De la démocratie dans l'eurozone edit

7 janvier 2013

Au cours de la crise de l’eurozone, les citoyens  ont été de plus en plus écartés des processus de prise de décision, tandis que les dirigeants du Conseil ont assuré la plupart des choix. Cette altération de l’équilibre « démocratique » de l’UE (qui préconise un équilibre relatif entre les principaux acteurs institutionnels de l’UE) a mis à l’écart le Parlement européen (PE) tout en reléguant la Commission européenne au niveau d’un secrétariat voué à la supervision technocratique de règles automatiques émanant de pactes qui imposent des contraintes destinées à assurer la stabilité fiscale. De plus, les parlements nationaux n’ont eu d’autre rôle à jouer que d’entériner les traités intergouvernementaux au risque, s’ils échouaient, d’être sanctionnés par les marchés ou bien, dans les cas des pays emprunteurs soumis à des restrictions budgétaires de la part de l’eurozone ou du FMI, de ne plus pouvoir se financer.

Que ce soit au sein du Conseil européen, du Conseil des ministres, dans les sommets ou au cours des négociations des traités, les dirigeants européens engagés dans les processus de prise de décision se targuent de leur légitimité, au motif qu’ils représentent indirectement les citoyens. Aussi important que puisse paraître l’intergouvernementalisme en pleine crise, ils ne se rendent pas compte du fait qu’il s’agit en réalité du processus le moins démocratique qui soit. Celui-ci confère aux dirigeants avec le plus de pouvoir de négociation un avantage non-démocratique lors des séances de négociation à huis-clos du Conseil. Preuve en est que les politiques d’austérité « ordolibérales » (le néolibéralisme encadré par des règles) centrées sur la « culture de la stabilité » dominent l’eurozone et restent prédominantes quand bien même plusieurs pays de l’eurozone sombrent dans la récession, ou pire – ce qui démontre de manière significative le pouvoir d’un seul pays sur le processus de prise de décision intergouvernementale.

Cet intergouvernementalisme croissant, auquel s’ajoutent les hésitations des dirigeants de l’UE confrontés à la crise, ne fait qu’amplifier la désaffection citoyenne de l’UE ainsi que la désillusion au regard de ses dirigeants. Les citoyens se sentent incapables d’influencer les processus de prise de décision. De ce fait, ils votent de plus en plus fréquemment pour exprimer leur insatisfaction et éjecter les gouvernements en fonction – ces derniers laissent leur place à des nouveaux gouvernements appliquant bien souvent les mêmes remèdes – ou bien en manifestant dans la rue. Dans ce contexte, il n’est pas étonnant d’assister à l’avènement des partis extrêmes, qu’ils soient de droite ou de gauche, prêts à abandonner l’euro et l’Union.

Au-delà de l’Union européenne, cette crise de légitimité affecte également les politiques nationales. « La politique sans politiques » (politics without policies) gagne du terrain dans les domaines sous la compétence de l’UE, tandis que les débats de gauche et de droite sont relégués au niveau national. En même temps « les politiques sans politique » (policies without politics)  règnent au niveau européen : au sein du Conseil, les dirigeants des États-membres évitent tout discours de gauche ou de droite lorsqu’il s’agit de leurs intérêts nationaux. Quant à elle, la Commission européenne utilise un langage complètement technocratique tandis que le PE est laissé sur la touche et adopte un discours d’intérêt général Mais bien que le discours soit apolitique, les politiques réelles de lutte contre la crise sont très connotées politiquement : dans les faits, elles sont majoritairement conservatrices et ordolibérales. Et pourtant, elles n’ont donné lieu à aucun débat au niveau européen et aux yeux des citoyens, elles n’ont rien de la légitimité qui sous-tend traditionnellement les politiques nationales.

La question est par conséquent la suivante : doit-on politiser les institutions européennes afin de conférer une plus grande légitimité aux politiques qui y sont menées ? Si la réponse est affirmative, comment y parvenir ? À travers un président européen élu – au sein de la Commission, du Conseil ? En recentrant l’équilibre des pouvoirs au profit du Parlement européen ? En accordant plus de pouvoir de décision à la Commission ?

L’élection d’un Président du Conseil par le suffrage universel – une position soutenue, entre autres, par le ministre des Finances allemand, Wolfgang Schäuble – pourrait certainement conférer une plus grande légitimité représentative au Conseil, tout en rapprochant l’Union européenne de ses citoyens. Il s’agit cependant d’une perspective à long terme. En l’absence d’une citoyenneté européenne consolidée, avec une représentation de l’identité commune en tant que « demos », le danger à court terme est qu’une élection de cette nature dérive en un plébiscite où le candidat gagnant, celui dont le nom est le plus connu, apparaîtrait comme une sorte de pop-star ou de champion de football, au détriment de candidats moins pittoresques mais plus aguerris en politique.

Qui plus est, en l’absence d’une véritable réflexion sur les pouvoirs accordés au Président du Conseil, celui-ci n’occuperait qu’une fonction symbolique, sans pouvoirs réels, dans le cas au les statuts du poste resteraient inchangés. Ou alors, l’équilibre des pouvoirs de l’Union européenne pourrait être sérieusement mis à l’épreuve, en donnant l’apparence de donner trop de pouvoirs à une seule personne, au détriment des dirigeants des États-membres au sein du Conseil et probablement, du PE.

L’élection du Président de la Commission à travers des élections parlementaires européennes – l’option préférée des principaux groupes politiques du PE pour les élections parlementaires européennes de 2014 – pourrait être à l’avantage de toutes les institutions. Dans ce cas de figure, chaque groupe politique pourrait nommer son candidat à la présidence de la Commission, mettre en place une plateforme électorale propre et faire campagne dans chaque État-membre, en débattant avec les candidats issus d’autres partis européens au sujet de leur vision de la sortie de crise.

Cela encouragerait les partis nationaux à désigner des candidats potentiels à la Commission placés en tête de leurs listes électorales, ce qui permettrait aux électorats nationaux de mettre un visage sur la campagne européenne et d’avoir une chance d’élire leur commissaire. De ce fait, cela aurait le double avantage d’accorder à des figures politiques nationales l’accès au PE ainsi qu’au poste de commissaire.

Cette solution alternative permettrait de rééquilibrer le système politique de l’UE en conférant au Parlement ainsi qu’au Président de la Commission une plus grande légitimité. La Commission serait également d’avantage responsable face au PE et bénéficiera d’une plus grande légitimité lors de l’exercice du pouvoir discrétionnaire de l’administration pour la mise en œuvre des politiques du Conseil, en les orientant selon les préférences politiques de la majorité parlementaire. Les élections seraient l’occasion de réintroduire un vrai débat politique (gauche/droite) au sein du processus de prise de décision de l’UE qui en principe, stimulera l’intérêt des citoyens et légitimera les politiques à mener.

Un avertissement toutefois, dans la ligne des « méfiez-vous de vos souhaits… » L’élection du Président de la Commission par le PE pourrait être un pari perdu si les choses restent en l’état actuel, c’est-à-dire des élections de second ordre sans réel intérêt pour les citoyens et si les différents partis qui participent aux les élections ne parviennent pas proposer des perspectives nettes et des discours clairs et en faveur d’une « plus grande part d’Europe » dans la vie des citoyens.

Le pari serait complètement raté si l’unique intérêt venait des partis extrêmes au détriment d’un PE dont le centre affaibli serait cerné par les extrémistes de gauche et de droite. Dans ces circonstances, de telles élections saperaient la légitimité politique de la Commission et du PE. Pour nous prémunir contre une telle éventualité, ainsi que contre des situations nationales explosives, mieux vaudrait régler la crise de l’eurozone avant l’horizon 2014.