La croissance allemande est-elle durable ? edit

22 octobre 2007

Après presque une décennie de crise, l'économie allemande est finalement repartie. La croissance dépassera probablement 2,5% cette année, mettant un terme à la pire période de vaches maigres depuis les années 1950. Longtemps considérée comme l’un des « hommes malades de l'Europe », l'Allemagne a connu une croissance d’un tiers inférieure à la moyenne européenne ces dix dernières années. Beaucoup sont soulagés de voir repartir le moteur de l’économie européenne. La question est : pour combien de temps ? Ce regain de croissance est-il durable ?

Ce retournement de tendance est remarquable pour trois raisons. Tout d’abord, il a commencé par une croissance significative des valeurs boursières. L'index DAX a commencé à monter dès mars 2003, et il a gagné plus de 250% depuis lors. Les précédents rétablissements allemands étaient rarement accompagnés d’une hausse si forte et si constante de la Bourse. Pour mettre ces chiffres en perspective, la performance du DAX sur cette période a dépassé celle du CAC 40 d’à peu près 100%, et celle du MIBTel italien de 125%. Les investissements intérieurs et les investissements directs étrangers ont suivi, d’une façon vigoureuse.

Ensuite, le rétablissement s’est accompagné d’augmentations massives des exportations comme des importations, les unes et les autres augmentant de 33% en termes réels depuis 2003. L'Allemagne s’ouvre au commerce international comme elle ne l’avait encore jamais fait. S'il y avait un effet de demande derrière la croissance des exportations, il a sans aucun doute été dopé par une croissance des importations, elle-même au-dessus de la moyenne ; on sait que l’Allemagne est un champion mondial à l’export, mais elle en est aussi un à l’import, même si les dépenses de consommation, moteur traditionnel du rétablissement économique dans les économies de l'OCDE, n’ont commencé à croître qu’en 2006.

Enfin, la baisse du chômage a dépassé tout ce qu’on avait vu depuis les années 1960. Pour la première fois depuis les années 1970, un rétablissement s’est accompagné d’une tendance marquée à la baisse du chômage, et surtout du chômage à long terme. Ceci malgré une réforme du marché du travail qui a réintégré un demi-million d’Allemands valides dans les statistiques du chômage en janvier 2005. Même dans l’Est du pays, qui reste déprimé, le taux de chômage a connu une baisse significative.

Ceux qui voient dans ce rétablissement une simple conséquence de la hausse de la demande dans une économie mondiale en forte croissance se trompent. On se demande en effet comment ne pas lier la baisse sensible du taux de chômage allemand à la politique de l’offre et surtout aux réformes du marché du travail mises en œuvre depuis trois ans. La hausse des valeurs boursières a commencé en mars 2003, ce même mois où le chancelier Gerhard Schröder annonçait l'agenda 2010 qui a conduit aux lois Hartz. Des envolées boursières comparables ont eu lieu dans les années qui ont suivi les réformes Thatcher au Royaume-Uni et l'accord de Wassenaar (1982) aux Pays-Bas. Une évaluation informée doit conclure que le pays a commencé à s’ajuster aux pressions concurrentielles normales d’une union monétaire avec un marché interne libre. L'industrie allemande a utilisé une longue période de modération salariale pour se restructurer, augmenter sa productivité et restaurer sa compétitivité dans un marché mondial sous pression, notamment en sous-traitant à l’étranger les activités à faible valeur ajoutée. Le coût unitaire du travail a baissé d’environ 10% en Allemagne et l'inflation a été la plus faible de tous les pays de la zone euro depuis le début de l'union économique et monétaire en 1999. Grâce à cette dévaluation interne bien menée, l’Allemagne est désormais compétitive en Europe et hors d’Europe.

On pourrait s’attendre à voir les décideurs et les politiques allemands se flatter de ce rétablissement. Loin de là : en fait, une vague de mécontentement a secoué le pays dans les dernières semaines, et une bonne partie du travail mené dans les années récentes pourrait bien être remis en question. Les sociaux-démocrates, partenaires dans la grande coalition, n’ont pas encore fini de se remettre de la réaction violente de leur clientèle électorale traditionnelle après que l'ex-chancelier Schröder a introduit l'agenda 2010 et les réformes Hartz ; leur cote de popularité est au plus bas. Dans une tentative transparente de reconquérir les électeurs de gauche, Kurt Beck, un dirigeant du SPD, vient de proposer de « partager les fruits du rétablissement » en augmentant la durée des allocations chômage et en revenant sur l'élévation de l'âge de la retraite. Il considère qu’avec une croissance forte et des revenus fiscaux en augmentation, l'Etat-providence peut se permettre d'être plus social, et les sondages montrent que plus que 80% des Allemands soutiennent son initiative.

Dites, y a-t-il un économiste dans la salle ? Evidemment, l’équipe qui dirige aujourd’hui le pays a manqué une occasion-clé d'expliquer aux électeurs que les douloureuses réformes du marché du travail – baisses significatives du niveau et de la durée de la prise en charge du chômage, pression plus forte pour reprendre un travail, tout cela combiné avec la déréglementation de l’intérim et des marchés du travail à temps partiel – étaient malheureusement nécessaires pour retrouver la route de la croissance. Mais deux années ont passé sans pousser plus avant, et on a ainsi manqué une occasion de créer un consensus pour continuer les réformes au moment où la croissance reprenait. Les offres d’emploi sont à un niveau record, des tensions apparaissent sur le marché du travail ; avec un taux de chômage officiel autour de 8,5%, les salaires augmentent et les syndicats mettent la pression sur ce thème. Un coup d’œil sur les indicateurs suggère pourtant que le taux de chômage allemand n'est pas tombé aussi bas qu’on l’avait vu il y a vingt ans aux Pays-Bas, au Danemark, en Irlande et au Royaume-Uni. Contrairement à ces pays, l’Allemagne a commencé à réformer son offre, mais elle n’a pas terminé ce qu’elle avait commencé. Si elle abandonne aujourd’hui, elle en paiera le prix à la prochaine baisse, et le reste de l'Europe avec elle.