Energie: la concurrence Europe-Russie edit

Oct. 2, 2009

L’importation de gaz par l’Union européenne devrait aller en s’accroissant au cours des prochaines décennies. C’est dans ce contexte qu’il faut comprendre tout l’intérêt des grands projets d’infrastructures au niveau européen, dont Nabucco fait partie. Nabucco est devenu un projet politique qui s’est affirmé notamment par le biais de la Commission européenne et qui s’est imposé comme prioritaire suite à la première crise russo-ukrainienne (2006). Depuis, Nabucco a gagné en visibilité, mais pas forcement en faisabilité. Qu'en est-il de la concurrence avec son rival South Stream, lancé par la Russie ?

Nabucco a pour objectif principal de réduire la dépendance énergétique de l’UE et notamment de certains de ses Etats membres d'Europe centrale et orientale envers la Russie grâce à ses 31Gm3, l’équivalent de 7% de la demande de gaz en 2010. Si l’on suit le tracé de 3300 km de ce projet, il devrait rejoindre le hub européen de Baumgarten en Autriche et contourner le territoire russe, partant de la Géorgie ou de l’Arménie. Il marque une certaine inflexion stratégique pour l’UE dans la mesure où celle-ci tente de dépasser sa précédente approche envers la Russie, basée principalement sur les normes régulatrices contenues dans la Charte de l’énergie.

Le paradoxe de Nabucco tient du fait que sa principale force est également sa principale faiblesse, en l’occurrence le soutien de la Commission européenne. Celui-ci a permis de réaliser d’importants progrès, aussi bien en termes économiques que politiques. Le dernier en date est la signature le 13 juillet 2009 de l’accord intergouvernemental entre les représentants des cinq pays à l'origine du projet - Autriche, Hongrie, Roumanie, Bulgarie et Turquie, et en présence de son représentant spécial Joschka Fischer. Sept ans après son lancement, le projet Nabucco semble enfin espérer voir la lumière du jour.

Néanmoins, la joie européenne a été de courte durée. En effet, la Russie cherche à faire obstacle à la construction de Nabucco en poussant son contre-projet South Stream, soutenu par Gazprom et Eni. L’accord du 6 août 2009 signé par Vladimir Poutine et Recep Tayyip Erdogan visant à faire transiter South Stream par les eaux territoriales turques s’inscrit dans cette perspective. Il est lourd des conséquences pour Nabucco qui en sort affaibli, car il renforce la faisabilité de South Stream qui ne doit plus négocier les modalités de transit dans les eaux territoriales ukrainiennes et roumaines.

La réaction de la Russie face à Nabucco est devenue beaucoup plus forte suite à l’implication dans le projet de la Commission européenne et des Etats-Unis. Elle sait appuyer sur le talon d’Achille du projet, l’approvisionnement, un problème apparu avec le veto américain à l’achat de gaz iranien. Désormais, il faut chercher d’autres sources potentielles pour espérer remplir ses 31 Gm3 de gaz et assurer sa compétitivité aux yeux des investisseurs potentiels. En effet, Nabucco a cette spécificité d’être un projet soutenu par des entreprises de taille moyenne qui ne produisent pas elles-mêmes le gaz censé le remplir. Pour la première étape du projet, la capacité est normalement assurée, elle proviendrait du gisement de Shah Deniz en Azerbaïdjan. Pour la seconde étape du projet, la capacité est réunie, mais son acheminement est plus difficile car le gaz provient de plusieurs pays, et parfois l’infrastructure manque. Le rôle de l’Azerbaïdjan et du Turkménistan est décisif à moyen terme, l’Iran restant une option ouverte à plus long terme au gré des changements politiques. Or, chercher le gaz du Turkménistan ne sera pas simple, vues les difficultés techniques et le poids régional de la Russie. L’Egypte et l’Irak pourraient également fournir du gaz à Nabucco, à travers l’Arab Gas Pipeline, qui doit être connecté à l’infrastructure gazière turque à l’horizon 2011. Cependant, certains analystes craignent que les options égyptiennes et irakiennes ne décrédibilisent le projet Nabucco, car ces pays ne présentent pas assez de garanties de stabilité géopolitique pour devenir des fournisseurs fiables à long terme pour l’UE.

Au-delà d’une concurrence réelle sur les approvisionnements, les deux projets se trouvent en compétition sur la question du transit. Bien sûr, il ne s’agit pas d’une concurrence de nature similaire, puisque l’on peut faire passer plusieurs conduits d’approvisionnement par chacun des pays de transit. Ainsi que l’avançait l’ancien Premier ministre hongrois, Ferenc Gyurcsany, « plus nous avons de gazoducs, mieux nous nous portons ». On a là un discours qui mise sur la complémentarité des projets : il n’y aurait pas de contradictions fondamentales à appartenir à l’un et à l’autre simultanément.

Une telle approche doit être replacée dans le cadre de la rationalité des pays de transit. Elle permet tout d’abord de multiplier des revenus de transit substantiels, tout en constituant un outil de rayonnement politique. Quatre pays appartenant aux deux projets illustrent particulièrement bien ce propos : la Bulgarie, la Hongrie, l’Autriche et la Turquie. Tous sont des membres fondateurs du consortium Nabucco ayant par la suite également rejoint South Stream. Il faut également noter que des divergences quant au choix entre les deux projets existent au sein même des pays concernés, entre les grandes entreprises et l’Etat, voire à l’intérieur de l’Etat lui-même. Le meilleur exemple est la Bulgarie qui a rejoint South Stream en janvier 2008 lors d’une visite de Vladimir Poutine à Sofia. Suite à une alternance politique en juillet 2009, la position bulgare est devenue plus vague, à cause d’un différend entre le président Vladimir Parvanov et son Premier ministre Boyko Borisov. Quant à l’Autriche, elle s’était impliquée très directement dans le projet South Stream dès mai 2007, alors que sa compagnie nationale OMV est le leader du consortium Nabucco International. Enfin, comme nous l’avons vu, la Turquie s’est hissée au rang de pays de transit indispensable pour les deux projets. Tous ces pays présentent la similarité de vouloir devenir un hub, lieu de concentration et de redistribution de ressources énergétiques.

Pourtant, les deux projets présentent de lourdes incertitudes et ne sont pour le moment que des lignes sur une carte. Leurs perspectives financières semblent hasardeuses : Nabucco paraît toujours dépourvu de gaz, sa faisabilité reste donc douteuse. Pour sa part, South Stream est le projet de gazoduc le plus coûteux jamais envisagé en Europe, puisqu’une bonne partie du transit (près de 1000 kilomètres) se fera sous la mer Noire. Si Alexeï Miller avance le chiffre de 8,6 milliards de dollars, d’autres estimations plus vraisemblables tablent sur 25 à 30 milliards.

Au final, l’avenir de Nabucco semble incertain. Même s’il est théoriquement plus avancé que South Stream, ce dernier avance extrêmement vite, en dépit de grandes interrogations sur sa faisabilité technique et sa viabilité économique. Une chose est sûre : le rythme d’avancement des projets sera la clé de la réussite. La concurrence des projets ira donc crescendo.