Les Français et l’héritage de 68 edit

2 avril 2008

« Il s’agit de savoir si l’héritage de mai 68 doit être perpétué, ou s’il doit être liquidé une fois pour toutes », déclarait Nicolas Sarkozy en mai 2007. Les Français l’ont-ils suivi sur ce thème ? Rien n’est moins sûr. S’ils sont préoccupés par un manque d’autorité dans la société française, ils voient aussi en mai 68 un moment essentiel et positif de leur histoire.

Entre les deux tours de l’élection présidentielle de 2007, Nicolas Sarkozy, ayant choisi une posture de rupture et voulant systématiser son offensive dans le champ des valeurs, prononça une condamnation radicale de « l’idéologie de mai 68 », responsable selon lui de la destruction des valeurs fondamentales de notre pays. « Dans cette élection, déclarait-il, il s’agit de savoir si l’héritage de mai 68 doit être perpétué, ou s’il doit être liquidé une fois pour toutes ». Cette condamnation globale et brutale pouvait paraître traduire les aspirations nouvelles des Français. Or, un sondage de CSA publié cette semaine par le Nouvel Observateur, montre qu’il n’en est rien, tout au contraire.

Il est vrai pourtant que la victoire présidentielle de Nicolas Sarkozy a d’abord été obtenue sur le terrain des valeurs,  notamment celles de l’autorité, du travail et du civisme.  Dans un sondage de la SOFRES réalisé le jour du premier tour de l’élection présidentielle, invités à choisir, pour l’avenir, entre « une société avec plus de libertés individuelles » et « une société avec plus d’ordre et d’autorité », 57% des personnes interrogées ont choisi la seconde option et 37% seulement la première. Toutes les enquêtes effectuées sur ce thème depuis plusieurs années ont montré une demande croissante d’autorité dans la société française. Nul doute que Nicolas Sarkozy était en phase avec les Français lorsqu’ils se faisait le champion de ce thème. 

Or, 74% des personnes interrogées par CSA estiment que la période de mai 68 a eu un impact positif sur la société française. C’est le cas de 83% des électeurs de Ségolène Royal au second tour de l’élection présidentielle et de 72% des abstentionnistes, mais aussi, plus surprenant, de 65% des électeurs de Nicolas Sarkozy, eux qui étaient, le jour du vote, 62% à réclamer plus d’autorité. Les Français, en dépit de leurs préoccupations actuelles, loin de vouloir « liquider » l’héritage de mai 68, le revendiquent massivement. Comment expliquer ce paradoxe ?

Certes, le mouvement de mai 68 a été un mouvement anti-autoritaire – « il est interdit d’interdire », « le pouvoir abuse, le pouvoir absolu abuse absolument » – mais il a été bien plus que cela. Il a été à la fois une révolte contre le pouvoir, figure récurrente et positive dans la culture politique française – 77% des personnes interrogées disent qu’en mai 68 elles auraient été du côté des étudiants et des grévistes et 14% seulement du côté des forces de l’ordre – mais plus encore, il a été une véritable révolution, figure hautement positive, elle aussi. Cette révolution, que Raymond Aron à l’époque, pris pour une fois en défaut d’intuition sociologique, estimait « introuvable », a été bien réelle. Révolution des mœurs essentiellement. Evènement historique – 84% estiment que son impact a été important sur la société française de la seconde moitié du 20e siècle, en troisième position, derrière la légalisation de la contraception,  qui occupe la première place à leurs yeux. L’influence de mai 68 a été selon eux positive dans la transformation des rôles sociaux, notamment des relations hommes /femmes, parents/enfants, patrons/salariés.

Certes, le caractère positif de mai 68 est moins clairement affirmé à propos des rapports enseignants/élèves, domaine où la mise en cause de l’autorité n’est pas aussi majoritairement considérée comme bénéfique, et à propos de la place de la religion dans la société. Mais de manière générale, la transformation des rapports d’autorité et la libération de la sexualité ont marqué profondément la société française et plus généralement les sociétés occidentales, marquant même une étape essentielle dans leur évolution.

Remettre en cause ces transformations relèverait au sens propre du terme d’une attitude réactionnaire. Aussi, 74% des personnes interrogées se disent en désaccord avec la volonté exprimée l’an dernier par Nicolas Sarkozy de liquider cet héritage sous prétexte de ses conséquences négatives « concernant l’état d’esprit de la société française ». Ils estiment au contraire qu’il n’y a pas de lien entre mai 68 et l’état d’esprit d’aujourd’hui. S’il est vrai que les Français sont aujourd’hui préoccupés par un manque d’autorité dans la société française, ils considèrent que mai 68 n’en constitue pas moins un moment essentiel et positif de leur histoire. Ils n’entendent pas que son héritage soit remis en cause.