Faut-il pénaliser les importations « sales » ? edit

17 septembre 2007

Le commerce contribue au réchauffement de la planète, cela ne fait aucun doute. Mais c’est aussi l’une des clés d’une action visant à interrompre ce réchauffement. Un des principaux obstacles à l’adoption d’une législation sur le climat par les Etats-Unis tient à leur souci de compétitivité, sur la base de ce raisonnement : pourquoi les entreprises américaines devraient-elles réduire leurs émissions de carbone si leurs concurrentes chinoises, indiennes et brésiliennes peuvent continuer à émettre sans contrainte, même dans le cadre du Protocole de Kyoto ? On entend la même chose en Europe, avec cette fois les Etats-Unis dans le rôle de l’accusé principal. Comment résoudre ce problème d'action collective ?

La solution idéale est un accord international dans lequel tous les pays du monde consentiraient à réduire leurs émissions, sur une échelle variable. Mais qu’en est-il si aucun accord n’est possible ?

Une des alternatives, pour les pays qui se sont engagés dans une politique de réduction des émissions, consiste à imposer des efforts similaires sur les produits issus des Etats qui ne se sont pas engagés. Pour éviter aux produits européens d’être pénalisés par rapport aux importations américaines, l’Europe pourrait par exemple imposer un prélèvement carbone sur ces importations jusqu'à ce que les Etats-Unis fassent évoluer leur législation. Les limites en vigueur dans le cadre de Kyoto n’étant valables que jusqu’en 2012, l’option de la taxe carbone a été proposée par l'ancien Premier ministre français Dominique de Villepin, avec le soutien implicite du Commissaire européen Verheugen. De l’autre côté de l'Atlantique, le Bingaman/Spector Low Carbon Economy Act, soumis au Sénat des Etats-Unis le 11 juillet 2007, comprend une disposition similaire : après 2020, au lieu d'une taxe sur les importations, les Etats-Unis exigeraient que les importations des pays ne réduisant pas leurs émissions ne soient mises sur le marché qu’à la condition d’acheter des permis carbone américains. Ces « International Reserve Allowances », comme la taxe carbone, imposeraient aux importations un surcoût globalement similaire à celui supporté par les produits domestiques.

Les avantages de cette règle commerciale unilatérale sont relativement clairs. En nivelant le terrain de la concurrence économique, il aide les industries domestiques à supporter les conséquences d’une législation sur le climat. Sans cela, les Etats-Unis en particulier pourraient bien ne jamais accepter de faire passer une telle législation. Imposer un prélèvement carbone sur les importations conduit aussi les producteurs étrangers à mieux mesurer les nuisances sociales causées par le carbone qu'ils émettent dans leur propre pays. Les producteurs étrangers, en tout cas ceux qui exportent, sont ainsi incités à évoluer vers une production plus propre. Les gouvernements étrangers, à leur suite, sont incités à adopter une législation sur le climat pour éviter à leurs importations de subir des taxes et autorisations, ce qui permet d’aboutir à la première et la meilleure des solutions offertes par un accord international.

Néanmoins, ces mesures unilatérales ne sont pas sans risque. Comme la plupart des restrictions commerciales, elles sont coûteuses et pourraient être exploitées par certains secteurs industriels, non pas pour protéger l'environnement, mais pour se protéger de la concurrence des importations. Une démarche unilatérale de l’Europe ou des Etats-Unis pour imposer leurs lois sur les émissions de carbone hors de leur territoire pourrait aussi agacer les autres pays, au lieu de les conduire à ratifier un accord international. Enfin, il y a le risque de contrevenir aux règles de l’OMC. Que disent ces règles, par exemple, d’un prélèvement sur le carbone émis lors de la production d'acier chinois ? Les Etats membres de l'OMC ont-ils le droit de réglementer ou de contrôler le carbone émis à l’étranger ? La réponse juridique est incertaine. Elle dépend beaucoup de l'outil spécifique choisi par le pays qui contrôle. Dans le cadre de l’OMC, il serait très difficile, par exemple, de qualifier de « subvention » ou de « dumping » écologique l’échec d’un pays incapable d’adopter une législation sur climat. Tant que la Chine ne passera pas sa propre législation sur le climat, il sera difficile de parler de subvention ou de dumping.

Une meilleure option serait de justifier un prélèvement carbone des importations en lui donnant la forme d’une taxe douanière d’ajustement ou, encore mieux, pour la justifier directement par l’article XX (g) des accords GATT, qui traitent de l'exception écologique. La voie de la taxe douanière d’ajustement n’est pas la plus simple. L'idée est de comparer un prélèvement carbone à, par exemple, une taxe sur les cigarettes. Nous trouvons tout à fait normal que quand les cigarettes chinoises sont exportées aux Etats-Unis, elles ne soient pas taxées par l’Etat chinois, mais plutôt par les Etats-Unis. Le bien est ici taxé sur son lieu de destination ou de consommation. On pourrait imaginer de faire de même pour la taxe carbone, mais l’analogie a ses limites. Tout d’abord, la taxe douanière d’ajustement n’est permise que pour les impôts dits « sur le produit » (comme la TVA) ; elle ne l’est pas pour le impôts dits « sur la production » ou « sur le producteur » (comme les impôts sur le revenu ou les contributions sociales). Les Etats-Unis, par exemple, ont le droit de taxer les cigarettes chinoises ; mais ils n’ont pas le droit de taxer les importations chinoises pour compenser la différence entre les impôts sur le revenu aux Etats-Unis et en Chine. Cela découle de la préférence générale de l'OMC pour la réglementation des produits plutôt que celle de la production proprement dite. Il est donc essentiel de se demander si une taxe comme celle sur le carbone est assise, dans notre exemple, sur l'acier exporté, considéré comme un produit, ou si c'est un impôt sur la production, qui ne pourrait pas être ajusté à la frontière. Ensuite, même si l'ajustement à la frontière est autorisé, le principe de non-discrimination entre les importations et les produits domestiques similaires continue à s'appliquer. Selon la jurisprudence de l'OMC, l'acier d’importation produit avec du charbon (selon un procédé émettant beaucoup de carbone) serait considéré comme un produit similaire à de l'acier américain produit avec du gaz naturel (procédé qui émet moins de carbone). Le fait que l’acier chinois soit soumis à des taxes plus élevées, ou que les producteurs doivent demander plus d’autorisations, pourrait être considéré comme discriminatoire.

Etant donné ces difficultés, une meilleure façon de procéder pourrait bien être de concéder une dérogation aux règles de l'OMC et de passer directement aux exceptions prévues dans l’article XX (g) du GATT pour les mesures « liées à la préservation des ressources naturelles épuisables ». La législation sur le climat vise à protéger la planète entière et en particulier à protéger l'atmosphère. Elle est donc bien liée à la préservation des ressources naturelles épuisables. Qu’une taxe s’applique au carbone émis à étranger (par ex. en Chine) n’est plus un obstacle, alors. La jurisprudence le montre : dans l’affaire Crevette-Tortue les Etats-Unis ont pu interdire les crevettes capturées à l’étranger selon un procédé qui mettait en danger une espèce protégée de tortues migratrices.

Dans le cas d’un prélèvement carbone sur les importations chinoises, le lien juridictionnel avec les Etats-Unis ou Europe serait même plus étroit. Le carbone émis en Chine circule dans l’ensemble de l’atmosphère, et il est donc aussi nuisible pour les Américains que celui qui est émis sur leur territoire. Le vrai test, pour faire jouer l’article XX (g) du GATT, se trouve dans le paragraphe d'introduction, qui se rapporte aux détails de mise en œuvre d’une législation sur climat : induit-elle une discrimination entre les pays, ne cache-t-elle pas une restriction sur le commerce ? La jurisprudence de l’OMC suggère une interprétation plutôt souple de cette condition. Trois éléments se détachent. Tout d’abord, le pays imposant unilatéralement une taxe carbone ou des restrictions d’accès doit commencer par faire des efforts sincères pour parvenir à un accord international. Ensuite, les calculs et procédés d’imposition ou d’autorisation doivent être impartiaux et suivre une procédure adéquate. Enfin, la restriction sur les importations doit être assez souple et tenir compte des conditions locales des pays producteurs. Dans notre exemple, cela signifierait des restrictions plus faibles, ou de temps en temps aucune restriction, sur les importations produites dans les pays émergents et dans ceux qui tentent de réduire leurs émissions. La procédure d’imposition doit aussi s’attacher à rechercher les quantités de carbone réellement émises pour fabriquer le produit considéré, et non les émissions globales du pays d’origine, sur lesquelles le producteur n’a aucun pouvoir. Au cas où les exportateurs ne présentent pas de données sur leurs émissions, on pourrait utiliser des moyennes calculées sur la méthode de production la plus répandue. Enfin, pour fixer le prix d’une tonne de carbone, la taxation des importations doit être égale à celle des produits domestiques, ou ne pas dépasser le prix du marché des permis d'émission domestiques d'une période représentative. Cette période pourrait être la date d'importation ou une moyenne mensuelle.

En somme, même si de nombreuses questions restent ouvertes, un prélèvement carbone sur les importations pourrait passer l’épreuve de l’OMC à condition d’être conçue soigneusement. Le problème n'est pas tant le vieux débat sur la réglementation des produit ou celle des modes de production, mais plutôt dans les détails de l’implémentation de ce nouvel impôt dans le cadre du chapeau de l’article XX du GATT.

Cela ne signifie pas que les restrictions au commerce soient la panacée. Dans l’idéal, la menace d’une taxe devrait forcer les Etats récalcitrants à accepter un accord post-Kyoto. Ceux qui s’opposent à une législation sur le climat ne devraient pas, en tout cas, justifier leur inaction par les règles de l'OMC. Au contraire, en rappelant que les sanctions unilatérales sont une option de dernier recours, l'OMC peut sérieusement contribuer à la promulgation d’une législation sur climat dans des pays comme les Etats-Unis, et ainsi conduire à un accord international post-Kyoto.