune instance, alors mieux vaut ne pas risquer de s’avancer tout seul.

A ce dilemme, la Commission propose une solution simple mais peut-être innovante : un engagement unilatéral à réduire les émissions de 20% en 2020, par rapport à 1990, sur une tendance qui correspond déjà à une accélération par rapport au Protocole de Kyoto. Mais l’engagement européen pourrait aller au-delà, si un accord international permettait une trajectoire mondiale de stabilisation des concentrations à moins de 550 p.p.m.v. pour l’ensemble des gaz à effet de serre, ce qui constitue une autre manière d’exprimer l’objectif climatique de l’Europe.

En prenant de tels engagements, l’Europe met-elle en danger la compétitivité de son industrie, à court et à long terme ? Il est clair que la poursuite de cet objectif impose que tous les secteurs d’activité économique s’inscrivent rapidement sur de nouvelles trajectoires technologiques. Les innovations incrémentales, l’amélioration progressive de l’efficacité énergétique ne suffiront pas. Il faudra dans l’industrie mettre en œuvre des innovations radicales pour des technologies « très basses émissions », dans les transports combiner nouveaux véhicules et changements de comportement, dans l’habitat adopter les bâtiments « zéro énergie » et de nouvelles politiques d’urbanisme. Tout cela aura un coût, au moins dans la transition vers le nouveau paradigme de la société à bas profil carbone.

Dans cette transition, la menace vient des grands concurrents de l’économie mondialisée : les Etats-Unis, sortis en 2001 du Protocole de Kyoto, la Chine, l’Inde, le Brésil… qui malgré des déclarations témoignant de leur préoccupation sur ce sujet, affirment haut et clair que leur première priorité sera la poursuite de leur développement économique. La mise en œuvre du système européen des quotas pour la grande industrie et le secteur électrique (Emission Trading System) constitue déjà la première expérience de mise sous pression de l’industrie européenne dans un contexte de contrainte asymétrique. Son succès n’est pas encore garanti et pourtant l’avancée est réelle, y compris du point de vue de la prise en compte des intérêts des industriels. Sous la pression des industriels relayée par la DG Entreprises, il a en effet été décidé dès le début que les quotas seraient attribués gratuitement aux industriels. Cela fut essentiel pour limiter les transferts et les coûts supplémentaires, et donc pour obtenir le consentement des industriels européens.

On sait qu’à long terme, la raréfaction du pétrole et la contrainte Carbone ne pourront que se renforcer et que l’avantage compétitif ira bien aux industries ayant développé les technologies à très basses émissions. Mais il serait dramatique que l’industrie européenne disparaisse dans la compétition internationale, au moment-même où elle investit dans les technologies du futur. Il faut donc trouver un point d’équilibre qui permettrait de progresser dans la réduction des émissions sans imposer, dans la transition, un poids trop lourd aux industries exposées.

Cet équilibre est indispensable mais il faut aussi explorer d’autres moyens, en particulier l’instauration d’une taxe CO2 aux frontières de l’espace Kyoto. Cette idée a été étudiée en 2004 par Ismer et Neuhoff qui ont vérifié qu’elle n’était pas en contradiction avec les règles de l’OMC et qui ont exploré des modalités techniques de calcul. Elle a été reprise récemment par le gouvernement français mais ses modalités doivent être étudiées de manière approfondie. Il est clair cependant qu’elle peut être justifiée par la prise en compte des coûts supplémentaires imposés à l’industrie européenne. Il est clair également que si sa faisabilité était démontrée elle constituerait un puissant argument pour conduire les autres pays à rentrer dans l’ « espace Kyoto », celui des pays acceptant des objectifs d’émission quantitatifs. Avec ce nouveau facteur d’incitation à la participation, on pourrait alors sortir alors du dilemme du prisonnier évoqué plus haut.

La politique intégrée « climat et énergie» peut donc mettre l’Europe et son industrie sur la bonne voie, à trois conditions : que le signal imposé aux industriels soit crédible et durable pour leur permettre d’anticiper les contraintes ; que ces contraintes d’émission – quoique plus importantes au début – restent proportionnées aux efforts consentis par nos principaux partenaires économiques ; qu’un effort international, y compris sur la taxe CO2-frontière, conduise les autres pays industrialisés et les pays émergents à s’engager le plus rapidement possible sur des trajectoires d’émission avec objectifs quantitatifs.