L’avenir incertain de l’audiovisuel public edit

7 septembre 2018

Une nouvelles réforme de l’audiovisuel public est en chantier depuis plusieurs mois à l’initiative de l’Elysée et devrait déboucher sur un projet de loi en 2019. Si tout le monde s’accorde sur la nécessité d’adapter radio et télévision à un univers médiatique dominé par le numérique et par des fournisseurs géants de programmes comme Netflix, les orientations probables de la réforme qui ont commencé à filtrer dans la presse sont loin de faire l’unanimité. Il est à craindre que les intentions des pouvoirs publics ne coïncident pas avec les demandes des professionnels et des usagers.

La légitimité du service public en question

Les défis sont certes nombreux. En vingt ans, les chaînes privées se sont multipliées et se chiffrent par dizaines, grâce à de nouveaux supports de diffusion, la TNT, la fibre et, de plus en plus, les applications sur Internet. A côté de la télévision traditionnelle, les offres de vidéo se sont aussi développées massivement par l’intermédiaire de YouTube ou de services spécialisés  dans le cinéma et la fiction, accessibles par Internet, dont le plus connu est Netflix. Quant à la radio, elle doit apprendre à gérer les podcasts dont le succès ne cesse de  grandir.

Cette évolution met en cause le financement et même la légitimité du service public. Faut-il continuer à payer la redevance si on ne regarde jamais les chaînes qu’elle finance ? Est-ce que l’Etat a la compétence et la légitimité pour gérer une activité qui est aujourd’hui largement dominée par le secteur privé ? Autrement dit, est-ce que l’audiovisuel public doit se transformer pour survivre ou, tout simplement, disparaître ?

A ces questions, la réponse  de l’ensemble des pays européens est claire, elle est favorable au maintien d’un service public solide qui serve de contrepoids aux chaînes purement commerciales : ainsi de la BBC au Royaume-Uni ou de l’ARD-ZDF en  Allemagne. En ce qui concerne la France, les chiffres d’audience sont plutôt satisfaisants. La télévision publique rassemble environ 25% des téléspectateurs. Le journal de 20h de France 2 résiste bien à la concurrence de TF1 avec 5 millions de téléspectateurs contre 5,6 millions pour la chaîne privée. Contrairement aux craintes souvent exprimées, les jeunes continuent à le regarder. Les 15-24 ans représentent encore 13% de son public. Toutefois, 71% des 15-34 ans s’informent sur les réseaux sociaux, un chiffre qui fait réfléchir.

Quant à la radio, elle maintient de solides positions grâce notamment à la bonne audience de France Inter et France Info. Les podcasts de France Culture sont aussi très écoutés.

Il n’en demeure pas moins que l’audiovisuel et surtout la télévision doivent s’adapter rapidement à un mode de consommation qui évolue. Internet nourrit un flux croissant de vidéos de toutes origines et l’usage du replay et de la vidéo à la demande permet à un public de plus en plus étendu d’échapper aux contraintes des horaires des chaînes. De ce fait, les programmes spécifiques acquièrent plus d’importance  et de notoriété que la marque de la chaîne qui les abrite.

Des choix publics discutables

Les orientations des pouvoirs publics ne paraissent pas être à la hauteur de ces défis. Elles semblent dominées par deux préoccupations : faire des économies et centraliser la gouvernance du groupe audiovisuel.

Il a déjà été indiqué que le volume des économies exigées s’élèverait à 400 millions d’euros soit 10% du budget total de l’ensemble. Cet effort d’austérité n’est pas compatible avec les ambitions de l’Exécutif qui voudrait mettre en place une puissante plateforme numérique capable de concurrencer les GAFA et créer avec les chaînes privées un Netflix à la française riche en fictions originales. Or, il est évident que ces objectifs ne peuvent être atteints qu’avec des investissements massifs, se chiffrant en centaines de millions d’euros.  L’audiovisuel public peut certes réaliser des économies, notamment dans son administration et à FR3 mais elles ne seront jamais à la hauteur de ce qui est nécessaire pour réussir une véritable stratégie numérique tout particulièrement en direction des jeunes habitués à la sophistication des réseaux sociaux.

De même, l’hypothèse souvent évoquée d’une centralisation de la gouvernance, avec la mise en place d’une présidence commune à la télévision, la radio et l’INA présente un avantage politique pour le gouvernement qui disposerait d’un interlocuteur unique et pourrait faciliter certaines synergies entre les entreprises. En revanche, cette réforme  aurait l’inconvénient majeur de renforcer la rigidité et la lourdeur de fonctionnement du service public. Or, si celui-ci veut développer des initiatives audacieuses en matière de création et de numérique, il a au contraire besoin de structures souples et décentralisées permettant aux responsables des chaînes et des sites de prendre des risques en tentant de nouvelles expériences.

Le choix des dirigeants, un enjeu majeur

Ce dont a besoin l’audiovisuel public, c’est de disposer de professionnels reconnus et indépendants aussi bien dans l’instance de régulation du CSA que dans les chaînes. Cela implique la mise en place d’un mode de nomination de ces différents responsables qui garantisse cette compétence et cette indépendance. Si on abandonne le projet d’une présidence commune, il convient de s’entourer du maximum de garanties  pour le choix des présidents de France Télévision, Radio France et France TV Monde. On pourrait imaginer une formule proche de celle de la BBC, selon laquelle ces présidents seraient élus par leur conseil d’administration, conseil dont la composition serait pluraliste avec des représentants des professionnels, du personnel et de l’Etat.

Dans cette hypothèse, le CSA perdrait son pouvoir de nomination mais verrait son rôle de tutelle renforcé afin d’atténuer le pouvoir de contrôle exercé par le ministère des Finances qui tend à devenir l’interlocuteur dominant de l’audiovisuel public. Pour mieux exercer ces responsabilités, les membres de l’instance de régulation devraient être désignés par des procédures plus ouvertes qu’aujourd’hui. Au lieu d’être choisis par le président de la République et les présidents des deux assemblées, ils seraient choisis sur des listes de professionnels par les commissions parlementaires compétentes, à une majorité qualifiée.

Si on veut sauvegarder la légitimité du service public, on ne peut enfin se limiter à des considérations budgétaires ou purement politiques à propos du contenu de l’information. La spécificité de la télévision publique doit consister à fournir à un large public des programmes de qualité notamment dans les domaines de la fiction et du documentaire, deux secteurs importants sur le plan culturel et où les chaînes privées sont faibles. A cela s’ajoute le lancement de plateformes  destinées particulièrement aux 10-25 ans, sachant que la crédibilité de cette offre numérique passe par un investissement lourd en coûts informatiques. Cela implique  la définition d’un plan de financement réaliste qui garantisse les ressources nécessaires sur le long terme.

Il existe donc des solutions alternatives aux projets gouvernementaux qui permettraient au service public des réaliser des projets ambitieux en matière de programmes  tout en confortant son image auprès des jeunes. Un vaste débat devra nécessairement s’ouvrir au moment du dépôt du projet de loi afin de définir un audiovisuel public capable de s’adapter aux mutations prévisibles des dix prochaines années.