Fiscalité du capital: l’ajustement n’est pas terminé edit

9 novembre 2022

Écoutez la rumeur publique, celle qui sourd dans les débats et à travers les colonnes de la presse : il n’est d’autre priorité que de taxer les riches, de revenir sur les funestes réformes de 2018 sur la taxation du capital et de renforcer l’exit tax pour rendre dissuasive la migration fiscale. Même le ministre des Finances, choqué par les superdividendes versés par l’un et les surprofits accumulés par les autres, répond en invoquant le dividende salarié et la super-participation. L’évidence empirique ne fait rien à l’affaire, même chez les députés de la majorité : l’enrichissement sans cause auquel on assimile le revenu du capital doit être enfin éliminé par une fiscalité confiscatoire. Face à cette conviction si largement partagée les arguments de fait n’ont guère prise, même si année après année, rapport après rapport, les faits qui invalident cette doxa sont établis.

Le Comité d’évaluation des réformes de la fiscalité du capital, mis en place après les réformes de cette fiscalité introduites en 2018, a déjà produit trois rapports, en 2019, 2020 et 2021, dont nous avons déjà rendu compte dans Telos (voir par exemple ce billet). Avant un prochain rapport attendu pour la fin 2023, une actualisation de plusieurs des enseignements de ces précédents rapports a été récemment publiée par France Stratégie (voir ici cette actualisation). Quelques résultats de cette actualisation nous paraissent utiles à souligner ici : ils confortent des éléments de diagnostic que ces précédents rapports avaient apportés.

Rappelons que la réforme de la fiscalité du capital mise en œuvre en 2018 comporte trois principales composantes : la baisse à 25% du taux l’impôt sur les bénéfices des sociétés (IS), la disparition de l’impôt sur la fortune (ISF) et son remplacement par l’impôt sur la fortune immobilière (IFI), et l’instauration d’un taux de prélèvement forfaitaire unique (PFU) concernant les revenus du capital. Deux résultats de l’actualisation proposée par France Stratégie méritent ici d'être rappelés.

Le premier est que, après ces changements introduits en 2018, le taux des prélèvements sur le capital en France, exprimé en pourcentage du PIB, demeure l’un des plus élevés comparé aux autres pays avancés. En 2020, il était de 10,7% soit 2,5 points de pourcentage de plus que la moyenne de la zone euro, seul le Luxembourg ayant un taux plus élevé[1]. Cet écart avec la zone euro contribue pour moitié à l’écart de taux de prélèvements obligatoires qui est d’environ 5 points (45% en France contre 40% pour la zone euro). Les prélèvements sur le capital représentent par exemple 6,6% du PIB en Allemagne et 7,5% aux Pays-Bas. En France ce taux était de 10,4% en 2008, et après une chute marquée à 9,3 % en 2009, au moment de la crise financière, il a ensuite presque continument augmenté pour atteindre en 2020 un niveau élevé, tant historiquement qu’en comparaison avec les autres pays avancés. Les réformes de la fiscalité du capital introduites en 2018 n’ont pas réduit le rendement (en pourcentage du PIB) de l’imposition sur le capital. Soulignons aussi que ce rendement est nettement plus bas dans les pays nordiques et scandinaves, souvent célébrés pour des inégalités de revenus plus faibles et un climat social et une confiance dans les institutions plus élevés qu’en France.

Attardons-nous un instant sur ce premier résultat. Les réformes lancées au début du premier mandat d’Emmanuel Macron visaient à faire converger la fiscalité du capital en France avec celle des autres pays européens, pour améliorer l’attractivité du territoire français et favoriser ainsi l’investissement sur notre sol. Or si dans certains domaines on observe bien une convergence, quand on considère les chiffres agrégés il n’en est rien. Malgré des réformes qui ont valu à Macron le sobriquet de « président des riches », la France reste (à l’exception du Luxembourg) le pays qui taxe le plus le capital sous toutes ses formes.

Un second résultat concerne la question de l’exode fiscal. Avant ces réformes, le nombre d’expatriations de personnes soumises à l’ISF était supérieur à celui des impatriations. Depuis 2018, c’est le contraire : le nombre d’expatriations est maintenant inférieur à celui des impatriations. L’écart était ainsi de 550 en faveur des expatriations en 2016 (1020 expatriations contre 470 impatriations) quand il est à présent de 160 dans l’autre sens (220 expatriations contre 380 impatriations). Bien sûr, ces chiffres peuvent apparaitre réduits si on les met en rapport avec les quelque 150 000 personnes assujetties à l’IFI en 2020. Pour autant, le rendement fiscal n’est pas proportionnel à cette comparaison car l’actualisation de France Stratégie souligne que le patrimoine immobilier des personnes concernées par ces mobilités fiscales est nettement supérieur à celui de l’assujetti moyen à l’IFI. Et, par ailleurs, ces personnes sont également taxées sur leurs autres revenus ainsi que sur leur consommation. Le rendement de l’ISF était en 2017 d’environ 4,2 Mds€, dont la partie IFI représentait environ 1,3 milliards d’euros. Sans prise en compte d’aucun autre élément, la transformation de l’ISF en IFI aurait donc fait perdre environ 3 milliards d’euros de recettes fiscales annuelles. Mais pour avoir une évaluation plus juste de ce chiffre, il faudrait lui retrancher le supplément d’IFI et d’autres impôts et taxes payées par l’augmentation du nombre d’assujettis induits par cette réforme, et qui se caractérise par ces niveaux comparés d’expatriations et d’impatriations. Il faudrait aussi prendre en compte les prélèvements sur le supplément d’activité économique que peuvent amener ces nouveaux assujettis, ce qui serait difficile à évaluer. L’écart entre le déséquilibre impatriations/expatriations d’avant et d’après 2018 est d’environ 700 personnes. Si cet écart se maintient chaque année sur dix ans, il aboutira à un nombre d’assujettis à l’IFI supérieur d’environ 7000 personnes. Si chacune de ces personnes paye 450 000 € par an de taxes et impôts de toutes espèces, la réforme est alors autofinancée et elle devient bénéficiaire les années ultérieures. Bien sûr, 450 000 € d’impôts et taxes payées chaque année par ces personnes peut paraître un chiffre élevé, mais rappelons qu’il s’agit de contribuables à forts revenus et à patrimoine important, et que nous considérons ici tous les prélèvements auxquelles ils sont soumis sur leur capital, leurs revenus et leur consommation… Là aussi, dans le débat public actuel, qu’importent ces données : un nouvel ISF climatique ou réinventé est censé financer rien de moins que la transition énergétique !

En fait, pour certains, les « riches » ne sont jamais assez taxés. C’est oublier que la taxation est le plus souvent distorsive et que son augmentation impacte à la baisse les assiettes fiscales, aboutissant même dans certain cas à une perte nette de recettes fiscales (ce que l’on nomme l’effet Laffer). Compte tenu de la mobilité extrême du capital, en Europe et dans la zone euro en particulier, cet effet est sans doute particulièrement important concernant les prélèvements sur le capital. En particulier pour un pays comme la France qui connaît à l’origine un niveau de prélèvements, y compris sur le capital, élevé en comparaison de ses partenaires européens.

Ces constats inspirent deux recommandations et un rappel. La première recommandation est qu’il faut poursuivre la convergence entamée vers les niveaux de nos partenaires, ce qui signifie de poursuivre encore les baisses des taxations en France. La seconde est que la soutenabilité des finances publiques françaises doit privilégier la voie d’une réduction des dépenses publiques. En ce domaine, la France est la championne parmi tous les pays de l’OCDE, de l’Union européenne et de la zone euro : exprimée en pourcentage du PIB, la dépense publique y est la plus élevée. Mais la réduction de ces dépenses est complexe, et se heurte inévitablement aux intérêts défendus par ses bénéficiaires. La recherche de l’efficacité de la dépense publique est indispensable. Mais elle est plus complexe que l’augmentation de la taxation qui est un réflexe pavlovien en France.

Le rappel porte sur le caractère essentiellement politique en France de la taxation du capital. Taxer le capital n’est pas affaire de rendement fiscal ou d’incitation mais au mieux c’est, pour ses partisans, une correction des inégalités toujours croissantes, toujours insupportables, ou une confiscation de revenus et d’une propriété forcément illégitimes. En clair, on n’est plus là dans une approche économique sereine mais dans une posture idéologique.

 

[1]   Le Luxembourg a, comme on le sait, comme principale activité l’industrie de la gestion de fonds, qui s’est substituée à la sidérurgie et autres activités connexes.