Climat : l'Europe donne le cap edit

June 19, 2007

A Heiligendamm, les membres du G8 ont finalement indiqué qu'ils « considèreront avec attention les politiques entreprises par l'Europe, le Canada et le Japon, qui visent en particulier à réduire les émissions globales [de gaz à effet de serre] d'au moins 50 % en 2050 ». L'expression est laborieuse et l'objectif n'est pas présenté comme contraignant. Mais l'essentiel est là : le cap donné pour les prochaines négociations internationales sur le climat est la réduction de moitié des émissions à long terme. L'Europe semble donc avoir imposé sa norme climatique à une administration américaine hostile, jusqu'à il y a peu, à l'idée même d'un objectif chiffré. Le cap est donc donné, reste maintenant à le consolider, puis à mettre en accord les actions du court terme avec les objectifs du long terme.

 

Pour comprendre les origines et la portée de cette déclaration du G8, il faut rappeler comment la constitution au plan politique du régime climatique international s’est appuyée sur l’avancée des connaissances scientifiques, dans les quatre rapports du GIEC publiés depuis sa création en 1988. Dès 1992, la Conférence de Rio s’appuyait déjà sur le Premier Rapport d’évaluation (1990) pour construire l’institution fondatrice de la politique climatique mondiale : la Convention cadre des Nations Unies pour le changement climatique. Celle-ci est aujourd’hui signée et ratifiée par la quasi-totalité des pays du monde… dont les Etats-Unis. De même, le Protocole de Kyoto survient deux ans après la publication du Deuxième Rapport d’évaluation, qui confirme l’impact repérable des activités humaines sur le climat. Dans les années quatre-vingt-dix, la « communauté épistémique » du GIEC – spécialistes du climat, écologues et économistes – aura donc joué un rôle-clé dans la construction du problème du changement climatique au plan international.

L’élection de George Bush en 2001 – à l’issue d’un combat douteux avec Al Gore, l’un des artisans du Protocole de Kyoto – change la donne. Le Troisième Rapport d’évaluation du GIEC, paru dans ce contexte, ne se traduit donc par aucune avancée au plan politique. Suivent alors plusieurs années de latence, au cours desquels le dispositif Kyoto sera sur le point de s’effondrer.

Mais la Commission Européenne résistera, car elle a fait sienne la norme d’action initialement proposée par les américains durant l’ère Clinton : celle des objectifs quantitatifs contraignants, accompagnés des mécanismes de marchés des quotas. Fin 2004, la ratification du Protocole de Kyoto par un Vladimir Poutine soucieux de consolider la valeur économique de ses crédits carbone marque un tournant. Le Protocole entre alors en vigueur et au début 2005 le système européen des quotas d’émission pour l’industrie est mis en œuvre. En 2006, le rapport Stern, commandité par Gordon Brown, renouvelle la problématique en insistant sur les « coûts de la non-action » et renforce la volonté européenne de s’engager sur des objectifs ambitieux de réduction pour le long terme. En 2007 le Conseil européen du 9 mars s’engage à réduire de 20% les émissions de l’Union en 2020, mais avec l’option d’aller jusqu’à 30% de réduction si les autres pays s’engagent sur des efforts comparables.

Le quatrième rapport du GIEC confirme et précise le diagnostic : la contribution des activités humaines au changement climatique n’est plus en cause et pour la première fois la relation entre le niveau de stabilisation des concentrations et l’augmentation attendue des températures est décrite clairement. La logique européenne pour dégager les objectifs de la politique climatique se développe alors ainsi : premièrement, il est souhaitable de limiter l’augmentation de température moyenne à +2°C ; deuxièmement, il faut pour ce faire stabiliser les concentrations de GES à moins de 450 ppm (parties par millions) ; et troisièmement, cela impose de stabiliser les émissions mondiales avant 2020, puis de les faire décroître, afin de les ramener en 2050 à 50% de leur niveau de 1990. Ce raisonnement est le socle sur lequel Angela Merkel abordera le sommet de Heiligendamm, soutenue sur ces positions notamment par le gouvernement anglais et le nouveau Président français.

Comme dans d’autres domaines, la position de l’Administration Bush est au moment du sommet très affaiblie. Politiquement, le Congrès démocrate est plus favorable à des politiques actives, surtout tous les candidats sérieux à la présidence se sont prononcés pour une nouvelle politique climatique, avec des objectifs chiffrés. Par ailleurs, un large mouvement s’est développé ces dernières années pour engager des politiques locales ou sectorielles de réduction des émissions. Il résulte d’une multiplicité d’initiatives prises par des Etats fédérés, des grandes entreprises, des associations de citoyens : c’est clairement un mouvement « bottom-up », par la base, qui supplée à l’absence d’initiative du sommet. La pression interne est si forte que Georges Bush doit annoncer, peu avant le G8, que les Etats-Unis œuvreront, d’ici la fin 2008, à l’identification d’un objectif global d’émission à long terme.

Le grand succès d’Angela Merkel sera qu’apparaisse dans les conclusions du sommet, malgré les circonvolutions syntaxiques, le fameux « 50% de réduction en 2050 », soit l’objectif européen. Une borne est posée pour le long terme, qu’il ne sera pas aisé de déplacer dans le futur. Mais le cap sera difficile à tenir car il impose des transformations majeures pour le futur des systèmes, non seulement énergétiques, mais aussi économiques. Toutes les analyses convergent en effet pour indiquer qu’il faudra dans ce cas que les pays industrialisés réduisent en 2050 leurs émissions de 60 à 80% et que les pays émergents et en développement les ramènent à cette date vers leur niveau de 1990. La capacité collective à atteindre ou à se rapprocher de l’objectif des 50% en 2050 dépendra essentiellement de deux facteurs.

Il faut tout d’abord démontrer dans les pays industrialisés qu’un autre paradigme est mis en œuvre pour les flux d’énergie et de matières premières dans l’économie. En France, le Facteur 4 – ou la division par quatre des émissions en 2050 – est, rappelons-le, l’objectif officiel depuis Jean-Pierre Raffarin. Il est parfaitement cohérent avec celui du G8, mais il impose un développement massif des énergies renouvelables en plus du nucléaire et surtout, la diffusion accélérée des technologies, des bâtiments et des véhicules les moins émetteurs de GES. Il imposera en sus de profonds changements de comportement. Ce sera le défi majeur du nouveau Ministère de l’Environnement, du Développement et de l’Aménagement durable.

La négociation internationale pose un second défi, d’un autre ordre. D’abord, il faut faire en sorte que les Etats-Unis puissent s’engager sur une trajectoire convergente ; mais cela sera sans doute pour après les prochaines élections américaines. Ensuite, la vraie difficulté viendra du côté des pays émergents, qui rappellent constamment que la lutte contre le changement climatique ne doit pas remettre en cause leur développement économique. La préoccupation est légitime, mais il est clair que la réduction de 50% des émissions ne sera pas atteinte, et de loin, s’ils ne s’engagent pas eux-aussi dans des politiques actives de réduction des émissions. C’est pourquoi il est essentiel que les politiques menées au Nord deviennent très rapidement exemplaires.