La lutte des âges ne saurait cacher la question sociale qui traverse toute les générations edit

15 mars 2018

Les retraités se mobilisent dans la rue le 15 mars. Cette alerte sociale vient dans une période où nos dirigeants ne semblent pas particulièrement attentifs aux enjeux du vieillissement, et où les médias ont découvert la problématique et la situation de l’accompagnement des aînés, avec une approche souvent unilatérale et victimaire. Rappelons aussi que pour la première fois depuis les ministères Raffarin 2002-2005, le gouvernement ne compte pas de responsable en charge des aînés. Décision qui a sa pertinence si elle ouvre à une approche transversale de la transition démographique[1]. Rappelons aussi, que depuis la période Raffarin, il y a eu les 15 000 morts de la canicule de 2003, une hausse continue du nombre de seniors qui aujourd’hui forment plus de 25% de la population, et un accroissement de la précarité pour une large partie des retraités. Remarquons aussi combien la tentation d’opposer aux jeunes les retraités « privilégiés » qui « osent »[2] se plaindre est présente chez les décideurs et chez ceux que l’on dénomme maintenant comme les premiers de cordée.

Une hausse légitime si elle touche les plus aisés

Le président Macron, qui doit largement aux seniors sa qualification au deuxième tour de la présidentielle puis sa victoire, au-delà d’un projet nécessaire de réforme structurelle des retraites, tend aussi à opposer les retraités aux actifs[3]. En témoigne les conditions de la hausse de la CSG pour les retraités les plus « aisés » (c’est-à-dire disposant d’une pension nette égale ou supérieure à 1289 € par mois, pour les retraités de moins de 65 ans et de 1394 € par mois, pour ceux de plus de 65 ans…) qui selon le rapport du député En Marche (LREM) Joël Giraud ne sera pas du tout compensé pour 2,5 millions de retraités, et en partie sur le moyen terme, pour 4,5 millions d’entre eux. Entendons-nous bien : la hausse de la CSG est parfaitement légitime pour les retraités réellement aisés (par exemple les 7% d’entre eux qui touchent plus de 3000 € par mois, voire les 15% dont la pension mensuelle dépasse les 2400 €). Cette contribution en hausse participant bien d’une approche de redistribution solidaire. C’est le socle choisi qui apparaît trop bas et le discours associé trop peu bienveillant. Cette décision souffre aussi du rappel par certains retraités des effets de la suppression de l’ISF sur les recettes de l’Etat. Relevons cependant que le gouvernement a décidé « en même temps » d’augmenter l’Allocation de solidarité (Aspa, ex minimum vieillesse) de 35 € par mois en 2018.

Rappelons surtout que ces discours et décisions s’appuient sur des représentations négatives et éculées de l’avancée en âge mais aussi sur une vision contestable des disparités sociales entre les générations. Ces représentations restent au niveau d’une vision productiviste de la société sans mesurer combien les retraités sont des acteurs sociaux impliqués dans les solidarités familiales et de proximité, matérielles et informelles, dans le tissu associatif ou encore dans la vie des communes, sans compter l’apport des quatre millions d’aidants bénévoles d’un proche (ce qui représente, toutes choses égales par ailleurs, l’équivalent de 80 Mds€ d’économie pour la santé publique).

Hétérogénéité

Concernant la montée en épingle de l’opposition entre « jeunes pauvres » et « vieux riches », signalons simplement l’hétérogénéité de situations entre les 16 millions de retraités : l’origine sociale et géographique et la situation patrimoniale à la naissance, comme les parcours de vie, y jouent un rôle majeur. La lutte des âges ne saurait cacher la question sociale qui traverse toute les générations. Une donnée suffit à rappeler cette réalité sociale, ce réel à la peau dure, que l’on ne peut nier sauf à dissoudre la société : selon l'Insee l'espérance de vie des hommes à la naissance est 13 ans supérieur pour les 5% les plus aisés, par rapport aux 5% les plus modestes[4]. L'écart chez les femmes est un peu moindre : 8,3 ans. Encore plus que la différence de diplôme ou de localisation géographique (même si les écarts sont forts entre les Hauts de France et l’Ile de France et l’Occitanie), le pouvoir d’achat apparaît comme la clé d’explication majeure des différentiels d’espérance de vie. Cette réalité, souvent intégrée par les individus, peut expliquer aussi en partie les réactions négatives des plus modestes face aux projets d’allongement de l’âge minimal légal pour le départ à la retraite.

Cette étude sur les écarts d’espérance de vie permet utilement de rappeler que la prévention, adaptée aux différents publics et aux différentes situations de vie, devrait être un sujet majeur pour réussir la société solidaire de la longévité.

Pour revenir à la question sociale, notons aussi que selon les données du Comité d’orientation des retraites, le maintien du pouvoir d’achat des retraités ne s’explique aujourd’hui que par un effet de noria (les nouveaux retraités ont eu des carrières mieux rémunérées et pour les femmes plus souvent déclarées que les personnes très âgées). En dehors de cet effet, depuis 1992, un cadre de 85 ans a déjà subi une baisse de 10% de son pouvoir d’achat, et un non cadre une perte de 2% à 7%. Rappelons aussi que le discours voulant que le niveau de vie des retraités soit de 10% supérieur aux actifs n’a pas de sens. D’abord, il n’est pas anormal que des personnes ayant travaillé 40 ans puissent avoir des revenus supérieurs à d’autres qui n’ont pas encore commencé dans la vie active. De plus, si l’on enlève la génération la plus jeune des actifs, le niveau de vie devient équivalent. En termes de revenus médians, selon l’Insee, il est de 15 500€ pour les moins de 55 ans, contre 15 410€ pour leurs aînés (plus précisément de 14 870€, pour les 65-74 ans et 14 120€, pour les plus de 75 ans). Nous voici bien loin du mythe des retraités tous privilégiés ! Faut-il rappeler d’ailleurs que le revenu moyen brut de la pension direct d’un retraité est, selon la Drees, de 1376 € par mois ? Signalons aussi que 45% des retraités touchent moins de 1200 € par mois.

Plutôt qu’inventer une pseudo lutte des âges, nous avons besoin plus que jamais d’une intergénération active et solidaire pour tisser et retisser le lien social.

Plutôt que de vouloir créer une lutte des âges mortifère, l’enjeu c’est de donner la parole et d’accompagner l’action des personnes fragilisées, quel que soit leur âge, par leur situation de santé comme leur situation d’emploi et de formation.

La solidarité sociale, base d’un projet collectif de la nation, repose sur la contribution équitable de tous au bien commun.

Enfin pour finir et boucler la boucle : il est toujours possible de traiter avec condescendance un mouvement social initié par des personnes qui ne travaillent plus, qui donc ne peuvent cesser le travail. Mais réfléchissons à ce que serait notre pays si les 16 millions de retraités faisaient la grève de la consommation, de la garde des petits-enfants et du bénévolat informel et associatif ?

 

[1] Serge Guérin, « Pour une société de la longévité », Telos, 19 janvier 2018.

[2] Edouard Tétreau, « Ne tirons pas sur les Millennials », Les Echos, 7 mars 2018. Un exemple de ces discours d’opposition entre les générations et de mise en accusation des plus âgés. La posture moralisante en plus.

[3] Voir « Macron. Le Grand entretien », Le Point, 31 aout 2017.

[4] « L’espérance de vie par niveau de vie », Insee Première, n°1687, février 2018 .