C’est l’économie, idiot! edit

25 mars 2015

Tétanisés par la montée du FN, les deux principaux partis manquent cruellement d’imagination stratégique. La droite essaie de récupérer ses électeurs passés au FN en développant des thèses proches, centrées sur l’immigration. La gauche essaye de re-diaboliser le FN et d’effrayer ainsi son électorat tenté par l’abstention-punition. On peut douter de l’efficacité de ces stratégies. À droite, la copie a peu de chance de charmer les déçus du Sarkozysme. À gauche, les déçus du Hollandisme se mobiliseront au second tour, quel que  soit le rival de Marine Le Pen. Le premier tour déterminera ce rival et prochain président. Ce sera le tour crucial et donc celui qui devrait faire l’objet de toutes les attentions.

Pour cela, les politiques ne doivent pas confondre diagnostic et symptôme. Toujours et partout on observe résistance à l’immigration et difficultés d’intégration d’une partie des immigrants. Mais les conditions économiques jouent un rôle primordial. Deux aspects bien connus entrent en jeux. D’abord, lors de récessions, les immigrants sont les plus touchés par le chômage. Ensuite, et ce n’est pas indépendant, les effets négatifs d’une récession sont plus puissants pour les personnes peu qualifiées. Ajoutez à cela le fait que l’inquiétude monte de façon générale lorsque les conditions économiques se détériorent, et on comprend une montée du ressentiment de la part de la population à l’égard des immigrants perçus alors comme des « voleurs d’emploi », alors qu’ils sont généralement bienvenus durant les phases d’expansion rapide quand la situation sur le marché de l’emploi se tend.

À partir de là, il n’est pas surprenant d’observer un certain nombre de développements durant une période de déprime économique particulièrement longue. La première observation est une montée de l’intolérance à l’égard des immigrés, surtout parmi les populations autochtones les plus touchées, en particulier les personnes peu qualifiées et ceux qui se retrouvent au chômage. Ensuite, le sentiment de marginalisation augmente parmi les populations immigrées ou nées de l’immigration. Ce sentiment est évidemment plus acéré parmi les plus touchés d’entre eux, les personnes peu qualifiées et donc les jeunes que les écoles de la République n’ont pas su former. Dans le bouillon de culture des banlieues largement désertées par la population autochtone, la conséquence naturelle est une montée de la criminalité et, dans certains cas, une allégeance aux mouvances anti-françaises et, plus généralement, anti-occidentales qui fournissent les bataillons du terrorisme. Le rejet répond au rejet.

Tout cela signifie que la réponse au FN doit avant tout être économique. Bien sûr, une solide reprise ne fera pas disparaître tous ces symptômes, mais c’est une condition nécessaire, et suffisante dans bien des cas. Lorsque les gens ont un emploi stable et gratifiant, ils deviennent rarement des criminels ou des terroristes. Une baisse franche et généralisée du chômage ne peut que réduire ces déviances. Il devient alors possible de limiter les innombrables dépenses sécuritaires qui ne sont pas productives et qu’il faut bien financer en alourdissant la pression fiscale. Cette pression est elle-même un puissant frein à la croissance et donc à l’emploi.

Ensuite, on ne le rappellera jamais assez, le chômage de masse n’est pas une fatalité. Il y a vingt ans, en 1995, le taux de chômage était de 10,2% en France, de 8,2% en Allemagne et de 8,5% en Grande-Bretagne. Aujourd’hui, il est de 10,4% en France, et de 4,9% et 5,6% en Allemagne et en Grande-Bretagne, respectivement. Pour expliquer de telles différences, nul besoin de prendre le microscope. Notre marché du travail n’a pas été sérieusement réformé – en fait, il a été détérioré avec les fameuses 35 heures – et il reste d’une rigidité proverbiale. Le SMIC, une véritable vache sacrée, rend les jeunes peu qualifiés inemployables, même en période de croissance soutenue. Il y a d’autres raisons au chômage de masse, mais elles sont du second ordre de grandeur, au mieux, et probablement beaucoup moins.

Ce n’est pas le FN qui va s’attaquer à ce chantier, son approche est à mille lieues de l’analyse économique, et ce n’est ni son objectif, ni son intérêt d’intégrer les immigrés dans le monde du travail. Mais les partis de gouvernement ? Ils seraient bien inspirés de ne pas se focaliser sur les idées du FN, mais de s’attaquer enfin aux causes qui font de l’immigration un problème, alors que ce devrait être une opportunité. En Allemagne et en Grande-Bretagne, également pays d’immigration, les partis anti-establishment qui montent sont hostiles à l’Europe, pas à l’immigration.

Réformer le marché du travail implique un conflit direct avec les syndicats, largement arc-boutés sur des positions inspirées de la lutte des classes. Il en va de même pour amener l’Éducation Nationale à ne pas se contenter de former les élites. Depuis vingt ans, aucun progrès ou presque. Jacques Chirac n’a rien fait. Nicolas Sarkozy a promis la rupture, mais il a vite épousé les vues du grand patronat qui ne veut pas de conflits avec les syndicats. François Hollande a promis de redistribuer les revenus et de mettre un terme à l’austérité. Il a taxé les riches, puis tout le monde, et il s’est laissé enfermer par l’Allemagne dans l’austérité.

Il est plus difficile de réformer maintenant, mais ce n’est jamais trop tard. La prochaine échéance est la présidentielle de 2017. On peut déjà imaginer l’argumentaire de tous ceux qui calent devant la réforme : s’engager à faire ce qu’il faut pour réduire le chômage de moitié serait le meilleur moyen de perdre les élections. C’est prendre les électeurs pour des imbéciles. Pourquoi ne pas les traiter en adultes, et réformer enfin sérieusement le marché du travail ?