Comment les inégalités se transmettent et comment on peut les réduire edit

6 juillet 2018

Le rapport récemment publié par l’OCDE, L’ascenseur social en panne ? Comment promouvoir la mobilité sociale (juin 2018), montre tout d’abord à quel point, quel que soit le pays considéré (même si, on le verra, il y a de grandes différences entre pays), le processus de réduction des inégalités sociales sur longue durée est lent. D’après les calculs des auteurs du rapport, il faudrait, pour un « pays-type » de l’OCDE entre quatre à cinq générations pour que les enfants situés dans le décile inférieur des revenus se hissent au niveau du revenu moyen.

Ce très lent processus du phénomène bien connu de « convergence vers la moyenne » (avec le temps baisse des revenus relatifs des familles aisées et hausse de ceux des familles modestes qui se rapprochent de la moyenne) est compatible avec une forte mobilité ascendante en valeur absolue qu’on constate dans la plupart des pays de l’OCDE. Les revenus progressent, le niveau d’étude s’accroît, l’accès aux biens de consommation se développe, les conditions de vie s’améliorent (de meilleurs logements notamment), mais les écarts entre groupes sociaux qui profitent tous de cet enrichissement, ne diminuent eux que très lentement. Le rattrapage des moins favorisés par rapport aux plus favorisés est très lent, les écarts relatifs restent très importants, notamment si l’on compare, comme le fait le rapport de l’OCDE, les moins favorisés, le décile inférieur des revenus, aux plus favorisés.

Le rôle-clef de l’éducation

De nombreux facteurs contribuent à cette persistance sur la durée des inégalités, mais l’éducation joue certainement un rôle essentiel. On le sait depuis les travaux de James Heckhman, les inégalités cognitives se cristallisent très tôt dans la vie et les handicaps accumulés au tout début de la vie sont très prédictifs de la suite des parcours. Il est donc indispensable, si l’on veut améliorer l’égalité des chances, que chacun puisse disposer, dès le début de la scolarité, des meilleures conditions possibles d’enseignement. Idéalement, il faudrait que les enfants des familles défavorisées bénéficient de conditions privilégiées (des classes moins nombreuses, des professeurs bien formés et motivés) pour compenser de possibles handicaps culturels qui peuvent se former très tôt dans l’enfance, avant la scolarité obligatoire. Or les inégalités territoriales et sociales en matière de qualité de l’éducation restent très fortes. Comme le note l’OCDE, dans la majorité des pays, les enseignants les plus expérimentés ont davantage tendance à travailler dans les établissements les moins difficiles. Les enfants des zones où se concentre la partie de la population la plus pauvre, qui souffrent dès le début de leur vie de désavantages cognitifs et culturels du fait d’un environnement familial moins stimulant, n’ont donc que très peu de chances de combler leur retard. Pour qu’ils puissent le faire, il faudrait que les établissements scolaires de ces zones en difficulté sortent radicalement du cadre routinier de l’enseignement ordinaire.

A ce sujet, le rapport de l’OCDE cite quelques expériences que nous avons déjà évoquées dans Telos ; par exemple, les charter schools aux Etats-Unis, situées dans des quartiers défavorisés et qui disposent d’une grande autonomie dans le recrutement des professeurs, les programmes et l’organisation de l’enseignement, tout en étant évaluées sur leurs résultats. La question de l’autonomie des établissements situés dans les quartiers défavorisés est importante : elle peut permettre de recruter des enseignants motivés, de former des équipes soudées, d’adapter la pédagogie et le rythme de l’enseignement aux profils des élèves. Cette souplesse octroyée doit s’accompagner de moyens supplémentaires. Le rapport cite ainsi la Corée qui octroie de nombreux avantages (salaire, taille des classes, temps de travail, possibilités de promotion) aux professeurs qui enseignent à des élèves de milieu modeste.

Le suivi des décrocheurs est un autre élément essentiel. En Norvège les lycées en coordination avec les services sociaux des municipalités ont la responsabilité de recenser les éventuels décrocheurs et d’agir immédiatement en les contactant, au besoin à leur domicile. Au niveau national, ceux qui quittent précocement le système scolaire se voient proposer de poursuivre leurs études ou de bénéficier d’une formation. La philosophie est de tout faire pour ne laisser personne au bord de la route.

La France en mauvaise position

Un des grands intérêts des études de l’OCDE est évidemment qu’elles sont comparatives et permettent d’évaluer les performances relatives de pays relativement comparables (ce qui bien sûr n’est pas le cas de tous les pays de l’OCDE).

Dans l’étude de l’OCDE, sans grande surprise, les pays nordiques font la course en tête en matière de mobilité sociale. Danemark, Norvège, Finlande et Suède mettent en moyenne deux (le Danemark) à trois générations (les autres pays scandinaves) pour que les descendants de familles à bas revenu atteignent le revenu moyen, contre cinq générations pour la moyenne de l’OCDE. Mais en France, il faudrait six générations pour atteindre le même niveau de mobilité. Une autre façon d’évaluer cette mobilité à partir du bas de l’échelle sociale est de mesurer le pourcentage de fils dont le père se situe dans les 10% des revenus les plus bas, qui y demeurent eux-mêmes. Cette immobilité sociale d’une génération à l’autre parmi les bas revenus, concerne 35% des fils en France, contre 31% en moyenne dans l’OCDE. Notons que le même modèle de faible mobilité s’applique aussi à notre voisin allemand.

La France présente deux caractéristiques qui peuvent expliquer ces performances médiocres : d’une part, un système éducatif inégalitaire dont les enquêtes PISA ont montré qu’il était un de ceux dans lequel les écarts de réussite entre les moins bons et les meilleurs élèves étaient les plus marqués et avaient tendance à s’accentuer ; d’autre part, un chômage de longue durée persistant qui maintient une partie de la population à l’écart du marché du travail ou à ses marges à travers une série de contrats de courte durée. Finalement la France est un cas assez typique du clivage entre insiders et outsiders que le fonctionnement du marché scolaire comme du marché du travail entretient. On pourrait ajouter, le rapport de l’OCDE  y fait allusion, que la politique du logement y contribue également. La politique de logement social, quelles que soient ses bonnes intentions, a contribué à concentrer les ménages modestes dans des quartiers urbains défavorisés et mal desservis en services publics de bonne qualité et en opportunités d’emploi. Nous avons consacré un article dans Telos à cette question en évoquant l’expérience américaine toute différente Moving to opportunity (citée comme un exemple de bonne pratique dans le rapport de l’OCDE) qui vise à favoriser la mobilité des personnes pauvres vers des quartiers à faible taux de pauvreté par l’octroi de bons de logement.

L’actuel gouvernement a pris quelques bonnes initiatives pour réduire la fracture entre insiders et outsiders, notamment en matière éducative, mais il faudra beaucoup plus d’audace pour y parvenir. Dans de multiples communications Jean-Michel Blanquer s’est dit favorable au principe de l’autonomie des établissements préconisée par l’OCDE, mais rien de tangible, même à titre expérimental, n’a été proposé pour le moment. Sur le marché du travail et le clivage entre CDI et CDD rien n’a non plus été véritablement entrepris et sur la politique du logement et la mobilité résidentielle et géographique des personnes aucune réforme structurelle ne pointe à l’horizon. Ces chantiers demeurent largement en friche.