La monnaie fiscale est une illusion, pas une solution. Réponse au Group of Fiscal Money edit

23 mai 2018

Dans un article paru sur Telos, quatre économistes italiens qui s'appellent eux-mêmes Group of Fiscal Money (GFM) s'oppose à l’analyse de la monnaie fiscale proposée dans mon article « La dimension Frankenstein du risque politique italien ». Ils affirment que les certificats de crédit d'impôt (sigle italien CCF), qui sont des actifs fiscaux, n'augmenteraient pas le déficit de l'État italien et contribueraient même à réduire la charge de la dette. Je ne suis pas convaincu par leur argumentation et je continue de croire que les CCF finiront par augmenter le fardeau de la dette publique italienne. Voici pourquoi.

La proposition du GFM est que le gouvernement devrait émettre des montants très importants (un document précédent (1) mentionnait 200 milliards d'euros, soit 11,5% du PIB italien) de certificats de crédit d'impôt – permettant à leurs détenteurs de bénéficier d'une réduction d'impôt après deux ans – et les distribuer gratuitement à la population en général, aux particuliers et aux entreprises, qui seraient encouragés à les utiliser comme moyen d'échange. En clair, le bénéfice d'une future réduction d'impôt ponctuelle serait immédiatement distribué à la population (et pas seulement aux contribuables) sous la forme d'un certificat échangeable libellé en euros. Selon la théorie, les entités qui ne paient pas d'impôt vendraient leurs parts du FCC aux contribuables avant le rachat.

Les auteurs du GFM soutiennent à juste titre que, du point de vue de la comptabilité nationale, ces primes seraient considérées comme des « actifs d’impôts différés non remboursables » et, en tant que tels, ils ne creuseraient pas immédiatement le déficit budgétaire. Pourtant, puisqu'il s'agit de crédits d'impôt, ils se traduiraient par une baisse des recettes fiscales au moment de leur exercice. Si l'histoire se terminait ici, le déficit budgétaire de l'Italie monterait en flèche deux ans après l'émission, ce qui se traduirait par une dette plus élevée. Les auteurs du GFM soutiennent que, par l’effet du multiplicateur budgétaire, des rentrées fiscales plus élevées, permises par une croissance plus rapide, compenseraient l'impact des réductions d'impôt. Si cette possibilité ne peut être exclue, il semble pour le moins téméraire de construire une stratégie fiscale sur des estimations de multiplicateur budgétaire qui sont très incertaines. Par exemple, un examen approfondi des multiplicateurs budgétaires mené par les chercheurs de la BCE, en utilisant les données des banques centrales nationales, y compris la Banque d'Italie, suggère que les multiplicateurs à court terme associés aux réductions d'impôts sont nettement inférieurs à 1 pour l'Italie (2). Il existe donc un risque important qu'en cas de rachat, le déficit budgétaire italien augmente de manière très significative et, avec lui, la dette publique.

Il existe néanmoins une échappatoire, ce qui est encore plus inquiétant que le scénario ponctuel selon lequel les CCF seraient émis une fois pour toutes. Dans leur précédent article, les auteurs du GFM font allusion à une émission annuelle de 200 milliards d'euros, ouvrant la porte à une émission renouvelable de certificats de crédit d'impôt. Sur une base consolidée, les contribuables italiens, qu'il s'agisse de particuliers ou de sociétés, bénéficieraient d'une réduction d'impôt permanente, un tour de passe-passe réalisé par les nouvelles générations de CCF, et non par une réforme du code fiscal. On peut se demander si les autorités statistiques continueraient à considérer ces crédits d'impôt comme des « actifs d’impôts différés non remboursables », une fois qu'ils seraient devenus permanents. Si tel était le cas, les autorités statistiques auraient donné leur bénédiction à une nouvelle version du mouvement perpétuel dont rêvent les scientifiques amateurs, ignorant la deuxième loi de la thermodynamique. Dans le monde réel, cela ne se produirait pas, parce que les réductions d'impôt qui ne sont pas assorties de réductions de dépenses se résument à des déficits plus élevés et donc à une dette plus élevée et qu'il n'y a pas d'astuce statistique pour échapper à cette réalité.

Enfin, je suis d'accord avec les auteurs du GFM pour dire que l'Italie a besoin d'une marge de manœuvre budgétaire pour combler l'important écart de production accumulé depuis 2008. Contrairement à d'autres pays de la zone euro frappés par la crise de l'euro en 2010-2011 (Espagne, Portugal, Irlande et Grèce), l'Italie n'a pas de dette extérieure significative, ce qui signifie que la dette est un problème entre le secteur privé (ménages et entreprises), qui a très peu de levier, et leur État, qui est surendetté. Par conséquent, la priorité absolue des décideurs politiques italiens devrait être la restructuration et la recapitalisation du système bancaire, afin que le crédit circule à nouveau dans l'économie et stimule la production. Pour réaliser cette transformation, l'Italie doit négocier une plus grande marge de manœuvre budgétaire avec la Commission européenne et les partenaires de l'Italie doivent soutenir cette stratégie. Sous la condition essentielle que les banques soient véritablement restructurées, ce qui peut avoir des inconvénients politiques, et que les mauvais actifs soient transférés à une structure publique de défaisance, de nouveaux prêts bancaires aux consommateurs et aux entreprises rentables donneraient un coup de pouce décisif à une économie italienne encore faible. Ce serait, je crois, une façon beaucoup plus sûre de naviguer vers le plein emploi que la décision imprudente d'émettre de la « monnaie fiscale ».

(1) ‘Free fiscal money: exiting austerity without breaking up the euro’, White Paper by Biagio Bossone, Marco Cattaneo, Luciano Gallino, Enrico Grazzini and Stefano Sylos Labini, 2015.

(2) ‘Comparing fiscal multipliers across models and countries in Europe’, Juha Kilponen and alii, ECB Working Paper Series No 1760 / March 2015. See tables p. 33-34 for instance.