«Je crois en moi», dit la jeunesse edit

14 septembre 2010

« Je crois en l'autre, je crois en moi », chantait Claude Nougaro. Un sondage IFOP effectué en août 2010 pour le ministère de la Jeunesse auprès des 16-30 ans confirme qu’à défaut de croire en l’avenir de la société française, les jeunes mettent toutes leurs espérances dans leurs propres forces. Pour améliorer son avenir, une seule planche de salut : soi-même, soutenu par les amis et la famille. Loin de l’image du désenchantement qui lui est souvent affublée, la génération montante affiche l’énergie des enfants entourés par leurs proches, et profondément socialisés dans des groupes de pairs. Dans ce nouvel espace public se forge une autre conception du rapport à la res publica.

Le plébiscite envers la famille n’est pas une nouveauté, mais l’écoute et la solidarité parentales constituent un atout précieux, plus que jamais nécessaire aujourd’hui, quand l’entrée dans la vie d’adulte s’effectue par paliers et s’étale sur de longues années. Par ailleurs, la téléphonie mobile dans les années 1990 et maintenant Internet, avec les sites sociaux et les blogs, ont décuplé et complexifié le système relationnel des jeunes. Si le noyau dur des « vrais » amis demeure le même, les congénères « choisis » dans la vie physique, la géographie des contacts s’est élargie aux amis d’amis et même plus si affinités, avec les perdus de vue et les croisés d’un soir. L’internaute est alors entraîné dans le maillage d’un réseau abondant qui procure informations, opinions, aides, commérages, récits de vie et d’expériences, etc. Facebook, qui revendique 19 millions de comptes en France, fonctionne comme un carnet d’adresses en constante inflation. Ironiquement, on pourrait dire qu’avec ce levier technologique, on ne peut avoir que plus d’amis et jamais moins – en théorie.

Les institutions politiques ? Elles ont presque disparu de l’horizon des jeunes. 35/36 % d’entre eux attendent quelque chose, pour leur avenir, des associations ou des élus locaux, 14 % de la part du gouvernement, 9 % de la part des partis politiques, et ce score déjà faible décroît au fur et à mesure qu’ils progressent en âge, ce qui n’est pas bon signe. Simultanément, leur mobilisation en faveur de la collectivité est des plus modestes : seuls 4 % d’entre eux mettent au rang de leur préoccupation la solidarité avec les plus pauvres ou la place de la France dans le monde. Et s’ils sont sensibles, sur beaucoup de sujets, à la question des inégalités sociales, l’idée l’emporte chez eux que les solutions ne résident pas dans l’action politique. Ce schéma est corroboré par d’autres travaux. Dans une enquête Audirep menée en 2009 sur un échantillon de personnes tous âges confondus, les jeunes étaient perçus comme intolérants, individualistes et pas prêts à s’engager pour des causes utiles à la société ; ce qui suggère que les adultes portent un regard mitigé sur la jeunesse.

Le repli sur soi touche toutes les classes d’âge, mais il est donc particulièrement prononcé chez les 16-30 ans. Peut-on pour autant parler d’une jeunesse égoïste ? Dans cette distance affichée envers la chose publique on peut voir deux mouvements qui combinent le retrait du monde d’hier et l’ouverture vers un monde à venir.

D’une part, les jeunes se retirent sur leur Aventin, faute d’une confiance dans l’évolution de la société française, et surtout en raison d’une image désastreuse de l’action politique : à travers le kaléidoscope des grands médias, les débats s’égrainent comme des rituels usés, attendus, un jeu de rôles dont on connaît par avance chaque réplique. La puissance des mots supplée ainsi à une relative impuissance de la politique, en tout cas les jeunes ont l’impression de n’en voir aucune retombée pour eux. Et les gens de vingt ans soit s’amusent de ce moulin à prières (affirmation d’un espace public du rire et de la dérision), soit, résolument, ils tournent le regard ailleurs. La scène politique traditionnelle, pour eux, a perdu tout charisme.

Par contre, une autre scène de débat public, celle du Web, capte leur curiosité. Nous l’avons vu, ils sont plongés dans cette socialisation originale qui use de toutes les ressources des outils de communication. Ainsi la nouvelle génération attend davantage, pour faire bouger les choses, des interactions entre le Web et la vie telle qu’elle est : non sur un plan strictement politique partisan, auquel elle ne croit guère, mais sur un plan culturel et social. D’abord le Web 2.0 est le chantre de valeurs qui parlent à la jeunesse. Ce système de pensée issu du courant hacker, cocktail de la contre-culture californienne des années 1960 et de l’imaginaire des promoteurs du logiciel libre, encense la liberté d’expression, l’idéal égalitaire, l’échange désintéressé, la création collective. Par ailleurs, Internet propose des outils de débats qui permettent d’attirer un public qui se méfie de l’embrigadement idéologique propre aux partis (par les sites des think tanks, d’associations ou de fondations). Surtout les échanges ont lieu dans toute une gamme de blogs, de wikis et de plateformes, supports ou relais de textes où l’on parle idées et enjeux de société. Parallèlement, une analyse du contenu des blogs et des réseaux sociaux révèle l’émergence d’un espace mental fondé sur le rire, les jeux de sens, la délectation de la dérision et de l’absurde. Le LOL (éclater de rire) et le LULZ (ricaner avec quelques arrière-pensées) émergent comme des marqueurs culturels de notre époque, un produit des interactions de la jeunesse avec les médias et une floraison de contenus d’images – films cultes, cartoons, mangas, jeux vidéos, séries, infotainment, contenus humoristiques. Un cosmos dont seuls les digital natives ont la clef, et qui fournit un terreau autant pour la critique sociale et l’innovation que pour le défoulement. Dans le Web, de fait, la politique est d’abord perçue via le prisme du rire : 31 % des internautes de tous âges déclarent rechercher ou transférer des contenus humoristiques sur la politique alors que 16 % seulement visionnent des vidéos politiques (Étude Mediapolis, CEVIPOF et CARISM, 2010). Et ce contraste est sans doute plus marqué pour les jeunes.

C’est dans cet espace bouillonnant, non médiatisé par les institutions et les grands médias, que se forge une autre conception du rapport à la res publica. L’utopie du « je crois en moi » et « je crois en toi » est une réponse en défi à la scène politique traditionnelle.