SPD: l’illusion du renouveau a fait long feu edit

May 29, 2017

Le Parti social-démocrate allemand (SPD) affronte les élections législatives du 24 septembre dans la même position de faiblesse dont il n’arrive pas à se sortir depuis la défaite de Gerhard Schröder en 2005. Qu’il ait partagé le pouvoir avec la démocratie-chrétienne d’Angela Merkel au sein d’une grande coalition, de 2005 à 2009 et depuis 2013, ou qu’il ait été dans l’opposition (2009-20013), il n’a pas réussi à remonter un handicap par rapport au centre-droit représenté par la CDU/CSU.

À la fin de l’année dernière, l’arrivée de Martin Schulz comme président du parti et candidat à la chancellerie lui avait redonné quelque espoir. L’ancien président du Parlement européen ne s’était jamais vraiment impliqué dans la politique nationale, mis à part un poste de maire de la petite ville de Würselen, près d’Aix-la-Chapelle. Il apparaissait comme un homme neuf. Pas compromis dans un gouvernement de coalition avec la démocratie-chrétienne, il pouvait se permettre de critiquer la politique passée. C’était un avantage par rapport au président sortant du SPD, Sigmar Gabriel. Vice-chancelier d’Angela Merkel pendant cinq ans, celui-ci aurait pu prétendre conduire son parti aux prochaines élections mais il était mal placé pour dénoncer l’action d’un gouvernement auquel il avait participé.

« L’effet Schulz » a fonctionné. Mais il n’a pas duré. Dans un premier temps, le SPD s’est envolé dans les sondages, sortant d’un creux de 20% d’intentions de vote pour faire jeu égal avec la CDU/CSU autour de 30%. La cote personnelle de Martin Schulz était même plus élevée que celle d’Angela Merkel. Si le chef du gouvernement avait été élu au suffrage universel direct, l’ancien président du Parlement européen l’aurait emporté sur « l’éternelle chancelière ». En même temps, les adhésions, notamment de jeunes, affluaient vers le SPD qui au cours des dernières années avait perdu, comme d’ailleurs la CDU, près de la moitié de ses membres. Notons cependant que le SPD compte encore plus de 400 000 adhérents, ce que beaucoup de « partis frères » social-démocrates peuvent lui envier.

L’illusion du renouveau a fait long feu. Trois élections régionales depuis le début de l’année ont douché les espoirs du parti. En Sarre, puis au Schleswig-Holstein, et surtout en Rhénanie du Nord-Westphalie, le Land le plus peuplé d’Allemagne, traditionnel bastion ouvrier de la social-démocratie, le SPD a perdu. Soit qu’il n’ait pas réussi à s’emparer du gouvernement comme à Sarrebruck, soit qu’il ait été chassé du pouvoir comme à Kiel et à Düsseldorf. De mauvais augure pour le scrutin national de septembre, ces défaites régionales s’accompagnent d’une rechute dans les sondages. La démocratie-chrétienne a retrouvé sa première place avec 38% des intentions de vote, alors que le SPD retombe à 26%. À la question « qui ferait le meilleur chancelier », 50% des personnes interrogées répondent Angela Merkel, et seulement 24% Martin Schulz.

Le candidat-chancelier a reconnu avoir commis des erreurs. L’une des principales est d’avoir multiplié les déclarations contradictoires sur la future coalition qu’il envisageait en cas de victoire. Il a laissé penser qu’il n’excluait pas de s’allier, si nécessaire, avec la gauche radicale, Die Linke. Ce parti, conglomérat d’anciens sociaux-démocrates hostiles aux réformes Schröder et d’ex-communistes héritiers du parti unique d’Allemagne de l’Est, est divisé entre les « réalistes » tentés par la participation au pouvoir  et les « fondamentalistes » toujours influencés par Oskar Lafontaine, l’ancien dirigeant du SPD qui n’a pas pardonné aux « social-traîtres ». Die Linke est considérée par une majorité d’Allemands comme indigne de participer à un gouvernement au niveau fédéral – elle dirige le Land de Thuringe avec le SPD et les Verts – à cause de ses prises de positions sur la politique internationale. Elle est par exemple opposée à la participation de l’Allemagne à l’OTAN. Martin Schulz cherchait à sortir du dilemme dans lequel se trouve le SPD depuis des années : être dans l’opposition ou rester le junior partner de la CDU/CSU. Mais en ne rejetant pas l’éventualité comprenant la gauche radicale, il a fourni aux démocrates-chrétiens des arguments contre lui.

Le candidat du SPD a fait machine arrière, tout en gardant la tonalité plus à gauche de sa campagne. Mettant en avant l’impératif de la justice sociale, il propose de s’attaquer aux inégalités qui se sont accrues en Allemagne depuis les réformes Schröder. La pauvreté touche 13% de la population, avec un bond de 6 points. Ce sont surtout les inégalités de patrimoine, plus que les inégalités de revenus, qui caractérisent la situation allemande. Martin Schulz suggère d’apporter des correctifs à « l’agenda 2010 », avec ses lois dites Hartz, du nom de l’ancien DRH de Volkswagen devenu conseiller de Gerhard Schröder, qui a flexibilisé le marché du travail et réduit les indemnités de chômage.

Ces réformes ont coûté le pouvoir aux social-démocrates en 2005 et restent impopulaires dans une grande partie de l’électorat traditionnel du SPD. Mais les critiques ne sont pas pour autant bienvenues pour une majorité d’Allemands. Elles apparaissent trop tournées vers le passé quand il s’agit de savoir qui va diriger le pays au cours des quatre prochaines années et dans quelle direction. De même, les critiques touchant la grande coalition. Martin Schulz peut contester un gouvernement auquel il n’a pas personnellement participé. Toutefois, ces critiques semblent une mise en cause du travail de ses camarades qui y ont été associés. Et même plus qu’associés puisque beaucoup des décisions du gouvernement Merkel sont des revendications du SPD : salaire minimum, retraite de la mère de famille, création de crèches, abaissement de l’âge de la retraite, etc. Angela Merkel a « social-démocratisé » la politique de la CDU, son propre parti le lui reproche, et en mettant la barre à gauche, Martin Schulz permet à la chancelière de réoccuper le centre du spectre politique allemand, là où se gagnent traditionnellement les élections.

Après les trois défaites aux scrutins régionaux, le SPD promet un « nouveau départ ». Son candidat affirme avoir des tiroirs pleins de projets qu’il se propose de sortir dans les prochains jours. Il veut mettre l’accent sur le domaine de l’éducation où il propose de grands investissements, financés par les excédents fiscaux qui grossissent plus vite que prévu par les plus optimistes. Alors que le ministre des Finances Wolfgang Schäuble (chrétien-démocrate) reste prudent, Martin Schulz veut profiter des surplus budgétaires pour augmenter les retraites, baisser les impôts, améliorer les infrastructures. Il présente cette politique comme une contribution à la relance de l’Europe. Le SPD va essayer de jouer sur une autre corde sensible pour les Allemands : le pacifisme, au moins sous sa forme adoucie d’une méfiance vis-à-vis des engagements militaires. Il ne répond qu’avec réticence aux appels du président américain Donald Trump d’augmenter le budget de la Défense pour respecter l’objectif de 2% du PIB fixé par l’Alliance atlantique.

Ces thèmes ne suffisent pas à gonfler la popularité du SPD. Plus que la justice sociale, la préoccupation d’une majorité des Allemands concerne aujourd’hui la sécurité intérieure. Sur ce sujet, la droite a un avantage sur la gauche. C’est ce qui explique son succès en Rhénanie du Nord-Westphalie. Cette préoccupation a été renforcée par l’arrivée massive des réfugiés et par le terrorisme islamique, les deux étant parfois liés dans la perception d’une partie de l’électorat qui ne se tourne pas spontanément vers l’AfD, le parti populiste de droite. Comme le note le magazine Der Spiegel, Angela Merkel a ouvert les frontières en 2015 mais c’est vers elle que se tournent les électeurs inquiets pour leur sécurité. C’est l’ironie de l’Histoire.