TVA sociale ou dévaluation fiscale ? edit

11 janvier 2012

La « TVA sociale » est de nouveau d'actualité. Le principe est simple : il s’agit de transférer quelques points de cotisations sociales (employeurs et/ou employés) vers la TVA ; d’abaisser le coût du travail et de reporter la charge fiscale sur la consommation. Le but est triple : stimuler l’emploi par une baisse des charges sociales ; redresser le solde commercial en améliorant la compétitivité-prix de nos exportations (soumises à la TVA de nos partenaires) tout en taxant pleinement nos importations (soumises à notre TVA) ; améliorer l’efficacité de notre économie en nous appuyant davantage sur un impôt réputé peu distorsif.

A l’étranger, on ne parle pas de TVA sociale mais de dévaluation fiscale. En effet, les effets d’une TVA sociale sont à bien des égards proches de ceux d’une dévaluation monétaire – instrument qui n’est plus disponible en union monétaire : le prix des biens importés augmente, tandis que celui des biens produits sur le territoire reste inchangé si la baisse du coût du travail est intégralement répercutée sur les prix hors taxes. Comme pour une dévaluation monétaire, on s’attend alors à deux effets contraires : (1) une substitution de la demande en faveur des biens produits sur le territoire français, dont le prix diminue par rapport aux biens importés ; (2) une baisse de la consommation en raison de la chute du pouvoir d’achat. Si le premier effet domine, alors les entreprises françaises bénéficieront d’un surcroît de demande. Du côté des finances publiques, la mesure est proche de la neutralité : l’assiette fiscale de la TVA (la consommation des ménages) et celle des cotisations sociales (la masse salariale) représentent l’une et l’autre environ 1000 milliards d’euros (comptes nationaux 2010). Enfin – et c’est un argument de poids en période de crise – l’annonce à l’avance de la hausse de la TVA pourrait stimuler un temps la consommation (avant que les prix n’augmentent), comme cela s’est produit en Allemagne en 2007. Alors, la TVA sociale est-elle la solution miracle ? Sans doute pas, pour plusieurs raisons.

Premièrement, les marges de hausse du taux standard de TVA, actuellement à 19,6% en France, ne sont pas très importantes. Les taux les plus élevés en Europe sont à 25% mais le taux allemand est à 19%. Au total, il est difficile d’envisager une hausse du taux standard français de plus de 3 points. Les dévaluations monétaires sont généralement bien plus importantes – de l’ordre de 10-20%. C’est cet argument qui a finalement fait renoncer le Portugal : beaucoup de tracas pour un maigre résultat.

Deuxièmement, un certain nombre de secteurs ne sont pas assujettis à la TVA. Il s’agit en particulier des services de logement et des services financiers. Les premiers n’utilisant que très peu de main d’œuvre, la mesure serait neutre. Mais les seconds bénéficieraient de la baisse des cotisations sociales sans souffrir de la hausse de la TVA. Souhaite-t-on aujourd’hui exonérer les services financiers de l’effort fiscal ? Symétriquement, certains revenus – revenus du capital, minima sociaux – ne seront pas affectés par la baisse des cotisations sociales mais verront leur pouvoir d’achat diminuer suite à la hausse de TVA. Les transferts aux ménages sont pour la plupart indexés sur l’inflation (retraites, etc.), et il sera difficile politiquement de ne pas maintenir le pouvoir d’achat de ceux qui ne le sont pas (minimas sociaux). La TVA sociale conduit donc à un alourdissement de la charge fiscale des inactifs.

Troisièmement, une baisse uniforme de cotisations sociales aurait un impact différent selon les secteurs (voir Carton et al. 2007). Dans les secteurs intensifs en main d’œuvre non-qualifiée, la baisse des cotisations sociales se répercuterait dans le coût du travail avec un impact vraisemblablement positif sur l’emploi. Par contre, dans les secteurs intensifs en main d’œuvre qualifiée – qui sont aussi les secteurs exportateurs -, il est vraisemblable que la mesure ferait augmenter les salaires, avec un impact mitigé sur la compétitivité. Cette différenciation entre secteurs serait encore plus marquée sous l’hypothèse d’une baisse de charges concentrée sur les bas salaires.

Quatrièmement, les fournisseurs étrangers ne resteraient pas inertes face à la hausse de la TVA en France. Andrade et al. (2011) ont montré que face à une hausse de TVA dans un pays, les fournisseurs étrangers avaient tendance à comprimer leurs prix hors taxes pour maintenir leurs marchés. C’est un moyen de faire contribuer nos fournisseurs au redressement de nos finances publiques, mais ce mécanisme amoindrit l’impact attendu d’une TVA sociale sur la balance commerciale. A l’inverse, il n’est pas évident que les entreprises françaises répercutent intégralement la baisse du coût du travail dans leurs prix. On sait par exemple que les marges des entreprises françaises ont eu tendance à baisser ces dernières années. Dès lors, la tentation est forte de redresser les marges, ce qui annulerait l’effet bénéfique de la mesure sur la compétitivité prix.

Cinquièmement, les effets d’une TVA sociale sur le coût du travail ne peuvent être permanents sans que les travailleurs ne subissent des pertes durables de pouvoir d’achat. En période de chômage élevé, on peut s’attendre à une indexation incomplète des salaires sur les prix à la consommation. Mais il sera difficile politiquement de ne pas relever le salaire minimum en proportion des prix à la consommation. A terme, les entreprises verseront en salaires ce qu’elles auront économisé en cotisations sociales. La TVA est neutre à long terme pour le coût du travail et pour la compétitivité. En cela, une dévaluation fiscale n’est pas différente d’une dévaluation monétaire.

Au total, on peut être favorable par principe à un transfert fiscal d’une partie des cotisations sociales vers un impôt – la TVA – peu distorsif sur le plan économique, c’est-à-dire ayant particulièrement peu d’impact sur les prix relatifs dans l’économie. En période de crise, la TVA sociale peut aussi apporter des gains substantiels en termes d’emploi et même, si elle est annoncée à l’avance, en termes de consommation. Mais il ne faut pas en attendre beaucoup pour redresser le solde commercial français. Dans tous les cas, il existe un arbitrage clair entre compétitivité et pouvoir d’achat. Cet arbitrage est plus apparent que dans le cas d’une dévaluation monétaire qui, elle aussi, n’améliore la compétitivité que si elle affaiblit le pouvoir d’achat des ménages.