Droit au logement : attention aux fausses bonnes idées edit

5 janvier 2007

Le droit au logement opposable est revenu d'actualité. Ses contours sont encore mal définis mais il implique d’imposer à l'Etat ou aux collectivités locales le principe de la loi de juillet 1989 selon laquelle le droit au logement est un droit fondamental. Etre privé d'emploi est terrible, être sans logement est pire. Mais faut-il une loi nouvelle pour remédier à l'exclusion ?

D’abord, on ne peut que regretter le quasi-consensus politique sur le fait que seule l’intervention de la contrainte par la loi peut résoudre le problème, comme si le secteur privé était définitivement hors du champ de vision des politiques pour remédier à l’exclusion.

L’autre mauvaise nouvelle, c’est que les incitations économiques classiques, c’est-à-dire le système de pénalités pour les communes construisant trop peu de logements sociaux, n’ont pas été correctement calibrées pour résoudre la situation de crise. En bonne logique, il eût pourtant suffi, en lieu et place d’une nouvelle loi, d’augmenter ces pénalités : il existe des pénalités qui pourraient, sans ruiner les collectivités, assurer une amélioration substantielle de la situation plutôt que de procéder par menace judiciaire et par contrainte. Si le gouvernement n’a pas pris ce risque, c’est peut-être parce qu’il sait que le droit opposable va rester sans effet rapide : la justice administrative est lente et ses délais de réponse se comptent en années. Les collectivités locales préféreraient-elles des décisions de justice lentes et aléatoires à des amendes rapides et fortes ?

Mais en France, la contrainte et l’affichage politique comptent plus que le raisonnement. Si au final la situation ne s’améliore pas, il restera toujours le souvenir d’un beau combat remporté par les associations sur le gouvernement qu’on a obligé à mettre genou à terre. Pour ne pas être trop négatif, une idée intéressante est la proposition d’expérimenter localement ce nouveau droit. Il faudrait alors choisir les territoires selon une méthode plus rigoureuse que celle annoncée du volontariat qui rendra les conclusions incertaines, mais enfin, on ne peut pas faire la fine bouche, c’est déjà une avancée méthodologique considérable.

A ce propos, un certain nombre de dispositifs de relogement obligatoires existent en Grande-Bretagne et avec une certaine diversité sur le territoire. Cela n’empêche pas le nombre officiel de sans-logement d’y être élevés, de l’ordre de 150 000 pour la seule Angleterre et deux fois plus en proportion au Pays de Galles et en Ecosse. Le droit au logement opposable s’y heurte à divers problèmes, comme le principe de l’intentionalité de la condition de sans-abri qui, si elle est établie par l’enquête, permet à la collectivité de se libérer de la contrainte de relogement.

Or, un changement s’est produit récemment en Ecosse : le Homelessness Scotland Act de 2003 a changé la donne, en imposant des obligations aux collectivités d’offrir un logement aux sans-abris, y compris s’il est démontré que la situation de la personne est « intentionnelle ». Par ailleurs, elle programme la généralisation de ce droit à toutes les catégories de personnes et dans l’immédiat, augmente le nombre de catégories prioritaires. Il s’agit donc là d’une excellente opportunité de se faire une idée de l’impact de ce type de mesures coercitives sur le marché du logement.

On manque encore de recul et les chiffres ne sont pas suffisamment solides pour se faire une conviction forte mais ils contiennent des éléments intéressants. Deux ans après la loi, le taux de sans-abri restait deux fois plus élevé en Ecosse qu’en Angleterre. Qui plus est, en Angleterre où la loi n’a pas changé, la baisse a été de presque 25% entre 2003 et 2005, alors qu’en Ecosse cette baisse a été bien plus faible, de l’ordre de quelque pourcents. Mais le Pays de Galles, une région plus directement comparable à l’Ecosse, a lui connu une forte hausse du nombre de sans-abri.

Si on regarde le nombre total de logements disponibles, il faut également relativiser l’effet de ce type de mesures. Entre 2003 et fin 2004, donc avant et après l’application de la loi, le nombre total de logements a certes augmenté deux fois plus rapidement en Ecosse qu’au Pays de Galles et au reste du Royaume-Uni. Mais la croissance de logements était déjà deux fois plus importante entre 2002 et 2003, il s’agit donc essentiellement d’une prolongation de tendance.

Lorsqu’on considère seulement les logements dont les bailleurs sont des collectivités, on voit que leur nombre baissait très rapidement depuis 2001 en Ecosse – ce qui explique en partie que le législateur soit intervenu – et bien plus rapidement qu’au Pays de Galles et dans le reste du Royaume. La baisse s’est poursuivie en Ecosse jusque fin 2004, mais avec une légère inflexion. Cela veut-il dire que le droit au logement opposable a fonctionné ? Difficile à dire, car le Pays de Galles dont le parc des collectivités baissait a vu lui aussi cette baisse s’infléchir légèrement.

Si on considère maintenant la somme des logements detenus par les collectivités et par les « bailleurs sociaux enregistrés », on s’apperçoit que la baisse continue entre 2002 et 2004 ne s’est pas ralentie en Ecosse après le changement de législation. En revanche, il y a eu en 2004 une assez forte hausse au Pays de Galles du parc locatif par ces deux catégories de bailleurs (sociaux et locaux), ce qui suggèrerait par différence que cela n’est pas tant la loi que d’autres éléments tels que le nombre de sans-abri qui a endogènement généré un parc locatif social en hausse.

Que retenir de tout cela? D’abord, en Ecosse comme en France, c’est surtout la pression des tensions du logement (là-bas le fort déclin du parc locatif local depuis 2001) qui a incité les législateurs à répondre par des contraintes nouvelles. D’autre part, qu’il faut attendre un peu avant d’être trop affirmatif sur les effets à attendre du droit opposable, et que ses effets directs seront sûrement limités. Troisièmement, que le diable est une nouvelle fois dans les détails : il faudra identifier la partie qui aura la charge de la preuve, connaître les conditions d’éligibilité et prendre en compte la lenteur des décisions de justice.