Macron et l’Europe edit

6 septembre 2017

Le candidat Macron avait bien travaillé sa copie dans de nombreux domaines. Il avait analysé la question, il s’était bien entouré et il avait formulé des projets solides, n’hésitant pas à sortir des chemins trop fréquentés depuis trop longtemps. Sur l’Europe, en revanche, ses prises de position publiques reflètent les poncifs hexagonaux les plus traditionnels, mille fois répétés et mille fois ignorés par la plupart de nos partenaires. Fort de son prestige gagné en défendant une ligne pro-Europe que tous les autres candidats ont soigneusement évitée de peur de faire fuir un électorat eurosceptique, le président Macron sera écouté plus attentivement dans les capitales européennes, mais le risque est grand que ce ne soit une occasion perdue pour faire des progrès. Tout le défi est de définir des propositions maintenant, alors qu’il commence à être pris dans la nasse de l’Élysée, avec sa pression quotidienne et une raréfaction des contacts créatifs.

Faisant ses premiers pas sur la scène européenne, Macron a repris les positions traditionnelles de la France : un gouvernement économique de la zone euro ou, au minimum, un ministre des Finances, une harmonisation fiscale, un Parlement de la zone euro sous une forme ou une autre et, partiellement au moins, une politique sociale commune. Politiquement, ce n’est pas dénué de bon sens. Entre les Italiens qui veulent partager leur détresse budgétaire (dette publique et dépenses) et les Allemands qui ne veulent pas payer pour les cigales impécunieuses, la France occupe ainsi le terrain médian. L’idée d’un grand compromis est alléchante. Économiquement, cependant, les choses sont beaucoup moins évidentes.

Par exemple, que ferait un ministre des Finances de la zone euro ? Le pouvoir d’un ministre des Finances tient aux ressources dont il dispose grâce aux impôts qu’il lève, aux dépenses qu’il contrôle et à sa capacité de contracter des emprunts en cas de besoin. Cela suppose donc que les États membres transfèrent une partie de leurs prérogatives budgétaires, dépouillant ainsi leur propre gouvernement et leur parlement. Aujourd’hui, un embryon de budget commun existe, celui de la Commission, mais il est bloqué à 1% du PIB et la Commission ne peut ni lever des impôts, ni emprunter. De quelles sommes parlons-nous, donc ? S’il s’agit d’un montant égal à celui de la Commission, ce qui serait déjà énorme, on reste dans le domaine du gadget. De plus, la rationalité des dépenses de la Commission ne cesse d’être critiquée depuis des lustres : saupoudrage, compromis politiques aux relents clientélistes et inefficacité. Pour aller au-delà, il faudrait une légitimité démocratique, et donc un Parlement élu sur ces questions, ce qui est malheureusement utopique par les temps qui courent. Certes l’élection de Macron signale peut-être un reflux des anti-Européens en pleine ascension jusque-là, mais elle témoigne plus du ras-le-bol d’une opinion publique exaspérée par les partis politiques traditionnels que d’un enthousiasme redécouvert pour la construction européenne. Surtout, les objectifs d’un tel budget restent vagues et, lorsqu’ils existent comme en matière de protection des frontières, de lutte contre le terrorisme ou de recherche scientifique, ils peuvent être poursuivis sans ministre des Finances et même sans ressources propres.

En réalité, ces propositions reposent sur deux idées fausses. La première est que l’Europe doit être relancée par plus d’actions communes. Il s’agit de prouver aux citoyens que l’Europe peut être bonne, protectrice dans le langage macronien. Que nos frontières et nos chômeurs soient mieux protégées par l’Europe, c’est incontestablement une belle image, mais cette image est largement illusoire. Macron lui-même a douché les espoirs italiens de coopération sur la question des réfugiés pour la simple raison, bonne ou mauvaise, que l’intérêt de la France est de ne pas devoir accueillir les malheureux qui ont traversé la Méditerranée, même s’ils sont nombreux à être francophones. Quant aux allocations de chômage partiellement communes, non seulement elles ne feraient rien de plus que ce qui existe déjà, mais la meilleure solution est de réduire massivement le chômage, ce à quoi Macron s’attaque d’ailleurs sérieusement.

« Plus d’Europe » est une idée qui manque désespérément d’imagination. Les pro-Européens, dont je fais partie avec un enthousiasme intact, ont la nostalgie des grandes décisions intégrationnistes (Traité de Rome, marché unique, mobilité des personnes et Schengen, monnaie commune, etc.) qui ont fait l’Europe. Ils n’imaginent pas d’autres voies pour montrer au peuple que l’Europe est utile, voire désirable. Ce faisant, ils ignorent que l’intégration est soumise à des rendements décroissants face à des coûts politiques et économiques qui augmentent, tout comme il est de plus en difficile de ramasser des fruits une fois cueillis ceux qui poussent sur les branches basses les plus atteignables. Ce manque d’imagination concerne aussi la zone euro. C’est une expérimentation unique, qui va à l’encontre de ce qui s’est fait ailleurs où l’unification politique a précédé l’unification monétaire. Face aux multiples limitations de la monnaie unique, le plus facile serait bien sûr de réaliser plus d’unification politique, par exemple en avançant vers un budget commun. Malheureusement, c’est utopique pour l’instant. Après tout, Le Pen et Mélenchon ont rassemblé près de 40% de l’électorat, Si on ajoute ceux qui ont voté pour les petits candidats et des franges importantes qui se sont porté sur Macron, Fillon ou Hamon, on est à 50% ou plus. N’oublions pas le référendum de 2005 ! Il faut alors imaginer une autre approche, ce qui est bien plus difficile, mais la paresse intellectuelle n’est pas une raison de ne pas y réfléchir. C’est ce que l’on est en droit d’attendre de Macron.

L’autre fausse idée est que l’Europe peut être rendue plus attractive par plus de centralisation et donc plus de gouvernement européen. La pensée jacobine est tellement prégnante en France que beaucoup considèrent cette idée comme évidente. Ce n’est pas ce que pensent beaucoup d’électeurs, ni en Allemagne fortement méfiante à l’égard des gouvernements, ni en Grande-Bretagne comme on s’en est rendu compte bien trop tard, ni même en France où le pouvoir de « Bruxelles » est aisément vilipendé. Créer un gouvernement, un ministre ou un parlement de plus apparaîtra plus comme une manœuvre technocratique que comme un souffle d’air frais.

Que faire, alors ? Ce qui serait vraiment utile serait de réparer ce qui ne marche pas et qui crée l’hostilité. C’est moins glamour qu’une improbable initiative audacieuse, mais plus prometteur. D’abord parce qu’une Europe moins dysfonctionnelle provoquera moins de réactions négatives. Ensuite parce qu’un meilleur fonctionnement des institutions améliorera la performance de l’UE, au profit de tout le monde. Enfin parce que cela réduira le célèbre déficit démocratique en montrant que l’on a écouté les plaintes des citoyens. 

La liste des réparations souhaitables est longue. Chacun a sa petite liste. Quelques idées parmi beaucoup d’autres :

. La bureaucratie bruxelloise agace tout le monde. À y regarder de près, on trouve toujours des justifications à la myriade de règlements et directives qui sédimentent depuis des décennies. Mais chaque mesure a un coût, parfois économique, parfois politique, souvent les deux. Comparer les coûts et les bénéfices, en cessant de se laisser paralyser par la fatidique expression des « acquis communautaires » supposés être intangibles, est un bon point de départ pour faire le tri.

. Les dépenses de la Commission sont loin d’être efficaces. Elles se concentrent sur deux domaines hautement controversés : les aides régionales et la Politique Agricole Commune (PAC). Les aides régionales sont plus destinées à acheter un soutien politique qu’à effacer les disparités ou accélérer la croissance. Des quantités d’études sérieuses montrent qu’elles n’atteignent pas leurs objectifs. Quant à la PAC, comme toute subvention, elle devrait être temporaire afin de ne pas créer une dépendance. Ces politiques ne cessent de nourrir un ressentiment entre les pays qui en bénéficient le plus, dont les pays de l’Est pour les aides régionales et la France pour la PAC, et ceux qui payent. Abandonner la PAC et laisser les pays qui y tiennent le faire par eux-mêmes est une idée qui mérite réflexion.

. L’imposition des politiques d’austérité durant la période 2010-2012 a provoqué une rechute de la croissance. Comment une telle erreur a-t-elle pu être commise et perdurer ? On touche là à toute une série de dysfonctionnements graves. Que ce soit le Pacte de Stabilité (renforcé depuis lors), l’incompréhensible prépondérance des vues allemandes, la faiblesse endémique du Parlement européen, le champ des réformes est vaste.

. De nombreux pays ont émergé de la crise avec des dettes publiques suffocantes. On ne s’en pas compte aujourd’hui parce que les taux d’intérêts sont proches de zéro, mais cela ne va pas durer. Quand les taux remonteront, le problème risque d’émerger brutalement. Des solutions existent, mais on n’en parle pas parce que c’est un sujet qui fâche.

. L’Union bancaire est encore un chantier inachevé. Il manque un fonds pour intervenir en cas de détresse bancaire et une fusion fonctionnelle des autorités de supervision et de résolution.

Macron peut piocher en fonction de ses préférences et des chances de succès. Ce qui plaît à Paris ne suscite pas nécessairement l’adhésion ailleurs ; il est donc nécessaire de sortir des débats hexagonaux. Ça tombe bien, Macron a commencé à le tour des capitales européennes, il pourrait en revenir avec une liste des courses.