Guy Carcassonne et la Ve République edit

3 juin 2013

Guy Carcassonne a été l’un de nos grands constitutionnalistes. Non seulement parce qu’il connaissait et analysait parfaitement les mécanismes institutionnels mais aussi parce que, dans la grande tradition française, il était un constitutionnaliste engagé. Il prenait parti et se passionnait pour l’amélioration de nos institutions. L’introduction de son merveilleux livre, La Constitution, livre qui se présente comme un simple commentaire de texte, nous livre en quelques pages denses et riches sa vision de la Ve République. Son auteur était un ferme défenseur du  régime actuel mais appelait constamment à mettre son fonctionnement davantage en conformité avec les principes de la démocratie et de la représentation.

Un défenseur du régime d’abord. Prenant acte de l’échec des républiques parlementaires précédentes, il admettait volontiers que notre Constitution, et surtout son fonctionnement, étaient critiquables sur bien des points. Mais il estimait que le régime de la Ve république était « aujourd’hui la dernière structure encore solide dans un paysage politique par ailleurs dévasté, de sorte que l’urgence de la détruire à son tour n’apparaît pas certaine ». Il ne faut pas voir dans cette conviction le seul souci de permettre enfin une stabilisation nos institutions après deux siècles d’une histoire constitutionnelle particulièrement mouvementée. Il pensait en effet que le régime de la Ve République répondait aux conditions d’un bon régime à la fois démocratique – garantie des droits et des libertés et élections libres et disputées permettant à intervalles réguliers l’attribution du pouvoir – et moderne – choix effectif des gouvernants par les gouvernés, moyens donnés aux gouvernants pour gouverner effectivement et responsabilité effective des gouvernants devant les gouvernés. Etant, comme son maître le doyen Vedel, partisan de l’élection du président de la République au suffrage universel et de la primauté présidentielle au sein du pouvoir exécutif, il estimait inéluctable et normal que la domination de l’exécutif se soit imposée : « le pouvoir, écrivait-il, tend à la personnalisation, l’exécutif est personnalisé, le pouvoir va vers l’exécutif ». La personnalisation de la politique jointe à la personnalisation de la légitimité, ajoutait-il, ont irréversiblement diminué le rôle du Parlement.

Pour autant, Guy Carcassonne était très attaché au rôle de ce Parlement. Il estimait que la Ve république naissante, par volonté de rendre impossible le retour du régime d’Assemblée, a affaibli son rôle de manière excessive. « Conçus pour être les béquilles d’un gouvernement flageolant, les instruments du parlementarisme rationalisé sont devenus, entre les mains de gouvernements forts, des armes outrancières », affirmait-il. C’est la raison pour laquelle il se réjouissait de la révision constitutionnelle de 2008, qui avait réalisé un pas vers le renforcement du pouvoir parlementaire. Il avait participé au Comité Balladur chargé de préparer cette révision. Il estimait cependant que ce renforcement était largement une affaire de fonctionnement. C’est la raison pour laquelle il s’était engagé au premier rang pour la suppression du cumul des mandats. De manière ironique, il écrivait ainsi que pour exercer la fonction de représentation, les citoyens français « ont des élus locaux, dont 577 se réunissent au Palais-Bourbon et prennent le nom d’Assemblée nationale. Cumulatio delenda est, tonnait-il ».

Son autre souci était d’étendre la participation civique. Estimant que l’extension du champ d’application du référendum était moins importante que l’élargissement de son initiative, il jugeait que le premier pas effectué par la révision de 2008 vers la création d’un référendum d’initiative populaire, bien qu’encore beaucoup trop prudent et insuffisant, allait dans le bon sens. Et il appelait à faire vivre le droit de pétition.

Au-delà des aspects directement liés aux institutions elles-mêmes, Guy Carcassonne était particulièrement soucieux, et avec raison, de mettre fin au caractère de guerre civile larvée que présentent trop souvent les relations entre la majorité et l’opposition et qui nuit au bon fonctionnement démocratique. « On crie presque au miracle quand des responsables opposés se rencontrent pour parler du pays », se fâchait-il. La décrispation de la vie politique qu’appelait déjà de ses vœux le président Giscard d’Estaing est toujours à opérer. Des progrès ont certes été réalisés, mais encore bien insuffisants. « La majorité répugne à partager tant soit peu les privilèges de la puissance, l’opposition répugne à renoncer tant soit peu au confort de l’opposition » se désolait-t-il. Dans la situation de crise économique actuelle, alors que tant de mesures impopulaires et vitales sont à prendre, le triste spectacle offert par la majorité et l’opposition parlementaire dans leurs rapports incite à inscrire le souhait de Guy Carcassonne au premier rang de nos préoccupations. La sauvegarde de notre démocratie est à ce prix. Il s’agit tout simplement ici de l’intérêt national. Il faut réinventer de véritables mécanismes de délibération, condition vitale d’une saine démocratie représentative.

La disparition de Guy Carcassonne est d’abord celle d’un ami pour lequel nous avions une très grande estime. Elle est aussi celle d’un penseur des institutions dont le legs précieux doit rester vivant et, espérons-le, continuer d’inspirer nos gouvernants et nos représentants. Elle est enfin celle d’un citoyen pour qui la démocratie était à la fois une garantie et une exigence.