Pauvreté dans le monde: reprise de la baisse edit

1 mars 2024

Alors que la pauvreté, mesurée à l’échelle de la planète, reculait depuis plusieurs décennies, la Banque mondiale a alerté, à l’occasion de la crise Covid, d’une hausse consécutive au choc économique lié à la pandémie. De nouvelles projections sont cependant rassurantes: la pauvreté a recommencé à baisser. Le taux d’extrême pauvreté dans le monde serait repassé sous les niveaux pré-Covid.

Sur un plan mondial, la pauvreté se mesure couramment à partir d’un seuil connu sous l’appellation « un dollar par jour ». Fixé, en 2022, à 2,15 dollars de pouvoir d’achat par jour et par personne, cette convention permet de suivre les évolutions du phénomène ainsi que les objectifs ambitieux que se donne la communauté internationale. À l’horizon 2030, la première visée des objectifs de développement durable (ODD) consiste à mettre fin à cette forme extrême de pauvreté.

Un seuil global de pauvreté

La Banque mondiale qui s’assigne la mission de mettre fin à la pauvreté produit, collecte et analyse les données afin d’évaluer les évolutions. Elle a élaboré, dans les années 1970, un seuil international de mesure de la pauvreté. Calculé sur la base du seuil de pauvreté moyen des pays les plus pauvres du monde, c’est un seuil dit absolu car il ne varie ni en fonction de la distribution nationale des niveaux de vie, ni de la progression de la richesse mondiale. Concrètement, il est censé incarner un niveau minimum pour pouvoir se nourrir, se vêtir et se loger.

Ce seuil a été établi pour la première fois en parité de pouvoir d’achat (PPA) de 1985 (c’est-à-dire aux prix de 1985). Il a ensuite été révisé trois fois, afin de prendre en compte les évolutions contrastées du coût de la vie, pour s’établir ainsi à 1,08 dollar en PPA de 1985, puis 1,25 en PPA de 2005, puis 1,9 dollar en PPA de 2011, puis 2,15 dollars en PPA de 2017. Ces calculs en PPA, avec leurs révisions, visent à prendre en compte des structures de prix qui évoluent de façon différente dans les différents pays.

Le relèvement périodique du seuil de pauvreté reflète ainsi les variations des coûts supportés pour répondre aux besoins essentiels. Autrement dit, la valeur réelle de 2,15 dollars aux prix de 2017 est la même que celle de 1,90 dollar aux prix de 2011, la même que celle de 1,25 dollar aux prix de 2005, la même que celle de 1,08 dollar au prix de 1985.

À chaque changement, les séries statistiques ont été actualisées de manière à pouvoir toujours suivre la pauvreté dans le temps.

Jusqu’au Covid, des décennies de progrès ininterrompu

Ces dernières décennies, à l’aune de cet indicateur singulier, ont été marquées par des progrès importants dans la réduction de la pauvreté. Des chiffres flatteurs ont été couramment diffusés, notamment à partir des années 2000. Il est vrai que quand en 1990 encore 1,9 milliard de personnes vivaient dans la pauvreté, ce n’était plus le cas que de 700 millions en 2017. En proportion, la pauvreté est passée, sur la même période, d’un tiers de la population mondiale en 1990 (et plus de 40% au début des années 1980) à significativement moins de 10% en 2017.

Les tendances sont alors à une très forte diminution de cette pauvreté, nourrie par la considérable baisse de la pauvreté chez des géants démographiques devenus des géants économiques. En 2017 – derniers chiffres connus avant la déflagration Covid – la Chine ne comptait, officiellement, « presque » plus de pauvres sous ce seuil (10 millions seulement), tandis que ce volume se réduisait rapidement en Inde (officiellement moins de 100 millions d’individus en 2017). En 2017, la pauvreté se concentrait en Afrique subsaharienne. Le continent, à cette date, abritait 90 % de la population mondiale vivant sous le seuil de 1,9 dollar par jour.

Prolongeant ces tendances, des projections, établies et largement commentées durant les années 2010, soulignaient la possible extinction de la pauvreté à l’horizon 2030, signant, avant leur terme, la réussite des ODD, au moins du premier d’entre eux.

Avec la crise covid, une rupture historique

La pandémie et ses conséquences économiques douchèrent l’optimisme des deux décennies précédentes. Celle-ci a puissamment affecté les populations pauvres des pays en développement. Elles ont subi les effets des confinements nationaux qui ont, en économie domestique, drastiquement limité l’activité, et, en économie internationale, provoqué une déflagration.  Dans des systèmes économiques et de protection sociale fragiles, là où une majorité de la population exerce dans le secteur informel, les chocs sont rapides et puissants.

Sur le plan de la pauvreté, telle donc que mesurée alors à 1,9 dollar par jour, le constat de rupture est évident : les taux sont repartis à la hausse, pour la première fois depuis la fin de la décennie 1990. La Banque mondiale et les autres institutions de la galaxie onusienne l’ont répété à plusieurs reprises. Le conditionnel aurait dû être de rigueur, car les calculs réalisés, en 2020 et 2021, étaient bien plus des projections, en fonction d’hypothèses de croissance, que des observations à partir d’enquêtes sur les revenus ou la consommation.

En tout cas, quelles que soient les estimations successivement établies, l’augmentation de la pauvreté extrapolée pour 2020 aura vraiment été sans précédent. Si on se limite à un ordre de grandeur – ce qui est souvent préférable –, on peut le dire sous une forme frappante : la crise covid aura eu pour résultat, dans les bases de données de la Banque mondiale, une augmentation de plus de 100 millions de pauvres en 2020. Le taux global aurait ainsi augmenté pour se rapprocher à nouveau de la barre des 10 %, qui avait été franchie en 2017.

Un impact du covid statistiquement digéré?

Les données établies au cœur de la crise covid, c’est-à-dire pendant les deux années 2020 et 2021, n’auront été, pour la plupart d’entre elles, que des extrapolations, sujettes à des précautions élevées. Elles comportaient beaucoup d'incertitudes et étaient susceptibles de nouvelles modifications à mesure que de nouvelles informations seraient disponibles et que la pandémie évoluerait. Bref, il fallait être prudent, tout comme il fallait être, auparavant, prudent à l’égard d’un optimisme excessif concernant la baisse de la pauvreté.

Cela dit, de nouvelles données rassemblées par la Banque mondiale invitent maintenant à nouveau à l’optimisme, du moins à la pondération par rapport à un niveau d’alarme très élevé qui prévalait entre 2020 et 2021. D’abord, sur un plan sémantique, la Banque mondiale ne communique plus sur la pauvreté, avec son seuil classique, mais sur l’extrême pauvreté. De surcroît, elle publie systématiquement, en complément, ses données à partir de seuils plus élevés. Deux nouveaux seuils, établis en 2018 (3,2 et 5,5 dollars) ont eux aussi été réévalués, quand le premier seuil passait à 2,15 dollars. La Banque et ses experts traitent maintenant systématiquement d’une approche ternaire de la pauvreté, à 2,15, à 3,65 et à 6,85 dollars.

Des séries sont rétropolées et permettent, toujours, de souligner de puissants progrès en matière de lutte contre la pauvreté. De nouvelles projections, par des économistes de la Banque mondiale, permettent des évaluations pour les premières années post-covid[1].

Source : Banque mondiale, Poverty and Inequality Platform, projections World Bank Blog

Avec le nouveau trio d’indicateurs, on peut noter que la pauvreté, telle que traditionnellement mesurée depuis des décennies, tournerait en 2023 autour de 9%, bien en deçà des 10% pré-covid. Avec l’indicateur intermédiaire (à 3,65 dollars), la pauvreté est passée, depuis 2010, du tiers de la population mondiale au quart ! Mais avec l’indicateur haut (à 6,85 dollars), on repère que c’est presque la moitié de la population mondiale qui peut être dite pauvre.

En volume, avec un seuil international élevé (mais qui reste très inférieur aux seuils nationaux de pauvreté dans les pays riches), la pauvreté reste très diffusée puisqu’elle concerne encore près de la moitié de l’humanité. Cependant, si l’on se cantonne à l’indicateur classique d’extrême pauvreté, il apparaît clairement que le covid n’aura pas constitué une rupture structurelle des évolutions de la pauvreté dans le monde. La pandémie et ses conséquences économiques auront inversé la courbe de la pauvreté mondiale de façon très transitoire et finalement limitée.

Les débats sur la qualité des indicateurs peuvent continuer, notamment car les derniers chiffres ne sont encore que des projections mais aussi parce que la pauvreté, multidimensionnelle, ne se résume pas au seul pouvoir d’achat. Faire varier les définitions et discuter de la fiabilité des données n’invalident toutefois pas le constat de la reprise de la dynamique d’extraction de la grande pauvreté pour la population mondiale. Et le monde post-covid peut s’en féliciter.

[1]. Voir la note « Poverty is back to pre-COVID levels globally, but not for low-income countries » (3 octobre 2023).