Comment bien taxer les stocks options edit

30 janvier 2008

Une stock-option est le droit d’acheter une action de l’entreprise à une échéance donnée et à un prix prédéterminé. Si au terme de la période, le cours boursier est supérieur à ce « prix d’attribution », le salarié peut acheter l’action et empocher la différence entre le cours de l’action et son prix d’attribution. Comment taxer ces actions d’un type particulier ?

Il existe une solution à la fois simple et équitable : considérer les stock-options comme un salaire à la charge de l’entreprise. Un salaire d’un mode particulier certes, puisqu’il s’agit d’un titre financier plutôt que du cash. La rémunération du salarié est incertaine au moment de l’attribution puisqu’elle dépend de l’évolution future du cours de bourse. Ce caractère incertain, ajouté au fait que l’option est censée inciter le salarié à l’effort et donc à créer davantage de valeur pour l’entreprise, ont longtemps brouillé la nature salariale de ce coût pour l’entreprise et de ce gain pour le salarié bénéficiaire. Il y a plus d’un demi-siècle, à une époque où les entreprises ne connaissaient pas ces instruments, est apparu l’usage de doter certains salariés d’une voiture de fonction. C’est là aussi un élément de salaire, qui joue un certain rôle d’incitation au travail en raison du statut conféré au cadre qui en bénéficie.

Longtemps, le fisc et la sécurité sociale ont laissé de côté cette rémunération, avant de s’apercevoir qu’il s’agissait ni plus ni moins d’une rémunération du salarié, et donc, très légitimement, de le traiter comme un salaire. Il en va de même pour les stock-options, qui sont une forme de charge salariale pour l’entreprise. Le débat a été vraiment lancé lorsque les normes comptables américaines, puis européennes avec IFRS, ont imposé aux entreprises de traiter ce type de rémunération comme un salaire. Il a semblé se clore lorsque trois des plus grands spécialistes universitaires de la finance, dont un Prix Nobel, ont publié un article au titre définitif : « Pour la dernière fois, les stock-options sont une dépense » (dans la Harvard Business Review, mars 2003).

Rémunération incertaine ne veut pas dire indéterminée. Les entreprises tiennent compte de ce coût salarial dans leur comptabilité ; elles incorporent la « valeur financière » des stock-options en utilisant des méthodes d’évaluation un peu compliquées mais désormais courantes. Cette valeur financière (VF) représente le gain avant impôts obtenu au moment de l’exercice des stock-options, tel qu’il est prévisible à la date de leur attribution. D’après ces méthodes, pour fixer le raisonnement, cette valeur tourne autour de 30-40% de la plus-value d’acquisition que fera le salarié dans le futur, en appliquant une décote liée au caractère non cessible de l’option.

La solution est donc de taxer les stock-options comme un salaire à hauteur de cette « valeur financière ». Comme pour tout salaire, les taxes concernent les entreprises payeuses et les salariés bénéficiaires.

Considérons la taxation qui prévaut aujourd'hui. En simplifiant, la « plus-value d’acquisition » est taxée environ au taux de 51% (40% d’impôt sur la plus-value et 11% de CSG-CRDS), ce qui équivaut à la tranche la plus haute de l’impôt sur le revenu (IR), cette taxation s’appliquant que l’action soit ou non vendue suite à l’exercice. Ce taux de 51% peut être ramené à 41% si l’exercice se fait au-delà d’une période supplémentaire ou si la plus-value d’acquisition est inférieure à un certain seuil. Si le prix d’attribution de l’option est inférieur au cours de bourse au moment de l’attribution, le profit, appelé « rabais excédentaire », est taxé comme un salaire, y compris cotisations sociales (s’il excède 5% du prix d’attribution). Si le salarié devient détenteur de l’action, toute plus-value ultérieure est ensuite taxée au taux standard en vigueur, soit 27% y compris CSG-CRDS. Enfin, la loi de Finance 2008 vient d’ajouter deux compléments fiscaux : une contribution patronale, à la charge de l’entreprise, et une contribution salariale, à celle du salarié, d’un montant de 2,5% chacune sur la plus-value d’acquisition (ce qui ouvre la porte à des cotisations sociales accrues dans le futur).

Ce que nous proposons ici simplifie fortement les choses, tout en donnant un sens économique plus fort à l’impôt. Les stock-options sont un salaire à hauteur de leur valeur financière (VF). La VF est donc incluse dans la déclaration du salarié et taxée comme l’est tout autre revenu salarial. Comme la VF est un salaire, elle subit des cotisations sociales patronales et salariées aux taux en vigueur. Par contre, comme tout salaire, la VF vient naturellement en déduction des bénéfices imposables à l’impôt sur les sociétés.

Il faut noter que la loi de finances 2008 introduit intelligemment cette notion de valeur financière : l’entreprise a le choix de calculer le montant de ses cotisations sociales comme 10% de la valeur financière des stock-options distribués.

On ne fait alors que deux entorses au régime standard de la fiscalité des salaires et des plus-values. D’abord, on reprend du système actuel le fait que l’impôt et les charges sociales ne sont payables par le salarié qu’au moment de l’exercice de l’option et non à son attribution pour éviter l’avance de fonds. (Pour l’entreprise, la taxation fiscale et sociale intervient à l’attribution.) Ensuite, il peut arriver qu’à la date de l’exercice, la plus-value d’attribution soit inférieure à la VF. Dans ce cas, le salarié n’est passible d’impôt et de charges sociales qu’à hauteur de la plus-value. Il ne faut pas qu’il y ait une perte nette pour le salarié qui perçoit une stock-option.

Tout cela n’est pas complètement simple à expliquer, reconnaissons-le, mais n’est que la description de ce que sont les impôts et charges sur un salaire et sur les plus-values. Le jour où le législateur décidera de changer le taux de l’un ou l’autre de ces impôts, il n’y aura aucun pathos parlementaire pour que la fiscalité des stock-options suive.

Les avantages de la proposition sont nombreux.

Les simulations montrent qu’au cas où la VF estime correctement la plus-value d’acquisition future, les recettes fiscale et sociale sont légèrement moindres que dans le régime actuel. Pour les salariés à très haut revenu, taxés au taux marginal le plus élevé de l’IR, la proposition peut apparaître comme plus mauvaise : ils paieront des cotisations salariés de 20% en plus de l’impôt de 51%. Certes, mais cela ne concerne que la VF. Le reste, la différence entre la plus-value d’attribution et la VF, sera taxé au taux de 27% plutôt que 51%. Il y aura aussi une recette moindre pour l’Etat en raison de la déductibilité au titre de l’impôt sur les sociétés, mais compensé par des recettes plus fortes pour les caisses de sécurité sociale.

Ce système équilibre les intérêts de l’entreprise et des salariés bénéficiaires autour d’une bonne valorisation de la valeur financière, ce qui est important pour la qualité des comptes produits par l’entreprise. Celle-ci serait-elle tentée de sous-estimer la valeur des stock-options qu’elle attribue pour faire plaisir à ses salariés et pour doper son profit ?  A supposer que cela passe le filtre des commissaires aux comptes, ce serait un curieux calcul économique puisqu’alors l’impôt sur les sociétés serait moins diminué. Il devient vertueux de bien déclarer la charge.

On clôt également, sans pénalisation pour le salarié et pour l’entreprise, le débat sur l’application ou non de charges sociales sur les stock-options. C’est désincitatif, disent les défenseurs acharnés du zéro-impôt. Pas plus, pas moins que tout impôt sur les salaires, qu’ils soient versés à un dirigeant sous forme de stock-options ou à un salarié ordinaire en cash. Les dirigeants seraient-ils les seuls à valoir l’effort d’être incités au travail ?

On objectera que cette valeur financière n’est pas commode à calculer et que les financiers trouvent des défauts aux formules couramment retenues aujourd'hui. C’est vrai, mais c’est précisément parce que ces valeurs seront utilisées non seulement pour les besoins comptables mais pour la fiscalité que les méthodes de calcul s’amélioreront et seront moins sujettes à caution. Elles restent quand même aujourd'hui la meilleure estimation qu’on peut faire du coût financier pour l’entreprise de ces rémunérations.

La proposition n’a pas que des qualités. Pour nos parlementaires en particulier, l’inconvénient est qu’il leur faudra trouver un autre exutoire à leurs montées d’émotion contre l'exubérance capitaliste.