Trump, un succès sans précédent edit

Nov. 7, 2024

Pendant la longue campagne des présidentielles américaines, un fait attira l’attention et apparait rétrospectivement comme particulièrement significatif. Jeff Bezos, le richissime propriétaire d’Amazon et aussi du Washington Post, interdit à la rédaction du grand journal de prendre publiquement position en faveur de la candidate démocrate, Kamala Harris. De nombreux abonnés et tous les observateurs politiques en conclurent que Bezos prévoyait l’élection de l’ancien président et craignait pour ses affaires des mesures de rétorsion de Donald Trump si son journal soutenait trop ouvertement son adversaire démocrate.

Cette attitude montrait que l’establishment économique était prêt à se rallier à un président qui n’a jamais dissimulé sa volonté de gouverner de manière autoritaire et en défiant les règles de base de la démocratie américaine.

Toutefois, si bien des indices laissaient prévoir ce succès, personne, même dans le camp républicain n’avait imaginé une victoire d’une telle ampleur. Ses causes sont révélatrices des profondes mutations des deux grands partis Démocrate et Républicain.

L’échec de Kamala Harris est attribué par certains au fait qu’elle était une femme de couleur. Cette affirmation doit cependant être nuancée. Obama  a été élu et réélu en dépit de ses origines africaines et les sondages ont montré que les électrices soutenaient massivement la candidate : 56% contre 38% pour Trump bien que les chiffres soient inversés pour l’électorat masculin.

Deux facteurs sans doute plus importants ont joué : le désaveu de la présidence Biden et la mutation de l’électorat non blanc, notamment des latinos et des asiatiques.

La crainte de l’inflation

Toutes les études d’opinion ont montré que seule une minorité d’environ 38% avait une vision positive de la présidence de Biden alors que 48% gardait un bon souvenir des quatre années de mandat du Républicain. Une majorité d’électeurs a été marquée par l’inflation au cours des deux premières années de mandat du Démocrate. Certes cette inflation a été maîtrisée grâce à l’action efficace de la Réserve fédérale mais les catégories les moins aisées de la population ont fait valoir que leurs dépenses de nourriture, de loyer et de transports étaient très supérieures à celles d’avant 2020. Certes une partie de l’électorat a été sensible au plaidoyer de Kamala Harris en faveur du rétablissement du droit à l’avortement mais celui-ci a eu souvent recours au split vote, approuvant un référendum local en faveur de ce rétablissement mais votant quand même pour Trump.

Les dirigeants démocrates ont sous-estimé l’ampleur de cette réaction, d’autant plus que leur électorat a continué à évoluer en sens contraire. Une part croissante des diplômés appartenant aux catégories les mieux rémunérées est passé dans le camp démocrate alors que les blancs non diplômés se sont ralliés depuis 2016 au parti Républicain incarné par leur idole Donald Trump. Or ils représentent 45% de la population américaine.

Les grands quotidiens de la côte Est se sont étonnés du succès populaire d’un candidat multipliant les injures les plus vulgaires et les mensonges les plus éhontés. Or les enquêtes menées auprès des supporters du Républicain montrent qu’ils sont en général conscients du côté démagogique et excessif de ces discours, mais qu’ils considèrent qu’il s’agit d’un simple habillage électoral, sans conséquences. Pour eux, ils en sont convaincus, Trump une fois au pouvoir les ramènera vers les belles années du passé grâce à sa compétence d’homme d’affaires.

L’évolution des minorités en faveur des Républicains

Ce qui a encore plus surpris les dirigeants démocrates c’est l’évolution des minorités ethniques. Il s’agit tout particulièrement des latinos venus d’Amérique latine. Ils représentent aujourd’hui 20% de la population américaine soit beaucoup plus que la population afro-américaine et jusqu’à une date récente ils votaient à hauteur d’environ 80% pour les Démocrates. De ce fait, ceux-ci espéraient conquérir à moyen terme la majorité dans deux États riches et peuplés, le Texas et la Floride.

Or, on estime qu’en 2024, 40% des électeurs latinos ont voté pour Trump. Non seulement ses déclarations outrancières sur les périls mortels de l’immigration ne les ont pas rebutés mais ils y ont vu une forme de protection. Pour des immigrés de fraîche date, en effet, l’arrivée d’une nouvelle vague de migrants prêts à accepter de très bas salaires constitue une menace pour leur emploi. Au surplus, cette population est très conservatrice sur le plan des mœurs et n’apprécie pas le libéralisme transgenre de beaucoup de démocrates.

La population d’origine asiatique qui ne cesse de progresser évolue dans le même sens et abandonne progressivement le parti démocrate.

Ces bouleversements électoraux remettent en cause l’identité des deux grands partis. Le parti républicain autrefois émanation des classes les plus aisées favorables au libre échange et à un rôle international actif est devenu un parti populiste et isolationniste. Le parti démocrate a perdu l’appui des catégories les plus modestes qui firent le succès de Roosevelt et, dans une moindre mesure d’Obama ainsi que d’une grande partie des minorités. Les chiffres du scrutin de 2024 le montrent, ce parti court le risque de devenir structurellement minoritaire dans le pays.

Vers un pouvoir autoritaire

Compte tenu de ces éléments, on peut déjà se faire une idée d’un futur gouvernement Trump. Il a clairement indiqué son programme axé sur l’expulsion massive des immigrés et le relèvement tout aussi massif des droits de douane des produits importés de Chine et d’Europe. Toutefois ce qui est plus inquiétant c’est l’action prévisible de son entourage qui sera très différent des personnalités qui avaient peuplé la Maison Blanche lors de son premier mandat. Trump a clairement indiqué qu’il accordait la priorité à la fidélité sur la compétence et qu’il comptait sur la mise en place de nouvelles équipes à la Justice et au FBI pour régler ses comptes avec tous ceux qui l’ont trahi ou même simplement critiqué.

De ce point de vue le rôle d’Elon Musk sera sans doute moins important qu’annoncé. L’ignorance du milliardaire pour le complexe écheveau des intérêts qui se disputent l’influence et les crédits à Washington font douter de l’efficacité de ses plans grandioses d’économies. Ceux-ci risquent de déboucher sur de sérieux conflits d’intérêt, compte tenu de l’ampleur des crédits fédéraux dont bénéficie déjà le patron de X et Tesla.

L’influence de J.D. Vance sera probablement plus dangereuse. L’éditorialiste conservateur mais antitrump du New York Times Bret Stephens a coutume de dire que Vance est plus redoutable car il partage les mêmes convictions que Trump mais il est beaucoup plus intelligent. Contrairement à la plupart des politiques américains, Vance est un doctrinaire, converti il y a quelques années à un catholicisme d’extrême droite qui défend les principes d’une véritable théocratie.

On peut donc s’attendre à des actions menaçant la liberté d’expression et le fonctionnement normal de la démocratie par un couple présidentiel bénéficiant de la majorité au Séant et de la complaisance de la Cour Supreme qui a rendu en juin dernier une décision exonérant le président en exercice de toute poursuite pour ses actes même illégaux.

La démocratie américaine affronte donc une crise majeure que semble soutenir une majorité de l’électorat.