G20 : le casse-tête des soldes extérieurs edit

9 novembre 2010

À l’approche du sommet de Séoul, le Secrétaire américain au Trésor Tim Geithner a récemment proposé que les pays du G20 « mettent en œuvre des politiques en accord avec la réduction des déséquilibres externes en-dessous d'un certain pourcentage du PIB » (il envisageait 4%). Les pays qui enregistrent des déficits persistants devraient stimuler l'épargne, et les pays en excédent persistant « stimuler les sources internes de croissance et soutenir la demande mondiale ». Le Fonds monétaire international serait chargé d'évaluer les efforts, de suivre les progrès en direction des objectifs fixés, et de vérifier la cohérence de l'ensemble.

Quelques jours plus tard, le Conseil européen (c'est-à-dire les chefs d'Etat et de gouvernement de l'UE) a approuvé un rapport sur la gouvernance économique préparé par son président, Herman Van Rompuy. Le rapport appelle à la prévention des déséquilibres extérieurs dans la zone euro, et propose que les pays en « position de déséquilibre excessif » fassent l'objet d'un suivi, de recommandations et, en dernier lieu, de sanctions financières.

Les motivations à l’origine ces deux initiatives diffèrent. De toute évidence, l'administration américaine cherche un moyen de sortir de l'impasse dans laquelle elle s’est mise sur la question du taux de change chinois. Elle demeure en même temps préoccupée par l'ampleur et le rythme du rééquilibrage de la demande entre les pays en déficit extérieur et les pays excédentaires, rééquilibrage que l'économiste en chef du FMI, Olivier Blanchard, a qualifié de trop lent. Une surveillance des comptes extérieurs est donc considérée par Washington à la fois comme un moyen de recadrer le débat avec la Chine et comme une manière de favoriser un réajustement mondial plus large. La lettre de Geithner sous-entend que ce sont avant tout les pays excédentaires qui devraient œuvrer davantage pour la demande intérieure et laisser leur monnaie prendre de la valeur.

Pour l'Union Européenne, l'objectif est différent. Plutôt que de surveiller l'ajustement entre pays excédentaires et pays déficitaires, le but, ici, est de changer les règles du jeu. Durant les dix premières années de l'euro, la doxa a été que seuls les déficits budgétaires constituent une menace pour la stabilité. Les déséquilibres extérieurs n'étaient pas considérés comme préoccupants tant qu'ils résultaient de décisions privéee d’épargne et d'investissement. Que la crise ait frappé l’Espagne, qui enregistrait en 2007 un excédent budgétaire (mais dont le déficit extérieur était de 10 pour cent du PIB), a montré la fausseté d'un tel point de vue. Désormais, l'objectif affiché est donc d'éviter les déficits extérieurs « excessifs ». L'attention est beaucoup moins portée aux excédents, d'autant que l'Allemagne insiste pour dire qu'il n'y a rien de mal à épargner.

Ces initiatives marquent toutes deux une rupture avec le benign neglect des années 2000. À l'époque, nombreux étaient ceux qui partageaient l'avis exprimé par Richard Cooper, de Harvard, selon lequel, du fait que les États-Unis avaient un « avantage comparatif dans la production d’actifs financiers », les épargnants du monde entier voulaient y investir, ce qui signifiait que les déficit et excédents extérieurs, « bien que conventionnellement décrits comme des déséquilibres, ne [signalaient] pas nécessairement un problème économique ». L'Europe n'était pas en reste d'explications fantaisistes pour ses propres déséquilibres externes : par exemple, celle selon laquelle tous les Européens voulaient acquérir une résidence secondaire sur les plages espagnoles.

Reconnaître l'importance des comptes extérieurs n'est toutefois qu'une étape. Il est plus difficile de déterminer ce qu'ils devraient être, comment inciter à les corriger, et comment gérer l'asymétrie entre déficits et excédents.

En ce qui concerne la première question, les économistes sont catégoriques : il n’est pas possible de dire ce qu’est le bon solde extérieur. Le but même de la libéralisation financière est de rendre l'épargne nationale et les décisions d'investissement indépendants l'un de l'autre. Les citoyens d'un pays peuvent vouloir épargner parce qu'ils vieillissent ou emprunter parce que leur revenu est en croissance rapide, indépendamment des décisions d'investissement. C’est particulièrement visible dans les pays d’Europe de l'Est, qui ont engagé leur transition vers le marché avec un stock de capital obsolète et une main-d'œuvre qualifiée. Le financement de la mise à niveau de leur capital par l'épargne étrangère, en partie sous la forme d'investissements étrangers directs, a été la bonne solution. En revanche, dépendre de flux de capitaux à court terme pour le financement d'investissements immobiliers dans un contexte de hausse des prix des logements est dangereux. Autrement dit, le même déficit peut être parfaitement sain ou non viable, selon le solde épargne-investissements correspondant et la composition des entrées de capitaux. On peut donc utiliser les soldes des comptes courants comme indicateurs, s’en servir pour déclencher un débat ; en revanche, des objectifs généraux, uniformes, n'auraient pas de sens.

La deuxième question soulève une foule d'interrogations quant aux leviers qu'il faut actionner afin de déclencher un ajustement. Contrairement au solde budgétaire, le solde extérieur résulte de l’agrégation d'une multitude de décisions individuelles. Pour le corriger, il peut être nécessaire d’avoir recours à des mesures budgétaires ou des changements dans le système de sécurité sociale, la structure de la fiscalité, la réglementation des marchés de produits et des marchés financiers, ou la politique de change, pour ne nommer que quelques domaines. Le débat implique donc une série de domaines, dont certains sont traditionnellement considérés comme intrinsèquement nationaux. Là encore, le cas européen est intéressant : l'une des raisons pour lesquelles l'UE n'a pas corrigé les déséquilibres externes au début des années 2000 est qu'il était politiquement opportun de prétendre que seules comptaient les questions d'équilibre budgétaire, et, pour le reste, de s’entendre pour éviter que les pays membres se mêlent trop des affaires des voisins. Pour qu'un débat au G20 sur les comptes courants soit fructueux, un degré suffisant de confiance mutuelle est donc nécessaire, ainsi qu'une confiance en l'institution chargée de préparer les évaluations et de conduire la surveillance – ici, le FMI. Pour l'instant, la confiance manque, du moins en Asie.

La troisième question est peut-être encore plus difficile. Elle n'a jamais été résolue depuis que Keynes l'a posée à l'époque des débats sur le système monétaire de l’après-guerre. Déficits et excédents étant les deux faces d'une même médaille, chercher à réduire les uns sans faire de même pour les autres aboutirait à une récession mondiale : en fin de compte, réduire les déficits conduit inévitablement à une réduction des surplus, soit du fait d'une demande accrue dans les pays excédentaires, soit en raison de l'augmentation du chômage dans le monde. Mais ceci étant dit, déficits et excédents ne peuvent être considérés comme des menaces équivalentes. Le déficit est une menace parce que les marchés de capitaux peuvent à un moment donné arrêter de le financer. Le surplus est une menace parce que le pays en excédent peut à un moment donné perdre une partie de ses avoirs extérieurs. Ces développements ne sont pas équivalents. Dès lors, comment la communauté politique internationale pourrait-elle les gérer de façon symétrique ? Voilà le problème que personne encore n'a pu résoudre. Dans sa stratégie interne, l'UE propose d'utiliser une gamme d'indicateurs, certains symétriques et d'autres non. L'astuce est habile, mais doit encore passer à l'épreuve de la réalité.

En définitive, un débat sur les soldes extérieurs au sein du G20 pourrait être bénéfique, à condition (a) que les objectifs rigides sont évités ; (b) que les débats politiques soient suffisamment larges pour pouvoir impliquer un éventail important de domaines et suffisamment spécifiques pour identifier les remèdes politiques ; et (c) qu'une manière de gérer les surplus et les déficits soit trouvée, tout en reconnaissant que ce ne sont pas exactement les mêmes choses. Voilà un combat difficile, pour un G20 qui jusqu'à ce jour n'a pas beaucoup cherché à nommer les politiques que ses membres devraient entreprendre.