Université: une réforme sociale edit

15 novembre 2017

Et si l’on arrêtait de croire que le dispositif d’entrée à l’université participait d’un modèle social français de promotion méritocratique ? L’affaire, absurde, du tirage au sort au sortir de la procédure APB a permis à la fois de mettre au jour un dysfonctionnement majeur et d’appeler à une transformation en profondeur de l’accès aux études supérieures.

Quelques chiffres suffisent pour illustrer mon propos. Il y a d’abord cette révolution majeure que constitue la massification de l’enseignement supérieur. On comptait quelque 300 000 étudiants en 1960 et 2,6 millions en 2016. Ajoutons que la singularité de la démographie française accroît la pression, tout spécialement, dans le très court terme, le contrecoup du boom des naissances autour de l’an 2000. Mais on parle bien de massification et pas réellement de démocratisation car celle-ci reste très imparfaite. Ainsi, si nous parlons origine sociale des étudiants, les cadres et professions intellectuelles supérieures comptent pour 34% à l’Université, contre 17,5% pour l’ensemble des Français de 18 à 23 ans. Cela atteint 52% en classes préparatoires et même 31% dans les IUT (instituts universitaires de technologie). Seuls les STS (sections de techniciens supérieurs) sont dans la moyenne, avec une surreprésentation des employés, mais pas des ouvriers. Globalement la première année de l’Université stricto sensu est une filière d’échec. Après un an près de 60% des bacheliers sont en échec. En tenant compte du redoublement, on descend à peine sous les 50%. Une différenciation fait immédiatement la différence : après deux ans en première année de licence (L1), les bacheliers du technique sont 78% à échouer, ceux issus du bac professionnel près de 92% ! L’adéquation semble plus adaptée, bien que très imparfaite, pour les étudiants issus du bac général puisqu’ils ne sont « que » 35% à échouer après deux ans de L1.

Les conclusions sont évidentes : l’Université ne joue plus son rôle de formateur, singulièrement pour les élèves issus de bacs techniques ou professionnels qui, confrontés à des filières sélectives (IUT et STS) se retournent par défaut vers la filière générale.

Il y a donc un double décalage, entre les formations et les prérequis, et en fin de licence (L3) entre le diplôme fourni et les exigences du marché du travail.

C’est cette réalité qu’il ne faut pas se cacher plutôt que de brandir quelques mots magiques, comme le refus de la sélection, sorte de cache-sexe de l’inaction. Il y a déjà des filières sélectives, à côté des filières non sélectives. Il y a bien sûr les classes préparatoires aux Grandes Ecoles. Mais les IUT et STS prennent sur dossiers (et nous verrons que ce n’est pas sans conséquences) et, dans les universités, sans compter le cas particulier des deux universités qui ont statut de grands établissement (ce qui leur donne une bien plus large autonomie), des double licences ont été mises en place pour concurrencer les classes préparatoires et attirer les meilleurs étudiants, en sachant, bien sûr, qu’elles ne peuvent n’être que très sélectives. Je ne crois pas que mes collègues se montreront très virulents face à l’idée de prérequis, dits aujourd’hui « attendus », car ce sont les mêmes, souvent, qui ont mis en place les doubles licences (avec d’ailleurs d’excellents résultats). Au total il me semble difficile de mettre en cause ce qui marche bien. En revanche il y avait urgence à intervenir sur ce qui marche mal.

On ne parle donc pas de « sélection » pour les filières… non sélectives. Accessoirement le mot de « prérequis » a été abandonné car il semblait fermer une porte, quand l’idée est plutôt d’aider à la franchir dans les meilleures conditions. La sémantique n’est pas sans conséquence quand on veut réformer. Derrière le mot « attendus », la question centrale est bien de rendre possible l’adéquation entre les souhaits et les orientations, en connaissance de cause. Il serait intéressant de connaître un indicateur plus complexe à trouver, celui qui mesure l’échec quand le choix correspondait au souhait de l’élève. En effet, si les bacheliers pro ou techniques s’orientent vers l’Université non sélective, ce n’est pas leur premier souhait, c’est par défaut : on les a refusés en STS ou en IUT où ils ne pèsent que pour moins d’un tiers des effectifs au profit des bacheliers de l’enseignement général qui cherchent des filières sélectives quitte à poursuivre, ensuite, dans le cycle long. Et les premiers échouent donc très massivement dès la première année de licence. Et, pour les autres, les chiffres restent insatisfaisants.

On comprend immédiatement le double objectif qu’il faut poursuivre : les élèves doivent avoir une pleine connaissance des filières ; et les administrations et enseignants doivent être en capacité d’accompagner le passage du lycée à l’Université puis de suivre les étudiants.

Il y a déjà l’idée d’appréhender l’ensemble lycée-Université comme un bloc. Cela commence dans l’immédiat par l’ensemble Terminale-L1 (première année d’université). Avec à la clé deux professeurs principaux en Terminale et un agenda strict de l’accompagnement des élèves dans l’orientation. En L1, c’est le mot clé des « attendus » qui change la donne. Mais c’est aux universités d’en décider. Le compromis est dans cette phrase-clé : « Les formations non-sélectives n’auront pas la possibilité de refuser un bachelier si des places restent vacantes. En revanche, elles auront désormais la possibilité de conditionner l’inscription à l’acceptation d’un parcours pédagogique spécifique dans le cas où elles estiment que le bachelier n’a pas les attendus requis. » Si les places supplémentaires ouvertes en 2018 ne sont pas suffisantes, « les candidats seront retenus sur la base de la meilleure adéquation entre leur projet, leur motivation, leur parcours et les attentes de la formations demandée ».

Il y a ici un pari sur la responsabilisation de l’élève. Une fois pleinement informé des filières possibles, de leur adéquation avec son niveau de compétences, il doit construire son projet d’avenir. Il a certes besoin d’une autonomie financière plus grande. Des premières mesures sont prises, avec des avancées sur deux chapitres-clés, la sécurité sociale (l’intégration dans le régime général) et le logement étudiant (avec un programme de construction).

Mais la réussite du programme passe par des établissements et des personnels proactifs. Tout dépendra de leur mobilisation en fin d’études secondaires comme au début de l’Université. D’autant qu’il n’y aura pas de remise en cause du système dual (non sélectif / sélectif) si ce n’est pas une incitation par le nombre de places en STS et IUT et par, sans doute, une pression plus ou moins amicale de l’administration centrale, comme ce fut tenté déjà en 2016.

Il faudra dégager des moyens. On annonce près d’un milliard d’euros durant le quinquennat. C’est en-deçà des besoins, mais ce n’est pas rien. Des régions, peu présentes dans le projet mais très concernées par ces questions, on attendra sans doute qu’elles accompagnent une meilleure adéquation entre le bassin d’emploi et l’offre de formation.

Que ce soit dans les régions ou dans telle ou telle Université, des expérimentations permettent déjà de se faire une idée des résultats attendus et des moyens nécessaires. Au moins, là encore, le cadrage a été fixé dès la campagne de celui qui n’était alors que le candidat Macron. Le plan d’action qui nous est aujourd’hui fourni s’inscrit dans ce cadre mais est le résultat aussi de longues discussions avec les partenaires concernés. C’est maintenant aux acteurs du lycée et de la formation post-bac de relever ce qui constitue, à l’évidence, comme un défi majeur pour la société française.

Pour peu qu’on prenne un peu de recul, on trouve là une nouvelle illustration de cette gouvernance que nous connaissons depuis les présidentielles. On retrouve la cohérence entre les annonces de campagne et les transformations effectivement en œuvre. A ce titre je conçois qu’on puisse être pour ou contre Macron et sa politique, mais je comprends mal qu’on se dise déçus. En resserrant la focale, on repère, là comme sur les autres chantiers, un parcours comparable (hors ordonnances bien sûr), depuis la large mais très dense discussion menée par Frédérique Vidal avec les partenaires concernés jusqu’à des conclusions ambitieuses peu après puis, rapidement, le débat devant les Assemblées. Déjà un agenda est fixé par la ministre qui interdit l’enlisement. Là encore on note un mixte entre forte impulsion étatique et grande autonomie des acteurs pour la mise en œuvre.

Au-delà, Emmanuel Macron parie sur la liberté de l'individu et sa capacité créatrice. On ne pourra s’inscrire dans une nouvelle étape du progrès humain sans prendre le parti d’un optimisme radical sur nos potentialités. C’est ainsi que je lis le programme déroulé par Emmanuel Macron et, ici, sa ministre-experte Frédérique Vidal. Cet optimisme radical tient à notre horizon : l’économie de la connaissance ; la nouvelle révolution technologique fondée sur l’intelligence artificielle ; l’inscription de l’espace national (revendiqué) dans un espace européen (pour partie à construire) ; une mondialisation positive car fondée sur l’ouverture et sur la régulation ; l’humanisme fondamental dont témoignent ses positions sociétales ; la volonté d’entraîner la société dans son ensemble sur ce chemin en prenant bien soin de réduire les fractures sociales et géographiques ; la liberté des potentialités individuelles en prenant bien garde à ne pas laisser sur le bas-côté ceux qui, pour l’instant, ne peuvent pas s’épanouir dans la société.

À la lecture de ce qui est proposé pour l’Université, sur le sujet décisif de la formation initiale et de la bonne orientation, il faudrait être de bien mauvaise foi pour ne pas y voir, d’abord, une réforme sociale.