«Affronter». Oui, mais qui et avec qui? edit

24 novembre 2021

Dans l’ouvrage qu’il vient de publier (Affronter, Stock, 2021), François Hollande estime que la social-démocratie « retrouve des couleurs avec la pandémie en Europe ». En France, seule une gauche de gouvernement est à même, selon lui, d’affronter les défis du temps. Réaffirmant sa fidélité aux valeurs de la social-démocratie, il propose aux socialistes français un programme. Le problème est qu’il manque dans son livre l’énoncé d’une stratégie qui permette au PS de redevenir le parti de gouvernement qu’il appelle de ses vœux. La définition d’une telle stratégie doit en effet partir d’une analyse approfondie de l’élection présidentielle de 2017, de la situation actuelle de la social-démocratie européenne, de l’exercice du pouvoir d’Emmanuel Macron et de la situation du PS à la veille de l’élection présidentielle de 2022. Faute de mener à bien cette analyse, l’appel au renouveau du socialisme français apparaît plutôt chez François Hollande comme un acte de foi. 

L’élection présidentielle de 2017

Étonnamment, François Hollande s’attarde peu sur l’élection présidentielle de 2017 et sur la fin de son quinquennat. Certes, il déplore les divisions de la gauche et le « coup de poignard » des frondeurs. Mais il ne commente pas les 6% du candidat socialiste, et en particulier le fait qu’une bonne moitié de son électorat de 2012 a voté Macron dès le premier tour en 2017. Il ne souligne pas que cette élection marque en réalité la fin des espoirs mis dans le rétablissement d’une unité de la gauche alors que son quinquennat a vu s’affronter violemment deux gauches irréconciliables.

Hollande admet que la déconstruction de la gauche et l’action des frondeurs ont ouvert un large espace à Macron mais il n’en tire aucune conclusion pour l’avenir. Au contraire, il estime que pour que la social-démocratie l’emporte à nouveau en France, la candidate du Parti socialiste doit réactiver « le clivage entre la gauche et la droite, établir des distinctions, éclairer des choix dans le respect des positions de chacun ». D’où son opposition au scrutin proportionnel : celui-ci donnerait « aux extrêmes une place qui rendrait aléatoire la formation d’une majorité cohérente. Sauf à imaginer des coalitions hétéroclites. Il signerait  la fin du clivage gauche-droite et conduirait nécessairement à un gouvernement d’union nationale qui ferait précisément la part belle aux populistes ». « Le destin des partis de gouvernement, ajoute-t-il, repose sur la clarification d’une stratégie à travers des alliances assumées. » Mais de quelle stratégie et de quelles alliances s’agit-il alors que  le Parti socialiste est toujours aussi faible et que la gauche est toujours aussi divisée ?

La relation passionnelle, compréhensible, que François Hollande entretient avec son ancien ministre l’empêche d’analyser froidement les raisons de sa victoire. On a l’impression qu’il la considère comme un simple accident. Reprenant à son compte l’idée selon laquelle la crise de la gauche est la conséquence de la volonté de Macron de « détruire les formations politiques du passé », et estimant quEn Marche, « sorti du néant, y retournera »,  il ne veut pas admettre que le PS s’est suicidé et que la gauche s’est défaite avant même que Macron ne se soit lancé à l’assaut du pouvoir ; que c’est cette situation qui, autant sinon plus que la déclaration de candidature de Macron, a empêché Hollande de se représenter. Pour adopter une stratégie réaliste, plutôt que d’analyser l’action de Macron comme une fuite en avant, sans stratégie réfléchie, il devrait cesser de considérer sa victoire comme un simple accident.

La situation de la social-démocratie européenne

François Hollande estime que la social-démocratie « reprend partout de la vigueur ». Ainsi, écrit-il, « la social-démocratie allemande, que l’on décrivait moribonde, occupe après les élections de septembre une place centrale. En Espagne, au Portugal, dans les pays scandinaves, elle gouverne. En Italie demeure un centre-gauche, pilier de la coalition de Mario Draghi. Au Royaume-Uni, les travaillistes succèderont un jour ou l’autre aux conservateurs ». Ce tableau idyllique doit être retouché. En Allemagne, le SPD a certes regagné cinq points en 2021, égalant son résultat de 2009 avec 25% des suffrages. Mais il faut rappeler qu’il obtenait 43% en 1980 et encore 41% en 1998. En outre il a obtenu ce résultat grâce à sa participation au gouvernement de coalition dirigé par la CDU alors que son candidat à la chancellerie, vice-président de ce gouvernement, s’était présenté comme l’héritier d’Angela Merkel. Le SPD a toujours refusé l’alliance avec l’extrême-gauche. En Espagne, le gouvernement de Mario Sanchez est très affaibli après le terrible camouflet du PSOE lors des récentes élections régionales de Madrid présentées comme une sorte de référendum sur la politique gouvernementale. Les enquêtes d’opinion placent désormais le Parti populaire devant ou à égalité avec le PSOE en cas d’élections législatives. En Italie, le Parti démocrate participe à un gouvernement d’Union nationale qui comprend les populistes de Cinque Stelle, le parti de Berlusconi et l’extrême-droite de la Ligue, gouvernement qui est dirigé par un technocrate, Mario Draghi, ancien cadre de Goldman Sachs et ancien président de la BCE. La stratégie du chef du gouvernement est de reconfigurer l’espace politique à partir du centre dans une situation d’effondrement du système partisan. Au Portugal, le refus de l’extrême-gauche de voter le budget du gouvernement à direction socialiste vient d’entraîner la rupture de l’union de la gauche et la convocation de nouvelles élections. Enfin, si une victoire du Parti travailliste britannique ne peut être exclue, les profondes divisions de ce parti et le fort renouveau nationaliste en Angleterre la rendent cependant aléatoire.

L’exercice du pouvoir d’Emmanuel Macron

Quelles que soient les critiques que l’on peut adresser au pouvoir macroniste, la relation qu’Hollande entretient avec l’actuel président l’amène, en se situant comme un commentateur politique plutôt qu’un ancien président, à sous-estimer les graves crises qu’Emmanuel Macron a dû affronter tout au long de son quinquennat et, de ce fait, à porter un jugement excessivement négatif sur son bilan. Il est injuste, dans la dramatique et extraordinaire crise sanitaire causée par la pandémie, d’écrire que « les milliards sortent de nulle part pour aller je ne sais où » alors que le « quoi qui l’en coûte » a représenté une politique de redistribution que l’on peut certes critiquer mais qui n’en a pas moins été la plus généreuse depuis la Libération. De même, Hollande mentionne à peine le mouvement des Gilets jaunes, notant simplement qu’il était «  motivé par un sentiment d’abandon  que je comprenais aisément », mais sans souligner le danger qu’il a représenté pour notre démocratie représentative. Il est tout aussi injuste de décrire Macron comme « changeant d'opinions au gré des événements », « sautant d'une conviction à l'autre comme une grenouille sur des nénuphars ». Il lui reproche notamment d’utiliser « la présidence européenne de la  France à des fins politiques » alors qu’il a toujours défendu l’idée européenne face aux souverainistes.

Enfin, en reprochant à Macron la suppression de l’ISF (d’ailleurs partielle) et la défiscalisation des revenus du capital et des heures supplémentaires qui, selon lui, ne font que prolonger la politique du président Sarkozy, Hollande poursuit le procès habituel en droitisation intenté de longue date par la gauche. Il oublie qu’étant président de la République, après avoir surtaxé le capital, il a lui-même changé de politique : prenant en compte les problèmes de coûts de production, et renonçant aux politiques qui bridaient la compétitivité des entreprises françaises, il a privilégié une politique de l’offre afin d’augmenter leur attractivité. Le CICE et la loi El Khomri, cette dernière impulsée au départ par le ministre Macron, furent les premiers pas dans une direction poursuivie plus tard par le président Macron lui-même. Hollande regrette-t-il la politique qu’il a menée, et, si non, pourquoi souhaite-t-il une restauration du clivage gauche-droite qui, comme son quinquennat l’a montré, interdit précisément de mener de telles politiques ? Quant à la réduction des droits des chômeurs, n’y avait-il pas une anomalie à supprimer lorsque des chômeurs recevaient des indemnités supérieures à ce que des salariés gagnaient en travaillant ?

Un parti sans boussole

Lors de la prochaine élection présidentielle aucun candidat de gauche ne peut espérer être qualifié pour le second tour, la candidate socialiste risquant même de ne pas dépasser 5%. La gauche, plus divisée et plus faible que jamais, ne peut espérer, dans ces conditions, voir le clivage gauche-droite organiser à nouveau le fonctionnement du système partisan. Quand il appelle au rétablissement de ce clivage, on ne perçoit pas clairement quelle stratégie crédible François Hollande propose au Parti socialiste.

On en revient alors au problème central et permanent du socialisme français. Tant qu’il n’auront pas fait réellement leur Bad Godesberg – le congrès du SPD de 1959 où le parti allemand avait clairement rompu avec le marxisme et adopté le principe de l’économie sociale de marché – les  socialistes français continueront de considérer comme des trahisons les politiques de compromis avec le libéralisme économique. C’est ce qui s’est passé lors du quinquennat précédent. Il est dommage et surprenant de voir François Hollande, celui-là même qui a tenté d’imposer de telles politiques, appeler à la renaissance de la social-démocratie française sans admettre qu’elle ne peut être refondée que sur cette rupture et sur ce principe.

Puisque l’extrême-droite sera probablement présente au second tour de la prochaine élection présidentielle, ne serait-il pas temps pour François Hollande, usant de son autorité d’ancien président de la République, de préparer psychologiquement son parti à lui faire barrage et donc à esquisser un rapprochement avec le démocrate qui a le plus de chances de l’affronter au second tour, Emmanuel Macron ? Il compare l’actuel président à un voyageur sans boussole. Mais quelle boussole offre-t-il, lui, à son propre parti ?