Un gouvernement technocratique peut-il être démocratique ? edit

23 novembre 2011

La démission de Georges Papandréou et Silvio Berlusconi, remplacés par des gouvernements techniques, a soulevé des questions sur le caractère démocratique de la technocratie. Ces questions se posent aussi lorsque nous ajoutons des pouvoirs accrus à la Commission européenne pour la surveillance des budgets nationaux des États membres, sans parler de ceux de la Troïka (FMI, BCE, Commission européenne) quand il s’agit des Etats membres de la zone euro qui ont eu recours aux emprunts (Grèce) ou à la Facilité européenne de stabilité financière (FESF).

Les réponses à ces questions sont mitigées. Le remplacement de M. Berlusconi par un gouvernement technocratique, accéléré par les pressions du marché mondial, peut effectivement être un signe d’une démocratie qui fonctionne. Pour le remplacement de M. Papandreou, précipité par les pressions des puissances de la zone euro et par son propre pari hasardeux sur la démocratie directe, tout dépend de la façon dont les choses vont se jouer. Quant à la gouvernance technocratique de l’UE, c’est là que le déficit de démocratie peut être le plus élevé.

La chute de M. Berlusconi a surtout à voir avec la puissance des marchés financiers, qui ont forcé la politique italienne à sortir du blocage pour leur donner une réponse. Les derniers efforts de Berlusconi pour obtenir le soutien des marchés, en offrant une surveillance trimestrielle des efforts de réforme par le FMI, en témoignent, tout comme les accords antérieurs pour répondre aux recommandations de la Commission de l’UE sur des coupes budgétaires. Mais même sans ces pressions extérieures, l’Italie a souffert depuis un bon moment déjà d’une crise interne de la démocratie.

La chute de Berlusconi peut alors être une nouvelle chance de faire remarcher la démocratie, où l’UE jouerait un rôle positif. L’Italie a déjà été « sauvée » par l’Europe dans le passé, au milieu des années 1990 lorsque les gouvernements techniques, suivis par le Centre Gauche de Romano Prodi, ont réussi l’impossible, en faisant un effort massif pour mettre en ordre les comptes du pays afin de rejoindre l’euro. Cela pourrait se produire à nouveau, puisque rester dans l’euro est devenu le cri de ralliement d’un gouvernement de technocrates essayant de rendre l’Italie de nouveau compétitive, jusqu’à ce que de nouvelles élections soient organisées. Dans le cas de l’Italie, on pourrait ainsi considérer que la légitimité démocratique est préservée si l’on pense ce qui arrive comme un compromis : le pays renonce brièvement à la démocratie représentative – c’est-à-dire aux politiques décidées par un gouvernement élu – dans l’espoir de bénéficier des bonnes politiques d’un gouvernement technique, qui bénéficie toutefois de l’onction démocratique d’une désignation par le président de la République.

La démission de M. Papandréou, en revanche, est plus problématique. Afin d’éviter le défaut sur la dette du pays, M. Papandréou a dû signer le même « pacte avec le diable » que tous les pays en danger de défaut : abandonner le contrôle sur la politique nationale, en échange d’un renflouement supranational. Même cela peut être considéré comme démocratiquement légitime, dans la mesure où un pays renonce pour un court laps de temps à la participation démocratique en échange de bons résultats politiques. La différence est que lorsque les pays non membres de l’eurozone vont au FMI, ils abandonnent le contrôle de leur politique économique en échange d’une réduction négociée de la dette et d’une courte période de forte austérité, plus une dévaluation de leur monnaie. La Grèce, en tant que membre de la zone euro, ne pouvait dévaluer sa monnaie, et dans le premier plan sauvetage elle n’a même pas pu obtenir une renégociation de sa dette, qui ne lui a été promise que dans le deuxième plan de sauvetage. En échange de la poursuite des politiques dictées par la troïka (FMI, BCE et Commission européenne), le plan de sauvetage, y compris la deuxième tranche, prévoit de ramener la dette à son ancien niveau sur une période de dix ans, accompagnée par une aussi longue période d’austérité qui produirait l’équivalent d’une dévaluation de la monnaie, via une réduction massive des salaires et des bénéfices de l’État-providence.

Ainsi, ce que la Grèce a obtenu, c’est un renoncement à la démocratie et un résultat politique négatif. Alors que M. Papandréou a ignoré les protestations de plus en plus bruyantes de l’opinion publique grecque au cours des deux dernières années, privant ainsi les manifestants de toute participation démocratique, les politiques se sont produites sans croissance, en imposant des sacrifices à un public démuni. C’est un désastre. Dans cette optique, l’appel à un référendum pourrait être perçu comme une réelle volonté de faire revenir la démocratie participative, en permettant aux électeurs de voter sur l’opportunité d’accepter le plan de sauvetage et, par extension, de rester ou non dans la zone euro. Le hic ici, cependant, est qu’en remettant le public grec au centre du jeu, il ignorait le public des pays de la zone euro, pour qui le sort de l’euro lui-même était susceptible de dépendre de l’issue du référendum grec.

La légitimité démocratique du nouveau gouvernement technocratique dépendra en grande partie de sa capacité à produire de bons résultats, avec des politiques qui ne se contentent pas de gérer les sacrifices mais génèrent aussi de la croissance. La seule façon de le faire serait de regagner la confiance du public, perdue pour le gouvernement précédent, par une véritable représentation des intérêts du public grec. Cela impliquerait de travailler tranquillement avec la troïka à des compromis pour que les réformes structurelles soient orientées par des stratégies de croissance axées sur la création d’emplois et d’activité, et un ralentissement du rythme de réduction des déficits.

L’UE dans son ensemble a d’ailleurs ses propres problèmes. En ce qui concerne la crise de la zone euro, l’UE a été largement dirigée par les chefs d’État membres du Conseil – en particulier l’Allemagne et la France – avec la Banque centrale européenne et, dans une moindre mesure, la Commission. Et les résultats ne sont pas brillants, étant donné les retards et les solutions hésitantes qui n’ont pas réussi à calmer les marchés. Le Parlement européen, le seul organe directement élu de l’Union européenne, n’a guère été impliqué, alors que la mise en œuvre des règles tend à être automatique, avec une surveillance technocratique. Il y a eu peu de débat public sur les réformes économiques – en particulier sur l’idée d’austérité pour tous – qui ont été largement imposées par l’Allemagne en échange de son accord pour les sauvetages et la garantie des prêts. Mais cela ne fonctionne pas, comme on le voit avec l’approfondissement de la crise en Europe du Sud et le ralentissement des économies européennes en général, y compris en Allemagne. Ainsi, le déficit démocratique va de pair avec des résultats jusqu’ici mauvais. Et si cela continue, nous pourrons commencer à parler d’une crise de la démocratie, qui concernerait l’UE dans son ensemble.