Départementales: des élections de confirmation edit

9 juillet 2021

Comme les élections régionales organisées simultanément, les élections départementales des 20 et 27 juin 2021 ont été marquées par quatre traits principaux : un effondrement de la participation électorale, une poussée des sortants quelle que soit leur orientation partisane, un reflux du RN et une incapacité de la majorité présidentielle à percer localement. Ces dynamiques ont essentiellement profité à la droite classique. Grâce à ses sortants et à sa capacité à éviter toute dissidence, elle a réaffirmé sa domination sur la France des départements dans le prolongement de sa large victoire des élections départementales de mars 2015. Dans la logique des élections intermédiaires (Parodi, 1983), la droite UMP-UDI-DVD avait alors été la principale bénéficiaire de la forte sanction contre le gouvernement socialiste en métropole, conquérant plus de 650 sièges sur les 3990 en jeu et faisant basculer 27 départements contre une seule perte (Martin, 2015). Dans une logique de confirmation, l’alliance LR-UDI-DVD a cette année légèrement accentué son avantage en départements (5 bascules contre 4 pertes), même si elle a reculé de quelques 200 sièges (2112 au final contre 2348 en 2015).

L’offre

En France métropolitaine, les élections départementales de 2021 concernaient le renouvellement de 92 assemblées[1], soit 1969 cantons[2]. Le mode de scrutin binominal à deux tours, instauré avec la création des conseillers départementaux en 2015, a été maintenu. Ce mode de scrutin exige que les candidatures soient déposées sous la forme de binômes composés d’un homme et d’une femme, avec un remplaçant et une remplaçante[3].

Avec 7619 binômes candidats contre 8824 lors du scrutin de 2015, l’offre électorale s’est sensiblement réduite passant en moyenne de 4,4 à 3,9 binômes par canton. Cette baisse du nombre de candidatures a été le fruit de deux mouvements contraires : (1) la généralisation des candidatures uniques à gauche ; (2) l’accroissement de la présence de binômes centristes représentant la majorité présidentielle.

La transformation de la structure des candidatures à gauche mérite de l’attention. Peu soulignée par les observateurs, focalisés sur la perspective d’une candidature unique de la gauche pour la présidentielle de 2022, elle marque pourtant une rupture dans la vie politique départementale en France. Depuis sa refondation lors du Congrès d’Épinay, le PS (avec ses satellites PRG et DVG) présentait de manière quasi systématique un candidat dans chaque canton, comme le faisait aussi le PCF. Lors des départementales de 2015, l’autonomie était encore la norme : le PS était présent sans alliance avec le PCF ou EELV dans 1525 cantons, tandis que le PCF était présent (allié avec le PG dans le cadre du Front de Gauche) dans 1502 cantons. Lors des scrutins de 2021, l’autonomie est brusquement devenue l’exception : le PS n’est parti sans accord avec EELV et/ou le PCF que dans une dizaine de départements seulement. Résultat, le PS ne soutenait un binôme avec au moins un candidat issu de ses rangs que dans 874 cantons, donnant un bruyant écho à la crise militante qu’il traverse depuis son effondrement électoral du printemps 2017. Comme lors des élections municipales de mars 2020, lors desquelles il s’était pour la première fois rangé derrière des têtes de liste EELV dans plusieurs très grandes villes (Gougou, Persico, 2020), le PS confirme qu’il a perdu sa centralité dans l’espace partisan de la gauche.

Au-delà de ces recompositions partisanes, l’offre électorale est restée largement structurée par le poids des sortants. Sur les 15.238 candidats, 2.694 étaient sortants, soit 17,6 % des candidats. C’est nettement plus que lors des précédentes départementales, où le redécoupage cantonal avait en partie redistribué les cartes (12 % de conseillers généraux sortants parmi les candidats). Dans 1733 cantons, on retrouvait au moins un sortant, soit dans 88 % des compétitions. Là encore, c’est nettement plus qu’en 2015 (81 % des compétitions). Pour des élections qui affichent en général un taux de réélection des sortants élevé (Gougou, 2015), l’offre électorale n’annonçait pas de grands bouleversements.

NB : Les candidatures et les résultats ont été transmis par le Ministère de l’Intérieur, puis un travail considérable d’étiquetage des candidats a été effectué pour produire ce tableau. Quand les candidats d’un binôme n’ont pas la même étiquette, les voix du binôme sont partagées à moitié. Les candidats sans étiquette partisane qui sont en binôme avec un candidat issu d’un parti sont comptés avec ce parti.

Les résultats du premier tour (tableau 1)

L’effondrement de la participation a été amplement commenté au soir du premier tour, entraînant une vague de catastrophisme sur l’état de la démocratie en France. Il est vrai qu’avec 33,2 % de votants, les élections régionales et départementales ont enregistré le plus bas niveau de participation à des scrutins d’organisation nationale dans l’histoire de notre pays, en recul de 17 points sur 2015. Pourtant, ce recul n’a rien d’étonnant : depuis les années 1980, la France connaît une dynamique générale de déclin de la participation à tous les types de scrutins, à l’exception de la présidentielle. Cette dynamique structurelle, qui renvoie à l’affaiblissement du sens du devoir civique dans les nouvelles générations de citoyens, agit comme une lame de fond que seul un contexte particulièrement mobilisateur (mécontentement massif contre le gouvernement, attentats, etc.) peut enrayer temporairement. Ce n’était pas le cas en 2021.

En 2010 et 2011 déjà, l’effondrement de la participation aux régionales (-16 points) puis aux cantonales (-19,8 points) par rapport à 2004 avait stupéfait. À l’époque, la désynchronisation des deux scrutins avait été pointée parmi les causes de ce recul et avait occasionné un vif débat entre Christine Fauvelle-Aymar d’un côté (Fauvelle-Aymar, 2011a, 2011b), Simon Labouret et moi-même de l’autre (Gougou, Labouret, 2011a, 2011b). Nous soutenions que le fait que les deux scrutins n’aient pas été tenus simultanément expliquait, au mieux, 2 points de recul de la participation par rapport aux élections de 2004. Aujourd’hui, force est de constater que l’organisation conjointe des deux scrutins ne produit pas d’effet mobilisateur.

Avec 33,9 % des suffrages exprimés, la droite classique LR-UDI-DVD s’est nettement rétablie par rapport à son score désastreux des européennes de 2019 (16 %), même si elle enregistre un recul de 2,7 points sur 2015. Son redressement s’est effectué aux dépens de la majorité présidentielle (9,3 %) mais surtout du RN, qui avec 18,5 % enregistre un recul de 7,2 points par rapport à 2015. Ce redressement s’explique exclusivement par l’impact de ses sortants : dans les 922 cantons où elle s’appuyait sur la présence d’un sortant, la droite classique progresse de 6 points sur 2015 ; dans les autres types de cantons, elle recule (tableau 2).

Cet impact des sortants se retrouve de manière symétrique à gauche : dans les 612 cantons où elle avait un sortant, elle progresse de 7,9 points sur 2015 alors que dans les autres types de cantons, elle est en recul. Cela lui permet de retrouver peu ou prou son niveau de 2015 (36 contre 36,6 %) et de se rétablir légèrement sur les européennes de 2019 (+ 4 points).

Le bilan du second tour

Avec le très fort recul de la participation électorale, seulement 116 cantons ont été pourvus au premier tour, de nombreux binômes étant mis en ballotage avec plus de 50 % des exprimés mais moins de 25 % des inscrits. La polarisation autour des sortants de gauche et de droite classique, combinée au reflux du RN, a profondément modifié la nature du second tour par rapport aux scrutins de 2015. D’abord par les configurations d’affrontement : 1829 duels contre une seule triangulaire et 23 cas avec un seul binôme, contre 1565 duels, 275 triangulaires et 13 cas avec un seul binôme en 2015. Ensuite, par l’identité des compétiteurs : le RN a pu se maintenir dans 575 seconds tours (31 % des duels) alors qu’il était encore en compétition dans 1107 des 1853 seconds tours en 2015 (60 %).

Les résultats du second tour ont confirmé ceux du premier, avec une nette victoire de la droite classique, qui a confirmé la vague bleue de 2015. Le RN a encore une fois subi le front républicain et confirmé son impuissance à l’emporter dans le cadre de scrutins à deux tours. Il a même reculé en sièges par rapport à 2015, passant de 62 à 28. Comme au premier tour, le poids des sortants a été crucial.

Le troisième tour a entériné le basculement des Alpes-de-Haute-Provence, de l’Ardèche, du Finistère (PS) et du Val-de Marne (PCF) de gauche à droite, ainsi que du Puy-de-Dôme de la majorité présidentielle à la droite. En sens inverse, la Charente, les Côtes-d’Armor et le Tarn-et-Garonne sont passés à gauche, tandis que la majorité présidentielle a récupéré la présidence de l’Eure dans le cadre d’une alliance avec la droite. Au final, ces élections départementales ont été marquées du sceau du localisme, à l’image des élections municipales de 2020. Une forme de désynchronisation entre la vie politique nationale et la vie politique locale se développe depuis l’entrée probable dans un nouvel ordre électoral en 2017. Les élus locaux des grands partis de l’ancien monde, LR comme PS, ne devraient pas le regretter.

[1] Les données présentées dans cet article concernent ce périmètre. Pour arriver à ce total, il faut retrancher des 96 départements Paris (où les élections municipales distribuent les compétences départementales), la Haute-Corse et la Corse-du-Sud (qui font l’objet d’élections territoriales), et ne compter désormais qu’une seule assemblée pour le Bas-Rhin et le Haut-Rhin (l’Alsace).

[2] Ce nombre de cantons a légèrement reculé par rapport aux départementales de 2015 avec la création de l’Assemblée de Corse (26 cantons en moins). Comme en 2015, tous les cantons étaient à pourvoir alors que les anciennes élections cantonales concernaient la moitié des départements tous les 3 ans.

[3] Pour être élu au premier tour, un binôme doit dépasser 50 % des exprimés et 25 % des inscrits. Si ces deux conditions ne sont réunies par aucun binôme, un second tour est organisé où la majorité relative suffit. Sur le second tour, seuls les deux binômes arrivés en tête du premier tour, ainsi que tous les binômes ayant dépassé 12,5 % des inscrits au premier tour, peuvent se maintenir.

Références

Fauvelle-Aymar Christine (2011a), « Participation in the 2010 French regional elections: The major impact of a change in the electoral calendar », French Politics, 9 (1), 1-20

Fauvelle-Aymar Christine (2011b), « The change in the electoral calendar had a MAJOR impact on turnout at the 2010 French regional election: A reply to Gougou and Labouret’s comments on my paper », French Politics, 9 (3), 252-259

Gougou Florent (2015), « La fin d’un scrutin de notables locaux ? Les nouvelles élections départementales et le poids des élus sortants », Slowpolitix, 20 mars 2015

Gougou Florent, Labouret Simon (2011a), « Participation in the 2010 French Regional Elections: The Minor Impact of a Change in the Electoral Calendar. A Reply to Fauvelle-Aymar », French Politics, 9 (3), 240-251

Gougou Florent, Labouret Simon (2011b), « The 2011 French Cantonal Elections: The Last Voter Sanction before the Presidential Poll », French Politics, 9 (4), 381-403

Gougou Florent, Persico Simon (2020), « La poussée (inachevée) des Verts : leçons tirées du premier tour des municipales de 2020 », Notes de la Fondation pour l’Écologie Politique, 19, 2020-05

Martin Pierre (2015), « Les élections départementales de mars », Commentaire, 150, 323-330