Les superstars européennes edit

5 novembre 2007

L’essentiel du débat public sur les questions de mondialisation – incluant la question de l’agenda de Lisbonne – raisonne en termes de secteurs perdants ou gagnants. En réalité, c’est au sein des secteurs qu’il faut chercher gagnants et perdants. Il faut s’intéresser aux entreprises, plutôt qu’aux secteurs, comme vient de le montrer un groupe de chercheurs européens travaillant conjointement sur des bases de données nationales d’entreprises dans leurs pays respectifs, dont la France.

Les récentes évolutions de l’économie internationale ont accru la pression concurrentielle sur les firmes européennes, à la fois sur leurs marchés étrangers et sur leur propre marché national. Cela a créé une rupture nette, au sein des secteurs, entre  les entreprises gagnantes ayant su tirer parti de ces nouvelles opportunités… et les autres. Comment cette évolution s’est-elle traduite dans les différents pays européens ? C’est la question à laquelle se sont attelées différents équipes de recherche en économie appartenant à six pays européens, regroupées au sein du réseau piloté par les think tank Bruegel (Bruxelles) et CEPR (Londres), publiant aujourd’hui son premier rapport.

Quelles sont les caractéristiques, non observables au niveau sectoriel, permettant de discerner entreprises gagnantes et perdantes au grand jeu de l’exportation et de l’investissement direct à l’étranger?

Premièrement, les firmes internationalisées sont des superstars. Elle sont peu nombreuses, et un tout petit nombre d’entre elles concentre l’essentiel de l’activité à l’étranger. Elles sont aussi plus grandes bien sûr, elles génèrent plus de valeur ajoutée, elles paient mieux leurs salariés, lesquels sont plutôt plus qualifiés qu’ailleurs, et elles sont plus productives. Les chiffres sont étonnants : 1% des entreprises concentrent au moins 45% des exportations d’un pays, si l’on passe à 5% on obtient au moins 70%, et avec une firme sur dix on dépasse 80% des exportations. Ces grandeurs agrégées peuvent masquer des différences dans les distributions, avec une part plus importante des entreprises de taille moyenne dans la population examinée en Allemagne qu’en France.

Deuxièmement, le développement des exportations d’un pays est le résultat de deux mécanismes. Ce que l’on appelle la “marge intensive” tout d’abord, correspond à la valeur moyenne des exportations par entreprise. La “marge extensive”, concerne quant à elle le nombre d’entreprise exportant. On comprend que l’on peut exporter plus en développant les performances des firmes déjà exportatrices, ou en augmentant le nombre de celles parvenant à exporter. Le même raisonnement s’applique aux importations et à l’investissement direct. Dès lors que l’on s’intéresse non pas aux exportations globales d’un pays, mais à la performance des entreprises de ce pays sur les différents marchés d’exportation, la conjecture des experts était que la marge extensive (le nombre de firmes) constituait le mécanisme le plus important, mais il manquait les données individuelles d’entreprises pour en avoir le cœur net. C’est désormais chose faite. Ce qui compte finalement est de savoir si les superstars vont franchir le pas d’exporter sur de nouveaux marchés. La différence de présence de la France sur les marchés allemand et thaïlandais ne tient pas tant à l’importance des ventes réalisées par chaque exportateur français sur le marché allemand, relativement à ses ventes en Thaïlande, qu’au plus grand nombre d’exportateurs français présents en Allemagne.

Cette première confrontation aux données d’entreprises individuelles laisse en suspens plusieurs questions. Si les firmes ont besoin d’être de grande taille pour être compétitives sur les internationaux, qu’en est-il sur le marché national ? Le schéma décrit ici laisse-t-il une place aux PME globales ? Comment la prédominance de la « marge extensive » doit-elle nous amener à repenser les dispositifs d’appui à l’internationalisation des entreprises ? Les entreprises franchissant les frontières de l’économie nationale deviennent-elles plus efficaces au contact de la compétition internationale ? Quels rôle jouent les délocalisations ?

Répondre à ces questions va imposer de progresser dans la comparabilité des données utilisées. L’exercice qui a été conduit s’est appuyé de façon pragmatique sur le plus petit dénominateur commun des différentes bases. Mais seule la création d’une base européenne permettrait d’examiner ces sujets cruciaux avec le niveau de détail suffisant.

Une version anglaise de cet article est disponible sur le site de notre partenaire VoxEU.