Financer la transition climatique: retour sur le rapport Pisani-Mahfouz edit
En rédigeant un rapport sur la transition climatique, Jean Pisani-Ferry et Selma Mahfouz ont fait œuvre utile. D’abord parce qu’ils entendent fonder en théorie une nouvelle macroéconomie du climat. Leur conviction, solidement étayée, est qu’il faut repenser la croissance, l’investissement et la consommation dans le nouveau contexte, ce n’est rien de moins qu’une nouvelle révolution industrielle qui se dessine sous nos yeux. Ensuite parce qu’ils se livrent à l’exercice ardu de la quantification. Secteur par secteur, ils évoquent la facture budgétaire qu’ils évaluent pour un certain nombre d’années à environ 35 milliards€, en complément des dépenses privées d’un montant équivalent. Cette facture comprend des dépenses dont la charge incombe aux administrations publiques (rénovation de bâtiments publics, …), au soutien aux ménages et aux PME et au soutien aux investissements privés afin qu’ils atteignent le seuil de rentabilité. S’il peut bien sûr faire l’objet de débats et discussions, ce chiffrage est solidement étayé par des travaux approfondis et parait réaliste. Enfin ils s’aventurent sur le terrain plus politique du financement de cette transition climatique. Mais on s’étonne ici des propositions avancées pour financer cette facture, qui relèvent d’une culture française bien ancrée qui se manifeste par les réflexes pavloviens récurrents préconisant l’alourdissement de la dette publique et de la taxation. Nulle originalité, nulle novation, comme si la transition climatique pouvait être réglée avec les outils classiques du « tax and spend », appliqués aux plus riches, bien sûr.
La dette et la taxe sont les seules voies envisagées pour financer le coût pour l’État.
Un financement par un redéploiement des dépenses publiques est écarté, au motif qu’il serait politiquement difficile. Il l’est, sans doute ; mais depuis des décennies, et quel que soient les sujets, le coût politique d’un tel redéploiement amène systématiquement à l’écarter, alors que d’autres pays avancés y sont parvenus. En conséquence de quoi la France est désormais, des 38 pays de l’OCDE, celui où la dépense publique exprimée en pourcentage du PIB est la plus élevée. Et l’un des cinq pays de la zone euro où la dette publique (également exprimée en pourcentage du PIB) est la plus élevée, malgré un taux de prélèvement obligatoire qui est, avec celui du Danemark, le plus fort au sein de l’OCDE… Plutôt que préconiser un débat public sensibilisant la population aux questions climatiques et à un indispensable redéploiement de la dépense publique, nos deux auteurs préconisent donc le renforcement de l’exception française : plus de dépenses et de dette publique (pour plus de 80% du surcroît de dépenses) et plus de taxes (pour moins de 20 %).
Les arguments avancés pour une telle préconisation laissent pantois.
Sur la dette, d’abord. L’argument est résumé dans un article récent de l’un des deux auteurs : « puisque l’investissement dans la rénovation des bâtiments publics est porteur d’économie à venir sur la consommation de combustibles fossiles, pourquoi ne pas construire pour le financer un instrument propre ? Ce serait plus légitime que de recourir à la dette pour financer des dépenses courantes, comme nous l’avons fait depuis des années ». On se demande alors pourquoi un tel raisonnement n’est pas élargi à bien d’autres dépenses. Ainsi, concernant l’éducation, si une réforme d’ampleur mais très coûteuse est engagée, puisque qu’elle aurait des effets favorables sur la croissance et donc les rentrées fiscales à moyen et long terme, pourquoi ne pas construire pour la financer un instrument propre ? Et on n’a pas besoin d’une imagination débridée pour élargir un tel raisonnement aux dépenses de soutien à la recherche (par exemple le CIR), voire aux dépenses de défense nationale, ou de santé … Au moyen d’un étiquetage savant, on aiderait les marchés financiers à bien distinguer, au sein d’une dette publique française excessive, les bons titres de dette finançant des dépenses d’investissement prometteurs pour l’avenir et les mauvais titres finançant des dépenses courantes excessives. Peu importe que le risque de défaut concernerait la dette publique, quel que soit son étiquetage. On retrouve ici une démonstration de l’ingéniosité française déployée depuis des décennies pour justifier des finances publiques constamment dégradées et des retours à l’équilibre toujours promis pour demain ou après demain. C’est toujours pour de bonnes raisons et du fait de dépenses porteuses de croissance et d’économies à venir que la France aligne les déficits, promettant que demain tout s’améliorera spontanément. La difficulté à convaincre les marchés par une astuce éternellement renouvelée serait donc moins forte qu’un redéploiement des dépenses publiques… Alors qu’on ne cesse de mettre en cause l’inefficacité de la dépense publique quand les prélèvements croissent et que les services publics se dégradent, nos auteurs ne voient de solutions que dans le dépenser plus et le fléchage de la dette.
Sur la taxe, ensuite. Il s’agirait d’un pourcentage appliqué sur le patrimoine financier de l’année 2023, dont les ménages pourraient s’acquitter en une fois ou de façon étalée dans le temps. Curieusement, nos auteurs nous disent que « cela n’a évidemment rien à voir avec un ISF vert », alors que l’assiette de ce prélèvement et la destination des ressources ainsi prélevées nous indiquent qu’il s’agit exactement de cela. Les conséquences négatives d’un retour de l’ISF sont rapidement écartées, car « pourvu que l’engagement à un prélèvement non récurrent soit crédible, cette option n’aurait pas d’effets négatifs sur les comportements d’investissement ». À quel titre un prélèvement annoncé et qui pourrait être étalé dans le temps n’aurait pas d’effets négatifs sur les comportements ? Ce n’est pas dit. Et comment la France qui a jusqu’ici toujours fait preuve d’une grande agilité pour faire le grand écart entre les engagements financiers sur le futur et leur réalisation, qui pourrait garantir que ce prélèvement ne serait pas récurrent ? Ici encore, rien n’est dit. Les leçons du passé auraient dû instruire nos auteurs : notre fiscalité est pleine de mesures temporaires non récurrentes et qui se sont installées dans notre paysage fiscal. Faut-il rappeler la surtaxe Fillon, la CRDS sans cesse prolongée ou plus loin de nous le prélèvement Barre ? Et peu importe que, parmi tous les pays européens, la France demeure avec le Luxembourg l’un des deux pays où la fiscalité du capital est déjà la plus lourde. Peu importe si les analyses disponibles sur les effets de la réforme de l’imposition du capital introduite en 2018 suggèrent qu’en ce domaine nous faisons face à des effets Laffer : plus de taxes réduit le rendement fiscal de la taxation. Nous renvoyons ici le lecteur à un de nos précédents billets Telos.
D’autres voies de financement seraient pourtant plus pertinentes.
Les sources de financement des dépenses climatiques demandent à être plus sérieusement explorées. Différentes pistes sont envisageables. À long terme, la principale source de financement sera la hausse des taux d’emplois particulièrement bas en France, le gain en croissance ainsi obtenu étant source de fortes recettes fiscales spontanées (voir à ce sujet notre précédent billet Telos). À moyen mais aussi à court terme, le redéploiement des finances publiques vers le financement climatique est indispensable. Enfin, sur ces deux horizons, une taxe carbone serait utile. Taxe ? Pourquoi celle-ci serait-elle légitime alors qu’un ISF vert ne le serait pas ? Pour la simple raison, maintes fois avancée, que nous sommes ici face à une logique pigouvienne : l’émission de carbone produit des externalités et à ce titre devrait être taxée en rapport avec ces externalités. Et le produit de cette taxe pourrait à la fois financer la transition climatique et être en partie mobilisé sous forme redistributive pour neutraliser ses effets spontanément anti-redistributifs. Une autre piste qui mériterait d’être étudiée est celle proposée par Philippe Aghion, d’une approche européenne basée sur un endettement adossé sur les recettes d’ETS et sur une taxe carbone européenne. Il y a urgence à analyser ces pistes.
Au total, ce n’est pas faire injure à nos auteurs que de relever que l’accueil fait à leur rapport a presqu’exclusivement porté sur leur taxation des riches avec le nouvel ISF vert, ruinant l’effort louable de pédagogie qu’ils avaient amorcé. Une fois le débat débarrassé du fiscalisme punitif qui occupe le devant de la scène, peut-être reviendrons-nous aux enjeux de substance sur le financement de la transition climatique.
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