Un «ticket» Macron-Bayrou, seule chance de vaincre la malédiction du centre? edit

17 février 2017

Tous les observateurs de la vie politique française ont souligné à l’envi qu’il y avait manifestement un candidat de trop à gauche, entre d’un côté Jean-Luc Mélenchon, représentant de la traditionnelle « première gauche », étatiste et farouche gardienne de la culture si française du statut ; d’un autre côté, Benoît Hamon, le héraut de cette aile gauche du PS pour qui l’idéologie de la fin du travail (et de son partage) sert de nouvelle utopie sociale ; et enfin Emmanuel Macron, incarnation assumée d’un social-libéralisme désireux de libérer l’économie, tout autant que la société et les mœurs.

Mais on pourrait tout aussi bien se demander si, entre une gauche de la gauche et une droite de la droite toutes deux tentées par le repli souverainiste, protectionniste et/ou identitaire, le tout mâtiné de retour à l’Etat protecteur et tutélaire, ce n’est pas au centre – espace traditionnellement le plus européen, le plus progressiste et le plus libéral – que se trouvent le plus grand enjeu et le plus grave dilemme de la prochaine élection présidentielle. En effet, tandis que la dynamique en faveur d’Emmanuel Macron ne semble pas devoir s’essouffler, au point de faire mentir depuis déjà de très longs mois tous les Cassandre qui voulaient n’y voir qu’une énième bulle médiatique, il est permis de se demander si le leader d’En Marche ! ne se trouve pas, plus que jamais, devant un choix cornélien, dont dépend entièrement la réussite de son extraordinaire pari. En effet, ou bien l’ancien ministre de l’Economie réussit à devenir le candidat de tous les centres (comme avait failli y parvenir François Bayrou en 2007, en grignotant une partie, mais une partie seulement, de l’espace politique de Ségolène Royal), ou bien il devient le simple candidat du centre gauche, et risque dès lors l’élimination au premier tour de la présidentielle, face à une Marine Le Pen (dont on ne voit pas très bien ce qui pourrait interrompre la progression qui a été la sienne ces dernières années) et un candidat de la droite qui, pour être passablement enlisé dans une polémique plus que gênante, n’a pas pour autant perdu tout espoir de rassembler, le moment venu, son camp : celui de la droite conservatrice. Une force politique que l’ancien ministre de l’Economie aurait bien tort de vouloir enterrer trop vite.

Face à une telle situation, la seule chance solide qu’a Emmanuel Macron de briser le tenace clivage gauche-droite, qui a jusqu’ici largement structuré l’histoire politique de la Ve République, consiste à proposer une offre électorale qui transcende sans ambiguïté les forces partisanes traditionnelles. Bien sûr, son programme – qui doit arriver sous peu – devrait certainement aider à convaincre les électeurs de sa volonté œcuménique et transgressive ; mais outre qu’à être trop précis le candidat des centres court le risque de s’aliéner des pans entiers d’un électorat virtuel encore extrêmement volatil, il est parfaitement clair que cela ne saurait suffire, dans la mesure où la politique se nourrit de symboles autant que d’idées – si ce n’est davantage. C’est pourquoi le créateur d’En Marche ! n’a aujourd’hui d’autre alternative que de parvenir, coûte que coûte, à rallier à sa cause celui qui a naguère incarné le même positionnement stratégique que le sien, et qui a bien failli en faire un pari gagnant en 2007. Je veux bien entendu parler de François Bayrou.

Les points communs entre les deux hommes sont assez évidents, à commencer par leur stratégie audacieuse visant à réaliser l’union des centres par leur leadership et leur charisme personnel ; tout en incarnant – plus ou moins confusément il est vrai – cette force progressiste, libérale et européenne qu’exècrent tant les franges les plus radicales de notre échiquier politique, à droite comme à gauche ; et tout en développant aussi un discours antisystème que d’aucuns peuvent estimer empreint parfois d’une légère forme de populisme. Quant à leurs différences, elles sont tout aussi manifestes, depuis leur âge (les deux hommes ont un quart de siècle de différence), jusqu’à leurs parcours respectifs (l’un vient de la haute fonction publique et de la banque ; l’autre, après un très bref passage par l’enseignement, semble n’avoir guère connu que la « profession » politique), sans oublier bien entendu leur port d’attache politique (centre gauche pour l’un ; démocratie chrétienne pour l’autre). Mais ces dissemblances, loin de les affaiblir, pourraient au contraire être autant de complémentarités, pour peu que les deux hommes acceptent d’unir leurs forces, ce qui dans les conditions politiques présentes ne peut signifier que ceci : si François Bayrou accepte de devenir le second de son cadet (par exemple sur une sorte de « ticket » qui s’assumerait comme tel). Certes, à l’heure qu’il est, la chose peut sembler bien hasardeuse, au regard des personnalités (et des egos) des intéressés, mais il est pourtant assez facile de voir ce que chacun y gagnerait : la longue expérience de Bayrou et son positionnement au centre-droit constitueraient un atout inestimable pour le tout-jeune candidat Macron, en quête de présidentiabilité, et qui sait parfaitement que sans les voix du centre-droit – et ce dès le premier tour ! – il n’a aucune chance d’entrer à l’Elysée. Il est en effet quelque peu hasardeux de compter uniquement sur un affaiblissement durable du candidat de la droite pour espérer le coiffer au poteau à l’issue du premier tour. De plus, quand bien même il parviendrait à réaliser cet exploit (car qui peut douter qu’il s’agirait là, avec le recul, d’un véritable exploit ?), la première tâche du nouveau Président sera de former en quelques semaines à peine une coalition susceptible d’obtenir une majorité à l’Assemblée nationale au mois de juin, ce qui n’est certes pas non plus une petite affaire ! Quant à François Bayrou, s’il a toujours pensé avoir un destin élyséen, le choix qui est à présent le sien est de savoir si, à défaut d’être Président (peut-il raisonnablement espérer faire un score à deux chiffres au cas où il se présenterait aussi tard dans la campagne ?), il servira mieux son pays aux côtés d’Emmanuel Macron (comme Premier ministre ?) que comme maire de Pau. A moins qu’il ne se satisfasse d’une position de simple auxiliaire de la droite (pour peu que celle-ci l’emporte), ce qui est certes le destin du centre depuis les débuts de la Ve République, mais ce qui serait parfaitement contraire à la stratégie autonomiste qui est la sienne depuis plus de quinze ans.