Les paradoxes de la «diagonale du vide» edit

31 janvier 2020

La diagonale du vide, c’est cette bande de territoire allant du Nord-Est de la France jusqu’au Sud-Ouest en passant par le Massif central, caractérisée par une faible densité démographique et une tendance à la dépopulation. Cette expression alimente souvent un discours alarmiste, voire catastrophiste, en opposant une France urbaine supposée riche et dynamique à une France rurale abandonnée, en voie d’appauvrissement et de désertification. Cette opposition est simpliste et le tableau de la diversité territoriale de la France est beaucoup plus complexe et composite. Une étude récente de l’INSEE[1] à partir du dernier recensement le montre à nouveau.

Reconnaissons tout d’abord que d’un strict point de vue démographique l’idée qu’une grande partie des territoires de faible densité et en déclin démographique se trouve bien sur cette fameuse diagonale est assez largement vérifiée. La carte ci-dessous, extraite d’un article de Sébastien Oliveau et Yoann Doignon, l’illustre bien.

Une nouvelle attractivité des territoires de faible densité

Néanmoins l’étude de l’INSEE déjà citée semble montrer que s’enclenche une tendance nouvelle. En effet, cette note montre que depuis 10 ans (entre 2007 et 2017) la croissance démographique a été surtout importante dans les communes de faible densité de population ou de densité intermédiaire, de petites communes peuplées pour 90% d’entre elles de 200 à 3000 habitants.

La population des communes densément peuplées a continué de progresser, mais uniquement parce que le nombre des naissances y a été nettement supérieur à celui des décès. A l’inverse, dans ces communes denses, le solde migratoire (le solde des arrivées et des départs de la commune entre 2007 et 2017) est négatif : du fait de ce solde migratoire négatif la baisse de la population y a été de -0,4% par an.

Examinons par exemple le cas parisien. Pour la première fois, entre 2011 et 2016, la capitale a perdu des habitants (-60 000). Le solde naturel est pourtant resté positif puisque le taux de natalité (13,1‰) est demeuré largement supérieur au taux de mortalité (6,2‰). Ce solde naturel est même largement supérieur à celui des années 1960-1970 durant lesquelles le taux de mortalité était beaucoup plus élevé (entre 14‰ et 15‰). Cet excès des naissances sur les décès a contribué à faire croître la population parisienne de 0,7% par an sur la période. Cependant, malgré cette démographie relativement dynamique la ville, au total, perd des habitants du fait de l’important solde négatif des entrées sur les sorties : ceux qui quittent la ville sont nettement plus nombreux qui ceux qui viennent y résider et ce déséquilibre s’aggrave. Du fait de ce déséquilibre entre les entrées et les sorties Paris ainsi perdu 1,2% de sa population chaque année entre 2011 et 2016 que ne parviennent pas à compenser les 0,7% de croissance annuelle due au solde naturel. Ajoutons que cette perte d’attractivité n’est pas propre à la ville centre ; 5 départements sur 7 de l’Ile-de-France perdent plus d’habitants qu’ils n’en attirent.

Le tableau est inverse dans les communes peu denses ou très peu denses : le solde naturel y est nul ou seulement faiblement positif sur la période étudiée (du fait de la présence importante d’une population âgée), alors que le solde migratoire y est positif (+0,5% par an dans les communes peu denses, +0,2% par an dans les communes très peu denses). Autrement dit, ces communes à faible densité de population sont attractives : le nombre de personnes qui viennent s’y installer y est supérieur au nombre de personnes qui les quittent.

Cette évolution tient pour une part à l’extension des couronnes périurbaines des grandes agglomérations, mais pas seulement. En effet, l’étude de l’INSEE montre que le solde migratoire reste positif dans les communes peu denses et même dans celles très peu denses, quel que soit leur degré d’éloignement à l’égard des communes urbaines. L’INSEE note que ce n’était pas le cas dans les périodes précédentes où « l’attractivité déclinait au fur et à mesure que l’on s’en éloignait ». Autrement dit, les communes faiblement peuplées sont devenues attractives même lorsqu’elles sont distantes des centres urbains.

Reste évidemment à comprendre les raisons profondes de ces mouvements contrastés entre une France urbaine qui n’attire plus (au moins dans la région parisienne ; c’est moins vrai par exemple dans la région lyonnaise) et une France rurale qui résiste au dépeuplement en attirant de nouveaux habitants. Pourquoi quitte-t-on Paris et sa région et qui sont ceux qui le font ? Pourquoi, à l’inverse vient-on plus souvent résider dans ces zones rurales qui semblaient promises au déclin démographique ? Les études à notre disposition ne permettent pas pour l’instant de répondre à ces questions. Certains auteurs (Oliveau et Doignon déjà cités) suggèrent que ces nouveaux habitants des campagnes sont essentiellement des retraités et qu’ils ne participeront donc pas à un renouveau démographique durable qui serait basée sur l’arrivée de jeunes enclenchant une reprise des naissances. C’est fort possible. La proportion de retraités vivant dans ces zones rurales est élevée. Prenons l’exemple du Cantal situé au cœur de cette diagonale du vide. La proportion de retraités (parmi la population de 15 ans et plus) y est forte, 36%, nettement plus qu’en France entière (27%). Néanmoins, cette proportion ne s’est pas accrue depuis 2011. Il est possible également que ces zones peu denses attirent des actifs « néo-ruraux » séduits par le cadre de vie et la proximité de la nature. Les transformations du travail vers une économie de services caractérisée par une grande mobilité professionnelle, l’usage des nouvelles technologies d’information et de communication, des possibilités plus étendues de télétravail et le possible développement du statut d’indépendant peuvent conduire à terme à accroître la flexibilité géographique de l’activité professionnelle, c’est-à-dire à réduire la dépendance entre le lieu de travail et le lieu de résidence.  

Les territoires ruraux ne sont pas abandonnés

En tout cas, quels que soient les types de population qui décident de venir résider dans ces zones de faible densité, leur choix montre que ces espaces dépeints généralement de manière négative, ont sans doute quelques attraits. A ce sujet d’ailleurs, un récent rapport de la Cour des comptes sur « L’accès aux services publics dans les territoires ruraux » (mars 2019) met à bas quelques idées reçues sur l’abandon par la puissance publique dont ces territoires seraient victimes. La Cour est formelle : « Contrairement à une idée répandue, il n’y a pas eu abandon généralisé de ces territoires par les grands réseaux nationaux de services publics » (p. 10). Le maillage territorial en zone rurale de la gendarmerie, de l’éducation nationale et de la Poste reste dense. Concernant l’école, sa présence est même plus importante en proportion des effectifs d’élèves dans les zones rurales que dans les zones urbaines. La présence sanitaire dans les territoires ruraux est plus difficile à évaluer du fait de donnée relativement parcellaires. Néanmoins, celles qui existent (notamment grâce à la DREES) montrent par exemple que le temps d’accès à un médecin généraliste est faiblement discriminant entre les territoires. Seule 0,1% de la population, soit 57 000 personnes résidait dans une commune située à 20 minutes ou plus en voiture d’un médecin généraliste. La DREES calcule un indicateur un peu plus fin de « sous-densité médicale » en fonction d’un seuil de consultations et visites par habitant et par an. Cet indicateur montre que la sous-densité médicale n’est pas propre aux territoires ruraux. Certes, la proportion d’habitants de communes isolées concernés par cette sous-densité médicale est nettement plus importante que la moyenne (24% contre 9%), mais  23% des habitants des communes rurales périurbaines le sont également, 10% des habitants des couronnes urbaines des grands pôles urbains et 10% des habitants de l’unité urbaine de Paris (soit plus d’un million de personnes). Au total plus de la moitié (53%) des personnes concernées par cette sous-densité médicale vivent dans des villes ou à proximité (dans les couronnes urbaines).

Ajoutons pour terminer que la diagonale du vide ne se superpose pas à une diagonale du chômage et de la pauvreté. Les zones de sur-chômage se situent plutôt à la frontière nord du territoire et sur sa façade méditerranéenne et de nombreux départements situés dans la diagonale de faible densité démographique présentent un taux de chômage inférieur à la moyenne nationale : 7,1% en Haute-Marne comme dans la Nièvre, 5% dans le Cantal, 6,7% en Corrèze… (données du 2e trimestre 2019). Les zones de sur-pauvreté sont également situées dans la région Nord et sur le pourtour méditerranéen.

Ces résultats mettent donc à mal les visions simplistes et duales qui opposent la « France périphérique » rurale, isolée, appauvrie et abandonnée par les pouvoirs publics, à la France urbaine. Cette France urbaine est composite : on y trouve effectivement les Français les plus aisés, mais aussi les Français les plus pauvres. Elle semble d’autre part, en tous les cas pour la Région parisienne, de plus en plus délaissée par ses habitants. Les zones rurales sont également composites, toutes ne sont pas attractives, mais il semble bien que de plus en plus le deviennent, annonçant peut-être un nouveau rapport des Français à leur territoire.

 

[1] Une croissance démographique marquée dans les espaces peu denses, INSEE Focus n° 117, décembre 2019