Pourquoi la méthode suisse est préférable à la règle d’or edit

10 juillet 2012

Le président Hollande a réussi un coup politique : transformer son acceptation du pacte budgétaire en succès domestique. Il a désormais la possibilité de sortir la France de l’ornière dans laquelle elle se trouvait lorsqu’il est arrivé à l’Élysée. Il reste à se préoccuper du contenu de la version française du pacte. La question est d’importance stratégique. Si la réponse est la bonne, la France peut échapper à la contagion et réduire sa dette.

Rappel : il ne peut y avoir de monnaie unique sans discipline budgétaire dans chaque pays membre. La réponse à cette aporie fut le pacte de stabilité et de croissance, adopté en 1997. Mais dans la mesure où la limite de 3% du PIB pour les déficits budgétaires a été transgressée, le pacte a perdu toute crédibilité. Le nouveau pacte de croissance, officiellement appelé « traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance » (TSCG), a été négocié à la va-vite sous la houlette de Merkozy et adopté en mars dernier. Sa ratification est en cours. Ce nouveau pacte prévoit que tous les pays signataires se doteront d’une législation spécifique, « si possible d’ordre constitutionnel ».

Dans les semaines qui viennent, la France va ratifier ce nouveau traité, puis définir la manière dont elle va s’y prendre pour respecter cette obligation. Ce qui est étrange, c’est que personne en France ne semble s’intéresser à cette mise en œuvre. La question semble réglée puisque le précédent Parlement a approuvé une loi, dite de la règle d’or. Comme elle implique une modification de notre Constitution, elle doit être ratifiée par le Congrès, une étape que Sarkozy n’a pu franchir faute d’une majorité des trois cinquièmes. Tous ces aspects juridico-politiques sont importants et aisément compréhensibles, mais quel est le contenu de la cette règle d’or ? La question est, hélas, techniquement compliquée, et donc totalement ignorée.

Le nouveau pacte introduit, contrairement à ce que l'on pense, un changement complet de paradigme par rapport au pacte de stabilité. François Hollande tient une occasion historique de mettre un terme à plus de quarante ans de déficits publics, et en même temps de remettre l’Europe sur les bons rails. En l’absence de débat, rien n’indique qu’il en saisisse les enjeux.

Le candidat Hollande avait repris à son compte une opinion très répandue : discipline = rigueur. Mais la distinction est cruciale. La discipline est respectée lorsque la dette publique n’augmente pas durablement : lorsque le budget est en moyenne en équilibre. L’austérité, elle, correspond à une réduction du déficit ou une augmentation de l’excédent. Or l’on peut faire de l’austérité tout en laissant filer la dette, c’est ce qui se passe en Grèce où le gouvernement n’arrive pas à endiguer ses déficits. De même, on peut faire de l’expansion budgétaire alors que la dette diminue, c’est un peu ce que fait l’Allemagne en ce moment. La discipline est un concept de long terme. La politique budgétaire, par contre, fonctionne sur un horizon relativement court, de deux ou trois ans.

Faute d’avoir pris en compte le long terme, le pacte de stabilité a échoué. Le pacte de croissance vise à corriger cette erreur en autorisant de la flexibilité à court terme. L’astuce consiste à stabiliser le déficit structurel, qui corrige le vrai déficit de l’impact des cycles conjoncturels, et non le déficit observé, qui se détériore spontanément en période de ralentissement économique mais s’améliore en période d’expansion. C’est une veille idée, mise en œuvre avec succès un peu partout dans le monde.

L’autre erreur structurelle du pacte de stabilité a été de vouloir imposer la discipline de l’extérieur. C’est Bruxelles qui évaluait les politiques budgétaires nationales et imposait jusque-là des sanctions aux pays récalcitrants tout en laissant aux états membres le soin de conserver leur souveraineté en matière budgétaire.

Avec le nouveau pacte, ce n’est plus à Bruxelles de contrôler et imposer la discipline, mais à chaque pays souverain.

Dans ces conditions, les conditions dans lesquelles ces règles disciplinaires seront retranscrites au niveau national sont essentielles. La France a déjà inscrit la discipline budgétaire dans sa constitution (art. 40), mais sans la définir ni prescrire des méthodes pour la faire respecter. On connaît le résultat. Bien sûr, les politiques haïssent cette idée qui les obligera à faire des choix électoralement pénibles. Ils nous disent que les élus du peuple (gouvernement, Parlement) sont souverains et ne peuvent pas être soumis à des règles technocratiques. Étrange argument ! Tous les pays démocratiques ont inscrit dans leurs constitutions des règles qui limitent les errements potentiels des politiques, que ce soit en ce qui concerne les lois que peuvent invalider les Conseils constitutionnels, ou des principes intangibles (liberté d’expression, égalité des citoyens, etc.) que les autorités ne peuvent en aucun cas remettre en cause. La discipline budgétaire est un principe intangible que de nombreux pays ont inscrit de manière précise dans leur Constitution (Allemagne, Suisse, États aux États-Unis, Chili, Brésil et bien d’autres).  

Parce que les politiques essaieront toujours de contourner ce qui les dérange, la discipline budgétaire doit être décrite de manière simple et incontournable dans la Constitution. Hollande semble vouloir éviter de passer par la constitution. Ce serait émasculer la loi. Il semble aussi vouloir reprendre la règle d’or de Sarkozy, qui est si imprécise et si complexe qu’elle permet toutes sortes d’échappatoires. Les « lois cadres d'équilibre des finances publiques » planifient sur trois ans les efforts budgétaires requis pour assainir les comptes, sans imposer l’équilibre budgétaire. De plus, rien n’est prévu pour corriger des dérapages, aussi probables que le mouvement des rivières de l’amont vers l’aval.

Or il existe des formules simples et transparentes, donc incontournables. Un exemple est la règle dite du « frein à l’endettement » inscrite en 2009 dans la Constitution allemande. Cette règle exige l’équilibre des budgets structurels et requiert que tout dérapage de court terme soit compensé « dès que possible ». Elle encourage des relances en période de ralentissement conjoncturel mais exige des surplus en période de croissance rapide. Cette règle reprend en fait une loi adoptée en Suisse en 2001 et qui a fait ses preuves. Elle est simple et transparente, donc peu manipulable. Elle permet de la souplesse.

Pourquoi donc avoir inventé en France une loi complexe et fragile alors qu’une solution simple et efficace existe ? La célèbre exception française est invoquée, comme si la discipline budgétaire avait des caractéristiques nationales. Cette exception ne fait que cacher la volonté farouche des politiques de tous bords d’échapper à une contrainte qui réduirait leurs marges de manœuvre. Le président doit aujourd’hui avoir la vision et le courage d’aller à contre-courant de la classe politique qui a fait tant de dégâts sur cette question. S’il ne le fait pas, la France rejoindra bientôt la Grèce, l’Espagne et l’Italie dans une crise qui nous mettra sous le contrôle de Bruxelles et du FMI. L’austérité, déjà annoncée mais rebaptisée rigueur, devra être renforcée dans un ultime mais vain effort pour échapper à cette issue, tout comme Sarkozy a poussé la France vers la récession pour essayer de garder le AAA. Une bonne loi constitutionnelle, par contre, permettra d’éviter la rigueur au creux de la crise dans laquelle nous nous enfonçons.

Le président Hollande tient une occasion historique d’établir la discipline budgétaire et de nous faire sortir du carcan inutile du pacte de stabilité. Il suffit de remplacer la règle d’or de Sarkozy par un frein à l’endettement à l’allemande (ou à la suisse, s’il préfère), et de l’inscrire en toutes lettres dans la Constitution.