Vers la fin du clivage gauche-droite? edit

3 juin 2015

Le système partisan français est déstabilisé par les fractures qui se sont produites au sein de la gauche comme de la droite au cours de la période récente. Ces fractures ont affaibli le pouvoir structurant du clivage gauche/droite qui assurait le fonctionnement de notre système politique, en particulier au niveau des alliances gouvernementales. A quelles évolutions des attitudes politiques des Français ces fractures renvoient-elles ? La récente étude d’IPSOS pour Le Monde, la Fondation Jean-Jaurès et Sciences Po apporte un éclairage intéressant sur cette question.

Notons d’abord que les évolutions constatées ne divisent pas toutes l’opinion publique. Certaines, en effet, sont générales et affectent l’ensemble des Français quelles que soient leurs opinions politiques. Dans quatre domaines, ces évolutions générales sont clairement perceptibles. La première est l’augmentation de la demande d’autorité. 88% des personnes interrogées estiment que l’autorité est trop souvent critiquée et 85% sont d’accord avec l’opinion selon laquelle « on a besoin d’un vrai chef pour remettre de l’ordre ». On note également une augmentation des réponses favorables (52%) au rétablissement de la peine de mort, avec une augmentation de quinze points chez les sympathisants socialistes (38%) par rapport à l’année précédente.

La seconde concerne l’islam et la question plus précise de l’intégrisme religieux. Pour 81% (+12) celui-ci est considéré comme « un problème de plus en plus préoccupant dont il faut s’occuper sérieusement » et 74% estiment que l’islam « cherche à imposer son mode de fonctionnement aux autres ». Du coup, c’est la laïcité qui est aujourd’hui en danger pour 74%. Conséquence, 71% n’estiment pas normal que des plats différents soient servis dans les cantines scolaires selon les convictions religieuses.

La troisième concerne la construction européenne. Ayant à choisir entre un renforcement des pouvoirs de l’Europe ou un renforcement du pouvoir national, 72% optent pour la seconde opinion, en augmentation de 7 points par rapport à l’enquête de 2013, contre 14% pour la première. Cette évolution est à relier à une demande croissante de protection que l’on attend d’abord de l’Etat français.

La quatrième est la vision de la politique. Les deux tiers des Français estiment que la classe politique est corrompue même si les trois quarts d’entre eux estiment que le régime démocratique est le meilleur système possible. La défiance à l’égard de la politique atteint ainsi des niveaux record.

Ces évolutions générales ne font pas disparaître pour autant le clivage gauche/droite qui non seulement résiste mais d’une certaine manière se renforce, notamment sur la question de l’immigration. Ainsi, les sympathisants du Front de gauche et du PS s’opposent nettement sur cette question à ceux du FN et de l’UMP, désormais les Républicains. Ceux-ci pensent en majorité, contrairement à ceux-là, qu’il y a trop d’étrangers en France, qu’il faut réduire le nombre d’immigrés pour réduire le nombre des chômeurs, qu’il est facile pour les immigrés de s’intégrer en France mais qu’ils ne font pas d’efforts  pour cela, et qu’enfin l’immigration n’est pas une nécessité du point de vue du besoin de main d’œuvre.

Le clivage gauche/droite demeure également important dans le domaine économique. Ainsi, les sympathisants de gauche estiment nécessaire, pour relancer la croissance, de renforcer le rôle de l’Etat tandis que ceux de droite estiment au contraire qu’il faut limiter au maximum le rôle de l’Etat dans l’économie. De même les premiers sont nettement moins nombreux que les seconds à estimer que « l’on évolue vers trop d’assistanat « , même si globalement 69% de l’ensemble des personnes interrogées partagent cet avis. Les uns et les autres s’opposent également sur l’opinion selon laquelle « les chômeurs pourraient trouver du travail s’ils le voulaient ». Cette opinion est cependant  majoritaire (56%) dans le pays et en augmentation (+4) et elle atteint 44% chez les sympathisants socialistes.

Les questions sociétales et l’évolution des moeurs continuent également à diviser la société française selon le clivage gauche/droite, qu’il s’agisse de l’adoption d’enfants par les couples homosexuels ou de la gestation pour autrui même si globalement la majorité des personnes interrogées sont favorables à ces évolutions dans ces deux domaines.

Enfin, gauche et droite s’opposent sur le caractère utile ou non de l’existence du Front national, 24% des sympathisants socialistes n’étant pas d’accord avec cette opinion contre 57% des sympathisants de l’UMP. 

Il faut noter toutefois que, si le clivage gauche/droite garde sa pertinence, les Français eux-mêmes (76%) estiment que gauche et droite se sont beaucoup rapprochées au cours des dernières années et que, comme le montre le baromètre de confiance du CEVIPOF, une écrasante majorité souhaite que les responsables politiques des camps opposés parviennent à s’entendre pour trouver des solutions aux problèmes du pays.

Si le clivage gauche/droite conserve ainsi son pouvoir de structuration des opinions, d’autres clivages le concurrencent cependant désormais. Le plus important est celui qui oppose les sympathisants du Front national aux autres. Cette opposition se marque dans trois domaines. D’abord à propos de l’Europe. Les Français dans leur grande majorité souhaitent que la France reste dans la zone euro (75% en augmentation) ce qui n’est le cas que d’un tiers les sympathisants du FN. De même, s’agissant de l’appartenance de la France à l’Union européenne, 69% des sympathisants socialistes et 68% des sympathisants UMP y sont favorables contre 17% de ceux du FN. Ce clivage est également important s’agissant de l’image du Front national : les sympathisants des autres partis estiment en majorité que ce parti est xénophobe, qu’il est dangereux pour la démocratie et qu’il est incapable de gouverner. Ils s’opposent également clairement sur l’opinion suivante : « les immigrés qui s’installent en France prennent le travail des Français » que les sympathisants du FN sont les seuls à partager massivement.

La relative proximité des deux groupes de sympathisants PS et UMP peut également s’observer sur d’autres thèmes où, cette fois, ils s’opposent oppose à la fois à ceux du FN et, dans une moindre mesure, à ceux du Front de gauche. Il s’agit des opinions selon lesquelles « la mondialisation est une opportunité pour la France » et « il est nécessaire que la France s’ouvre davantage ». Ce clivage renvoie ici à l’opposition entre partis de gouvernements et partis protestataires. C’est ce clivage qui affaiblit significativement le clivage gauche/droite, opposant les électeurs radicaux aux électeurs modérés des deux camps.

Enfin, un dernier clivage apparaît à propos de la redistribution. Il oppose les sympathisants de l’UMP aux autres. Il s’agit de l’opinion selon laquelle, pour établir la justice sociale, il faut « prendre aux riches pour donner aux pauvres ». Ici, ceux du FN se rapprochent des sympathisants de gauche en se déclarant d’accord avec cette opinion.

À la lecture de ce tableau des différents clivages politiques et de leur évolution dans l’opinion française, les causes de la déstabilisation de notre système partisan s’éclairent ainsi que les difficultés auxquelles sont confrontées les deux grands partis de gouvernement. Il apparaît en particulier que la question de l’immigration s’impose désormais aux différents partis comme l’enjeu politique principal, avec la question du chômage.