Shutdown: peut-on mieux faire? edit

22 janvier 2018

Le 19 janvier à minuit, le gouvernement fédéral des États-Unis s’est retrouvé brutalement sans budget, forcé de « fermer » la boutique. Cela ne signifie pas que tout s’arrête mais simplement que le gouvernement doit respecter le budget voté l’année précédente, ce qui impose de couper immédiatement une partie des dépenses. Cette situation peut durer quelques jours ou quelques semaines, mais l’idée que le gouvernement du pays le plus puissant de la planète « ferme » est spectaculaire. En fait, c’est la conséquence d’un mécanisme bien maladroit destiné à limiter les déficits publics.n processus mortifère, des méthodes archaïques

La plupart des pays disposent d’une procédure pour essayer de limiter les déficits budgétaires. C’est bien normal. Partout les gouvernements sont affectés d’une tendance malsaine : le biais vers le déficit. Il consiste à s’accorder, année après année, une mauvaise raison pour dépenser plus que les recettes fiscales. Les électeurs y sont généralement peu sensibles, certains bénéficient (à crédit) des largesses de l’État et sont donc très contents, tandis que le remboursement est repoussé aux calendes grecques, laissant à chacun l’espoir diffus de ne pas être mis à contribution. Cette maladie génère un poison invisible – la dette publique –, qui enfle goutte à goutte  jusqu’à devenir un problème massif. Le cas de la Grèce illustre tristement ce processus mortifère.

Les mesures destinées à réduire le biais vers les déficit varient d’un pays à l’autre. Aux États-Unis, comme ailleurs, c’est le parlement qui vote le budget proposé par le président, ce qu’il a refusé de faire, d’où la fermeture. De plus la loi exige que le Congrès, la Chambre des représentants et le Sénat, fixent un plafond à la dette fédérale. Comme tout augmente au fil du temps, niveaux des revenus et des prix, dépenses publiques et recettes fiscales suivent le mouvement général, mais le biais vers l’inflation fait que les dépenses publiques tendent toujours à avancer plus vite que les recettes fiscales. Le déficit se creuse inexorablement et, périodiquement, la limite précédemment fixée est atteinte et une nouvelle autorisation du Congrès est nécessaire. Le Congrès adore car le Gouvernement est alors quémandeur. C’est le moment tant attendu où chaque représentant et chaque sénateur peut monnayer son vote en exigeant, qui l’agrandissement d’une base militaire située dans sa circonscription, qui une nouvelle autoroute et, qui une loi qu’il réclame sans succès depuis longtemps. Cette foire d’empoigne aboutit de temps à autre au rejet de l’autorisation et le Gouvernement doit alors brutalement stopper son déficit puisqu’il ne peut plus emprunter. Des artifices comptables permettent de gagner quelques jours ou quelques semaines mais, tôt ou tard, il faut couper dans les dépenses. On ne touche pas aux dépenses essentielles (hôpitaux, Défense, etc.) mais, peu à peu, des services publics sont réduits ou même stoppés. La grogne monte et met sous pression grandissante les acteurs de cette triste comédie. En résultent un nouveau plafond de dette et des dépenses accrues…. Ce n’est pas la bonne méthode !

Une régulation devenue plus « experte » en zone euro ?

Celle adoptée dans la zone euro n’est pas vraiment meilleure. Le Pacte de stabilité impose la fameuse limite de 3% du PIB pour les déficits publics, sous peine d’une amende. Depuis la création de l’euro, cette clause a été violée dans 45% des cas et aucune amende n’a jamais été imposée, et pour cause. Imposer une amende à un État démocratique souverain est politiquement irréaliste. D’autant qu’à certains moments un déficit s’avère utile, par exemple lorsque l’économie est en récession. Enfin, la limite de 3% est parfaitement arbitraire. On l’a vu en 2003 quand les deux plus grands pays de la zone, l’Allemagne et la France, ont obtenu que le pacte soit « suspendu ». Face à un pacte décrédibilisé, une première réforme a été adoptée en 2005, pour introduire un peu de souplesse mais cela n’a pas suffi puisque la crise des dettes souveraines a explosé en 2010. Une nouvelle réforme, adoptée en 2012, a multiplié les contraintes et les critères d’évaluation avant amende, créant un cauchemar bureaucratique sans en améliorer d’efficacité, bien au contraire sans doute.

Ces échecs ont amené plusieurs pays à se doter de mesures plus subtiles. La Suisse, suivie par l’Allemagne, a mis en place le « frein à l’endettement ». Dans ce système, le déficit ne doit pas excéder un certain niveau (0.25% du PIB en Suisse) mais des dépassements sont possibles. Ces dépassements sont comptabilisés et doivent être compensés dans les meilleurs délais, sur deux ou trois ans, ou plus. Cette procédure donne un peu de souplesse sans lâcher sur l’essentiel, mais la limite reste arbitraire. Pour l’instant, ça a marché et la dette publique baisse dans ces deux pays.

D’autres pays ont pris une route différente. Ils ont établi des conseils de politique budgétaire. Ces conseils, dont l’indépendance est garantie par la loi, ont pour mission de superviser les lois budgétaires avant leur adoption et d’en suivre la mise en œuvre. Ils doivent rendre publiques leurs opinions, mais n’ont pas pouvoir de décision. Dans certains pays, où ils sont constitués d’experts compétents, ces opinions sont prises au sérieux et ont un véritable impact. Il en est ainsi au Chili, aux Pays-Bas ou en Suède, par exemple. En théorie, de tels conseils indépendants sont désormais obligatoires dans la zone euro, mais leurs statuts et la qualité de leurs membres varient d’un pays à l’autre, et leur efficacité est, dans bien des cas, incertaine. La France dispose ainsi d’un Haut Conseil des finances publiques, dont on ne peut pas dire que les avis émeuvent les responsables politiques, et encore moins l’opinion publique.

Le biais vers le déficit est une caractéristique des pays démocratiques (et un mal endémique dans de nombreux pays non-démocratiques, mais c’est une autre histoire). La question n’est donc pas près de disparaître. Elle est complexe car elle met en jeu des questions économiques (la forme précise de la règle adoptée), légales (la loi est-elle inscrite dans la Constitution ou est-elle plus facile à changer, ce qu’a fait Viktor Orban en Hongrie) et institutionnelles (quelle est la place respective des élus et des experts dans une démocratie). Les méthodes anciennes sont brutales, comme dans le cas des États-Unis. La tendance est d’associer des règles fermes sur le long terme, mais flexibles sur le court terme, et des conseils indépendants chargés de proposer comment combiner ces deux exigences quelque peu contradictoires. C’est une question centrale pour la pérennité de la zone euro, non résolue depuis vingt ans et il n’y a aucune raison de penser que des progrès sont imminents. Mais au moins, pour une fois, nous pouvons nous dire que c’est mieux en Europe qu’aux États-Unis.