La stratégie du «logement d’abord» edit

22 décembre 2022

Quelle est l’offre d’hébergement et de logement pour les sans-domicile ? Il en va d’hébergements d’urgence pour les sans-abri à la rue et d’une palette de services pour les autres sans-domicile. L’extension de l’offre accompagne un mouvement général de rapprochement du secteur de l’hébergement des défavorisés de celui du logement social. Ce dernier visait historiquement les classes moyennes et les salariés modestes. Dans une dynamique dite de « résidualisation » – c’est-à-dire de concentration sur les plus démunis – le parc HLM se destine de plus en plus aux pauvres.

Une offre croissante d’hébergement

En termes d’hébergement, l’offre se compose de places dans des centres d’accueil d’urgence, des hôtels, des centres d’hébergement et de réinsertion sociale (CHRS). S’ajoutent à ces places d’hébergement plus de 230 000 places en logements particuliers, qualifiés de « accompagnés » ou « adaptés », en particulier dans des résidences sociales.

À ces hébergements et logements accompagnés doivent aussi s’ajouter les places du dispositif national d’accueil des demandeurs d’asile (DNA), c’est-à-dire, principalement, les places dans les centres d’hébergement pour demandeurs d’asile (CADA). Pour tenter de traiter les conséquences de la crise migratoire et de l’asile, après 2015, d’autres types de prestations ont été mises en œuvre pour les migrants, demandeurs ou déboutés du droit d’asile, voire sans-papiers n’ayant jamais demandé cet asile.

Il ressort une offre globale d’hébergement et de logement accompagné comptant maintenant environ 500 000 places. Pour faire une comparaison et donner un ordre de grandeur, un tel chiffre correspond à environ quatre ans de construction de logements sociaux. C’est dire l’importance qu’a pu prendre ce segment particulier de la politique du logement. Pour une autre idée de la dimension de l’offre, il faut avoir à l’esprit que chaque soir plus de 100 000 personnes sont hébergées en Ile-de-France.

Des efforts considérables surtout pour les sans-domicile

Si l’on prend en considération les données du compte du logement – ce compte satellite de la comptabilité nationale dédié spécifiquement au logement – la capacité d’accueil pour les « personnes en difficulté sociale » a été multipliée par quatre en trente ans, par trois en quinze ans.

Si l’on se penche, plus précisément, sur les sans-domicile alors les chiffres ont plus augmenté encore. Pour les demandeurs d’asile, relevant du dispositif national d’accueil (DNA), l’offre a été multiplié par 40 en 30 ans (2 500 places en 1990, plus de 100 000 en 2020). Pour héberger des sans domicile en hôtels, l’offre a été multiplié par 70 en moins de 25 ans (1 000 places en 1998, 70 000 en 2020). Soulignons que la période COVID aura été très singulière, accélérant les créations de places. En 2020, 43 000 places ont été ajoutées (pour moitié en centres d’urgence, pour moitié en hôtels), avec 0,7 milliard d’euros de dépenses publiques complémentaires.

Les principales offres d’hébergement pour sans-domicile

Note : Compter les hébergements n’est pas aussi évident que de compter les logements sociaux. Définitions et nomenclatures varient selon les enquêtes et dans le temps.

Source : Compte du logement, DREES, OFII

À cette offre d’hébergement, dans un sens relativement strict, il faut ajouter le logement « adapté » ou « accompagné ». Le terme désigne l’ensemble constitué essentiellement des résidences sociales (environ 180 000 places en 2019), des maisons relais (17 000) et de sous-locations par des associations  (34 000).

Si l’on rapporte l’offre d’hébergement (personnes défavorisées, demandeurs d’asile, CHRS, nuits d’hôtels) sur le total des HLM, soit, en 2019, 300 000 places sur 4,2 millions de logements, alors elle correspond à 7% de l’offre HLM aujourd’hui, contre 1% en 1981. Si on prend, en plus, tout le logement « accompagné » ou « adapté », alors avec une offre de près de 500 000 places, l’hébergement représente un volume correspondant bien à 10% du parc HLM.

Logement d’abord ?

Pour les plus démunis, l’hébergement s’avère plus coûteux pour les finances publiques, que le logement. Cela s’explique simplement par les nécessités de l’accompagnement social, en particulier pour les cas les plus difficiles. Mais dans les hébergements se trouvent aussi des ménages qui ne nécessitent pas un travail social lourd. De fait, les coûts peuvent impressionner. Une manière de marquer les esprits consiste à faire une simple division : 3 milliards d’euros pour l’hébergement « généraliste » (programme budgétaire 177, début 2021) / 200 000 places d’hébergement (CHU, CHRS, chambres d’hôtels, début 2021). Le résultat donne 1250 € par mois, bien plus que le loyer moyen (800 €) ou l’équivalent d’un SMIC net (sans prime d’activité). Bien entendu, ce chiffre moyen masque les disparités.

En tout cas ces données appellent à réformer.

En ce sens, une stratégie de refondation de la prise en charge des sans-abri, lancée en 2008, a mis en avant la logique dite « logement d’abord ». Celle-ci consiste à proposer d’abord du logement plutôt que de l’hébergement. La loi du 25 mars 2009 de mobilisation pour le logement et la lutte contre l’exclusion (dite loi « Molle ») a entériné cet objectif, visant à permettre aux personnes sans domicile de parvenir le plus tôt possible à un logement stable.

Adaptant des expériences menées dans d’autres pays (États-Unis, Irlande, Danemark), sous l’appellation « housing first », la démarche est double. D’abord, il s’agit de reloger le plus rapidement possible des sans-domicile. Loger des personnes et ménages dans des logements « normaux » se révèle en effet plus efficace et moins coûteux que les accueillir dans des centres proposant un accompagnement social dont ils n’ont pas forcément besoin. Ensuite, les politiques de « logement d’abord » permettent d’expérimenter des dispositifs à destination des sans-abri en plus grande difficulté. Des programmes pilotes « Un chez-soi d’abord » ont ainsi été menés dans quatre villes (Lille, Marseille, Paris, Toulouse), cherchant à apporter de nouvelles réponses pour l’accès au logement et aux soins de SDF souffrant de troubles psychiques.

De fait les politiques dites de logement d’abord, semblant fonctionner adéquatement en Finlande, sont mises en avant en France. Signalons simplement, pour dire que tout ne saurait se plaquer d’un pays à l’autre, qu’en Finlande l’offre est, globalement, réservée aux Finlandais et aux sans-abri en situation régulière inscrits déjà comme habitant de la ville. Les autres sans-domicile, comme cela est écrit sur le site Internet de la mairie d’Helsinki, sont invités à se rapprocher de leur ambassade.

Concrètement, cette stratégie, associée à une refonte globale de la prise en charge, sous la forme d’un « service public de la rue au logement » vise à réduire un écueil toujours repéré. Le temporaire s’éternise. Le sas devient nasse. Sur un escalier, les gens restent sur les marches.

La stratégie « logement d’abord » s’élabore et se déploie en tant que priorité pour intégrer l’ensemble des dispositifs établis en direction des populations défavorisées. Elle a pour ambition de limiter le passage par les centres d’hébergement, voire de réduire cette offre d’hébergement.

Selon les bilans produits par l’administration, la stratégie aura permis, de 2018 à 2021, l’accès de 280 000 personnes à un logement. Ces sans-domicile venaient de la rue ou des centres d’hébergement. Ils ont accédé, pour moitié, à du logement social, pour moitié à d’autres solutions, comme l’intermédiation locative ou les pensions de famille. Soulignons que les autres résidences sociales ne comptent pas, avec cette stratégie, comme des solutions de logement.

La volonté première derrière cette stratégie « logement d’abord » consiste à absorber l’hébergement dans le logement. Ce qui n’est en réalité pas totalement réalisé puisque le secteur de l’hébergement continue sa croissance.

Une question classique, sans réponse simple

Au sujet du « logement d’abord », les associations ont répondu favorablement aux premières invitations des pouvoirs publics à se pencher sur cette perspective, à la fin des années 2000, tout en indiquant que l’essentiel était d’abord de produire du logement. La rhétorique est habile. Elle se comprend. Reste que le sujet principal doit être posé encore autrement : « le logement social, d’abord pour qui ? ». Telle semble être la question clé.
Il s’agit d’une question aussi classique que fondamentale pour le logement social à la française. Celui-ci, dit « généraliste », est, depuis des années, appelé à davantage de « résidualisation », c’est-à-dire de concentration sur les plus démunis. C’est, de toutes les façons, ce à quoi il contribue de plus en plus. Loi sur le droit au logement opposable (DALO), entres autres, oblige. Cette résidualisation ne s’observe pas dans la production de logements sociaux, mais dans leurs attributions.

L’idée-force – qui a ses partisans et ses contempteurs – consiste à faire basculer le modèle français de logement social, à visée généraliste, vers un modèle plus libéral, plus anglo-saxon, ciblé sur les plus pauvres. Le logement social à la française, originellement conçu pour les actifs modestes et moyens en termes de revenus, se transforme de fait de plus en plus. Il devient, comme la sécurité sociale, de plus en plus hybride entre divers objectifs et instruments. Le débat autour de la « résidualisation » (un terme à connotation négative) ou de la concentration sur les plus démunis (un mot à évocation plus positive) ne se tranche pas simplement.

Au sujet, très débattu, de la destination des HLM, une voie et des données originales passent par ce que pensent les Français. Ceux-ci, lorsqu’ils sont interrogés sur les priorités du logement social ont plutôt une opinion généraliste : ce sont les classes moyennes qui priment. On rétorquera, avec les mêmes enquêtes, que les Français ne sont pas forcément très bien informés sur ces questions. En effet, les deux tiers d’entre eux pensent que leurs revenus sont trop élevés pour accéder au logement social. Or, en réalité, les deux tiers des ménages français y sont éligibles.

« Selon vous les logements sociaux devraient-ils être attribués en priorité… » (en %)

Source : DREES

Ces questions d’opinion et de doctrine ne sont pas les seules difficultés qui viennent heurter le volontarisme de la stratégie « logement d’abord ». Celle-ci rencontre des problèmes de gouvernance, de systèmes d’information, d’inerties. Assurément, elle constitue un pari volontaire, avec des complications à tous les étages. Comme le problème qu’elle veut régler. Elle s’étend avec vigueur en tant que réforme administrative d’ampleur. Elle se trouve aussi face à la question préoccupante et compliquée des sans-papiers. Cette question non réglée, qui tétanise les pouvoirs publics, se trouve maintenant au cœur du dossier. Car les sans-papiers, en France, peuvent accéder à de l’hébergement d’urgence. Mais ils ne sont pas éligibles à des hébergements d’insertion et à du logement social. Donc pas de « logement d’abord » pour eux. Et, par conséquent, des hébergements d’urgence qui concentrent des sans-papiers.