Comment mieux gouverner la zone euro ? edit

15 octobre 2007

Le Conseil européen se réunit le 18 octobre à Lisbonne pour finaliser le projet de Traité simplifié. Mais une des questions qui se posent concerne la manière dont la zone euro doit être gouvernée, une zone prise entre les impératifs d’indépendance de la BCE et les impératifs politiques de l’Eurogroupe. C’est un sujet sur lequel la France s’est souvent distinguée mais sans jamais convaincre ses partenaires. Les idées, pourtant, ne manquent pas. En voici quelques-unes concernant la question de l’indépendance de la BCE. Un deuxième article présentera mercredi d’autres idées concernant le Pacte de stabilité et de croissance.

L’indépendance de la BCE est une bonne chose à quatre conditions : que la BCE soit redevable de ses actions ; que ses objectifs soient largement acceptés ; qu’il existe un dialogue ouvert entre la BCE et les gouvernements et que la BCE explique clairement ses décisions et les arguments qui les ont étayées.

Le Traité stipule que la BCE est responsable devant le Parlement européen, mais ce dernier est incapable d’exercer cette mission de contrôle a posteriori car le Traité ne lui donne aucun instrument pour sanctionner la BCE le cas échéant. De plus, avec 50 membres, la Commission des affaires économiques et monétaires, en charge de cette mission, est pléthorique. Ses membres sont politiquement divisés, ils n’ont chacun que peu de temps de parole et donc ne se préparent pas autant qu’il le faudrait pour pouvoir exercer une pression efficace sur la BCE. Ce déficit démocratique peut être atténué par la création d’une sous-commission chargée exclusivement du contrôle de la BCE.

Le Traité confie à la BCE la responsabilité première d’assurer la stabilité des prix, mais sans la définir. La BCE a préempté la question en se donnant une définition – un taux d’inflation proche de, mais inférieur à 2% – qu’elle utilise comme objectif central. Il est surprenant que cet objectif prix ne fasse pas l’objet d’une discussion approfondie. Cet objectif est bas en comparaison avec la pratique des autres pays développés, comme l’indique le tableau ci-dessous. On s’attendrait plutôt à un chiffre plus élevé dans la mesure où la zone euro est hétérogène et comprend des pays en rattrapage économique dont les prix augmentent nécessairement plus vite que dans la « veille Europe ». De plus, alors que les autres banques centrales entendent atteindre leurs objectifs chaque année, la BCE se donne le « moyen terme » pour y parvenir, ce qui réduit les contraintes qui pèsent sur elle pour rendre des comptes.

A l’exception de la Suisse et de la Suède – qui ont adopté l’approche de la BCE – le choix de l’objectif d’inflation est soit exercé par le ministre des Finances, soit le résultat d’un accord entre le ministre et la banque centrale. Cette approche respecte l’indépendance de la banque centrale, libre de choisir la manière dont elle s’acquitte de la mission qui lui est confiée, mais elle réaffirme le principe qu’en démocratie les choix fondamentaux sont le fait de gouvernement élus. Le Traité de Maastricht n’interdit pas aux gouvernements de la zone euro d’émettre leur propre définition de la stabilité des prix.

Enfin, dans la mesure où gouvernements et BCE tiennent chacun une branche du ciseau de la politique macroéconomique, il est souhaitable que les deux branches soient utilisées de manière coordonnée, sans remettre en cause les prérogatives de chacune des autorités. Et ce d’autant plus que la BCE est plus sensible à l’objectif d’inflation et les gouvernements sont plus préoccupés de croissance et d’emploi, l’objectif secondaire de la BCE.

Trois fois par mois, au moins, des contacts directs ont lieu : le président de la BCE assiste aux réunions mensuelles de l’Eurogroupe et, en retour, le président de l’Eurogroupe (M. Juncker) et le Commissaire pour les affaires économiques et financières (M. Almunia) assistent aux réunions du Conseil des gouverneurs de la BCE. De plus il existe un Comité économique et monétaire qui réunit régulièrement des représentants des pays membres, de la Commission et de la BCE. Les occasions de contacts entre BCE et autorités nationales et communautaires sont multiples.

Pourquoi, dans ces conditions, déplorer le manque de coordination ? Une raison est le caractère formel des contacts décrits ci-dessus. Il semble aussi que la BCE redoute de se retrouver en position de débattre, voire de négocier sa politique à venir, ce qu’elle considère comme une atteinte à son indépendance. De fait, après s’y être longtemps refusé, le président de la BCE a fini par accepter de rencontrer régulièrement de manière informelle le président de l’Eurogroupe. Rien n’empêche chaque ministre des Finances de rencontrer, également de manière informelle, le gouverneur de la Banque centrale nationale, ce qui est le cas dans de nombreux pays. La question de l’absence de dialogue est donc un faux problème.

Dans ces conditions plusieurs changements sont désirables.

1. L’Eurogroupe doit donner sa définition de la stabilité des prix. Il pourrait choisir 2% ±1%, comme la plupart des autres pays, voire un niveau légèrement plus élevé pour reconnaître que l’inflation est structurellement plus élevée dans les nouveaux pays membres en rattrapage économique.

2. Inscrire dans le débat public la stratégie de politique monétaire en adoptant le ciblage d’inflation, stratégie adoptée par un nombre grandissant de banques centrales – la Fed pourrait y venir dans un proche horizon.

3. Plus de transparence de la BCE : publication des minutes des réunions du Conseil des gouverneurs et des votes, sans mentionner de noms.

4. Réduire la taille du comité qui prend les décisions. Le Conseil des gouverneurs comprend aujourd’hui 19 membres, ils seront 21 l’an prochain, puis 25 un peu plus tard. Ce nombre est trop élevé pour permettre un véritable débat. De fait les décisions sont « préparées » par le Conseil d’administration dans la plus grande opacité. Il serait préférable d’officialiser cette pratique ; il suffirait que le Conseil des gouverneurs délègue cette tâche au Conseil d’administration. Un tel changement ne nécessite pas de modification des traités.

5. Chaque gouvernement devrait dialoguer informellement avec le gouverneur de sa banque centrale. Ce dialogue pourrait concerner tous les sujets d’intérêt communs, y compris l’évolution du taux de change, dont le statut est ambigu dans le Traité.

6. Les nominations au Conseil d’administration de la BCE doivent se faire de manière transparente et concurrentielle et sans critère de nationalité. La BCE se distingue des autres grandes banques centrales par le fait que ses dirigeants sont tous issus soit de banques centrales soit de la haute administration.