Le système de santé français est-il à la hauteur? edit

7 avril 2020

Les personnels soignants sont aujourd’hui en première ligne contre l’épidémie de COVID 19 et l’ensemble de la communauté nationale salue leur courage et leur dévouement. L’urgence sanitaire, largement partagée, se double des premières autocritiques. Le Président de la République reconnaît à demi-mot une négligence quant au degré de dépendance à l’égard de fournisseurs étrangers d’équipement sanitaire et un effort financier insuffisant pour les personnels et les équipements sanitaires publics. Il y a quelques mois ces mêmes personnels étaient engagés dans la plus longue grève jamais connue et dénonçaient l’austérité permanente, un hôpital de flux régi par la rentabilité, les dramatiques sous-effectifs, les salaires trop bas, l’attrition de moyens programmée. Les polémiques sur la dégradation du système de santé français qui ont émaillé les derniers mois sont donc mises sous le boisseau. Le sentiment d’unité nationale semble prévaloir, même si le consensus politique commence à se fissurer.  

Une fois la crise passée, nul doute que les polémiques sur l’état du système de santé resurgiront avec probablement plus de force encore. Nul doute non plus que les acteurs du système de santé seront en position de force pour obtenir plus de moyens. Mais il ne faudrait pas que l’émotion collective suscitée par la crise et l’attitude exemplaire des personnels soignants fasse perdre toute raison. Notre système de santé va-t-il si mal ? Est-il, comme certains le prétendent, dans un état avancé de délabrement ? Une récente étude internationale comparative de l’OCDE[1] permet d’y voir un peu plus clair. Cet éclairage relativise les propos pessimistes que l’on peut entendre sur l’état du système de santé, tout en pointant quelques faiblesses. Passons en revue les forces (plus nombreuses) et les faiblesses du système de santé français repérées dans cette étude.

Le système de santé français n’est pas globalement sous-financé

C’est un premier point important. A priori, si on le compare à celui des autres pays, le système de santé français ne semble pas souffrir, globalement, d’un manque de moyens. En effet, la France est le pays européen qui, avec l’Allemagne, consacre la part la plus importante de son PIB aux dépenses de santé (11,3% en en 2017).

Bien sûr, cet argent peut être mal employé ou mal dirigé. Néanmoins, on constate par exemple et pour faire écho aux propos souvent entendus sur le sous-financement de l’hôpital public, que la France est également un des pays qui consacre la part la plus importante (32% contre 29% pour la moyenne de l’UE) à l’hôpital.

Une nuance cependant sur le financement : en termes de dépenses de santé par habitant (en parité de pouvoir d’achat), la France est un peu moins bien placée, mais elle reste néanmoins dans le peloton de tête derrière les pays scandinaves, l’Allemagne et les Pays-Bas (mais loin devant le Royaume-Uni).

Les Français sont très bien couverts et bénéficient d’une médecine efficace

La quasi-totalité des Français bénéficient de la couverture de l’Assurance maladie (99,9%) mais c’est le cas de presque tous les pays européens. En revanche la France se distingue par le fait que 96% de sa population dispose en outre d’une assurance complémentaire, qui couvre les dépenses laissées à la charge des patients dans le système de sécurité sociale et permet par ailleurs aux ménages modestes de bénéficier de cette assurance gratuitement ou pour un coût réduit.  C’est le taux, de loin, le plus élevé des pays de l’OCDE. La part des dépenses de santé qui restent à la charge directe des assurés est ainsi la plus faible des pays de l’UE (9% contre environ 16%).

Cette excellente couverture santé est un des facteurs qui permet aux Français d’accéder plus facilement que d’autres aux soins dont ils ont besoin. L’OCDE montre ainsi, à travers un indicateur qui mesure la probabilité de consultation d’un médecin, corrigée pour tenir compte des besoins, que la France est le pays qui bénéficie du taux d’accès aux soins le plus élevé (89% contre par exemple 65% en Suède et aux États-Unis).

Néanmoins, d’après une étude 2017 de la DREES citée dans le rapport, 8% de la population française, soit 5,4 millions de personnes, vivent dans des zones où l’accès à un médecin généraliste est difficile. Ces zones sont des zones rurales, mais aussi des banlieues éloignées des petites villes et des métropoles.

La qualité des soins prodigués en France est globalement excellente. Par exemple, la France se situe au troisième rang des pays de l’OCDE (presque à égalité avec l’Islande et la Norvège) sur un indicateur de causes de mortalité évitables grâce aux traitements pour soigner des affections aiguës (cancers, AVC, cardiopathies, pneumonies…). Cela veut dire que la France est un des pays qui parvient le mieux à sauver la vie de ces personnes atteintes de maladies chroniques. Dans la crise sanitaire actuelle le système de santé français et les professionnels qui le servent font d’ailleurs la preuve, jour après jour, de cette qualité professionnelle (et ajoutons également humaine).

Quelques points noirs

Cet excellent tableau d’ensemble souffre néanmoins de quelques points noirs. Tout d’abord, on manque sans doute de médecins (par contre on a beaucoup d’infirmiers). En effet, à cause d’un numerus clausus restrictif, la France compte moins de médecins par habitant que la moyenne de l’UE (3,2 pour 1000 contre 3,6). Le nombre de médecins formés a drastiquement baissé entre le début des années 1980 et le début des années 2000 et les médecins actuellement en exercice sont assez âgés (45% ont 55 ans ou plus). Tout ceci alimente la crainte d’une pénurie de médecins. Le gouvernement a donc décidé d’abolir le numerus clausus, mais, on le sait bien, les études de médecine sont très longues et l’effet de cette ouverture ne se fera pas sentir avant plusieurs années (même si en 2018 on est déjà revenu au nombre d’étudiants en médecine qui prévalait dans les années 1970). Ce manque relatif de médecins ne se fait pas sentir en moyenne sur l’accès aux soins, comme on l’a vu, mais dans certaines zones sous-médicalisées. Il contribue aussi sans doute à r un recours excessif aux urgences.

Un autre point négatif qui peut expliquer en partie les difficultés rencontrées par l’hôpital public est ce que l’OCDE appelle les « hospitalisations évitables », c’est-à-dire des maladies pour lesquelles l’hospitalisation pourrait être évitée par la prévention ou des soins de premier recours. Sur cet indicateur la France n’est pas bien placée. Tout d’abord, l’OCDE note que la politique de prévention a été un des parents pauvres de la politique de santé en France. Le tabagisme et l’alcoolisme y sévissent encore de manière importante. La politique de lutte contre la consommation excessive d’alcool notamment a été assez fluctuante, la taxation sur le vin y est par exemple une des plus faibles de l’UE. Par ailleurs la coordination des soins entre les différents acteurs du système de santé qui permettrait d’éviter des hospitalisations est encore balbutiante. L’OCDE salue néanmoins la décision du gouvernement d’étendre les communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) qui visent cet objectif.

Au total, malgré ses difficultés d’organisation et de coordination que la Stratégie nationale de santé 2018-2022, saluée par l’OCDE, a pris à bras-le-corps, le système de santé français reste probablement un des meilleurs du monde et le démontre à nouveau dans sa gestion de la crise actuelle.

Une crise systémique

Si le bilan dressé par l’OCDE ne justifie pas le tableau noir qui est avancé par les personnels soignants, il faut comprendre pourquoi une telle distance s’est installée entre les perceptions largement partagées notamment dans le monde hospitalier d’un irréversible déclin du système français et le diagnostic distancié de l’OCDE. Cet effort est d’autant plus nécessaire qu’une réponse par un simple accroissement des moyens risque de différer le règlement des vrais problèmes.

Quatre problèmes bien identifiés sont au cœur du malaise français.

Le premier tient à l’articulation déficiente entre médecine de ville et médecine hospitalière. Avec le temps la médecine de ville s’est défaussée de ses responsabilités de service public notamment en matière d’urgences d’autant que sa couverture du territoire s’est faite moins dense et que les dépassements tarifaires ont crû ce qui a accru considérablement la pression sur l’hôpital public.

Le second tient à l’évolution de l’hôpital public devenu avec le temps un producteur technique de soins mobilisant des moyens de plus en plus coûteux en équipements et thérapies et un hospice pour personnes âgées démunies souffrant de pathologies lourdes. La fermeture de petits établissements décrits comme dangereux, la rationalisation des services et la suppression de lits, l’externalisation d’une partie des examens, la difficulté à recruter des personnels soignants ont contribué à mettre l’hôpital sous tension.

Le troisième tient au financement et à la gouvernance du système hospitalier. Le pilotage de l’activité par le taux de remplissage, la supervision du système par des agents administratifs armés de leurs feuilles Excel, les réformes successives visant à vider les services et leurs chefs de leurs prérogatives ont achevé d’humilier des professionnels qui avaient une haute idée de leur mission.

Le dernier tient enfin à la contradiction non résolue entre demande illimitée de soins et de confort socialisés par la Sécu de la part des Français et contrainte budgétaire. Les tentatives pour constituer des paniers de soins remboursables ou dérembourser la bobologie ayant jusqu’ici échoué, c’est par le nœud coulant budgétaire qu’on a cru régler le problème (ONDAM inférieur à l’évolution mécanique des dépenses, gels budgétaires, transfert d’enveloppes du public au privé etc.)

Dans la situation de crise que nous connaissons, le sous-dimensionnement de l’appareil hospitalier s’est révélé dramatique mais c’est une situation de crise extrême. Demain il faudra certes parer au plus pressé, colmater les brèches, rééquiper les services de réanimation et les pharmacies hospitalières. Il faudra surtout repenser le système en utilisant les ressources d’intelligence collective découvertes chez les personnels soignants, redéfinir le panier de soins couvert par la Sécu, bannir la gestion à courte vue, revaloriser les rémunérations. La crise actuelle rend nécessaire la refondation du système.

 

[1] Panorama de la santé 2019. https://www.oecd-ilibrary.org/social-issues-migration-health/panorama-de-la-sante_19991320. On peut aussi consulter le rapport spécifique sur la France : France. Profils de santé par pays 2019. https://www.oecd-ilibrary.org/fr/social-issues-migration-health/france-profils-de-sante-par-pays-2019_1abb0fea-fr