Trump peut-il gouverner avec les Républicains? edit

3 janvier 2017

Les observateurs européens de l’élection inattendue de Donald Trump s’interrogent, à juste titre, sur les orientations de sa future politique étrangère. Toutefois, c’est sur le plan intérieur que le nouveau président affrontera les défis les plus dangereux pour lui. Tout laisse prévoir que sa cohabitation avec un Congrès et un Sénat à majorité républicaine sera difficile et débouchera sur des conflits majeurs.

Le premier et paradoxal handicap de Trump est le poids de son vice-président. Mick Pence, ancien membre du Congrès et ancien gouverneur de l’Indiana, est un politicien expérimenté, très apprécié de l’establishment républicain dont il partage les opinions ultraconservatrices, notamment en matière de mœurs. De l’avis général, il est destiné à jouer un rôle aussi important que son prédécesseur Dick Cheney,  le très influent mentor de George W. Bush. Il reste à voir si Trump, dont on connaît l’extrême susceptibilité, acceptera que son adjoint soit l’interlocuteur préféré des dirigeants de son parti. Un conflit entre les deux hommes est donc possible, ce qui aurait des conséquences majeures sur le fonctionnement des institutions.

Le risque est d’autant plus grand que Trump ne s’entend manifestement pas avec les leaders des deux chambres, Paul Ryan, président du Congrès, et Mitch McConnell, chef de la majorité au Sénat. Pour apprécier la situation, il faut se garder de certains stéréotypes repris par de nombreux journalistes européens. L’affrontement ne se joue pas entre un Trump réactionnaire et crypto-fasciste et des parlementaires républicains modérés et raisonnables. La réalité est inverse. Donald Trump est un populiste et un démagogue mais ce n’est pas un idéologue et il a vécu toute sa vie à New-York, une ville fondamentalement libérale. Or, le Parti républicain a depuis trente ans opéré un virage vers l’extrême-droite qui lui a fait adopter des positions, notamment en matière sociale, qu’aucun parti européen même populiste ne pourrait accepter.

Ce mouvement, amorcé dans les années 80, à l’époque de Reagan, s’est fortement accéléré à partir de 2008 quand le mouvement Tea Party a acquis une position dominante au sein du parti républicain. Il convient de souligner que les adversaires de Trump lors des primaires, Marco Rubio, Ted Cruz et même Jeb Bush ont tous combattu le milliardaire  en s’appuyant sur cette doctrine extrémiste. Ils ont défendu l’interdiction de l’avortement, du mariage gay et même de l’éducation sexuelle. Ils ont réclamé la suppression immédiate de l’Obamacare au risque de priver vingt millions d’Américains de toute protection en matière de soins. En revanche, ils ont tous préconisé une baisse massive des impôts payés par les plus riches, au détriment des classes moyennes dont les revenus stagnent depuis vingt ans.

Trump a battu tous ses concurrents en manifestant un intérêt pour ces classes moyennes et en réclamant une forme de protectionnisme pour sauver les jobs qui disparaissent des principales zones industrielles du pays. Pour condamner Wall Street qui finance généreusement les campagnes électorales des Républicains, il a adopté le même ton que Bernie Sanders, l’adversaire de gauche de Hillary Clinton.

Or, les tenants de la doctrine traditionnelle du Parti républicain, et notamment Rubio, Cruz et Ryan, ont tous été réélus. Leurs récentes déclarations montrent qu’ils n’ont pas changé d’avis. Ils sont fermement décidés à faire entrer à la Cour Suprême un juge totalement hostile au droit à l’avortement, à privatiser le système de santé pour plaire à l’industrie pharmaceutique et à réformer le système fiscal pour alléger les charges des 1% plus riches de la population qui sont aussi leurs généreux bailleurs de fonds. Leurs positions sont, en revanche, plus réservées sur deux promesses de campagne de Trump : l’expulsion de plusieurs millions d’émigrants sans papiers et le retour au protectionnisme. Dans ces deux cas, les grands groupes industriels et les puissantes chambres de commerce qui exercent une énorme influence sur le parti sont plutôt hostiles car ils voient bien l’intérêt économique de la libre circulation des individus et des marchandises.

Dans un récent article, le Washington Post indiquait que certains dirigeants républicains espéraient profiter de l’inexpérience de Trump pour lui faire accepter des lois contraires à ses vœux. L’auteur de l’article soulignait lui-même combien cette vision était peu réaliste. Le nouveau président est un homme incontrôlable et tout à fait capable de désavouer certains de ses propres ministres. C’est ainsi qu’il a nommé au ministère de la Santé un adversaire résolu de l’Obamacare tout en déclarant lui-même qu’il fallait mettre en place un dispositif qui sauvegarde les droits des catégories les plus défavorisées de la population.

Dans l’hypothèse d’un durcissement des relations entre le Congrès et le président, celui-ci risque d’être attaqué aussi bien par l’opposition démocrate que par les Républicains sur son point faible, sa tendance à confondre en permanence ses intérêts personnels et les intérêts de la puissance américaine qu’il incarne. Il n’a échappé à personne qu’il n’a pas défini clairement comment seraient gérées ses affaires très opaques et qui comportent des filiales dans une trentaine de pays dans le monde. Il en a certes confié les rênes à deux de ses fils mais il n’a pas indiqué le rôle qu’il comptait conserver. Tout au contraire, il n’a pas cessé au cours de ces dernières semaines de prendre position sur telle ou telle de ses activités privées. Cela fut le cas à l’occasion d’échanges avec des dirigeants politiques étrangers ou, de manière ponctuelle, par l’intermédiaire de son compte Twitter. Il y a quelques jours, il a envoyé un tweet vengeur contre le mensuel Vanity Fair coupable d’avoir critiqué un restaurant qu’il possède à Manhattan – un comportement très inhabituel pour un président des États-Unis.

Au cas où un conflit d’intérêt majeur éclaterait, le Congrès, soumis à la pression de l’opinion, serait obligé d’intervenir car aux États-Unis, on ne badine pas avec les règles de la moralité publique et les élus républicains devraient accepter l’ouverture d’une procédure  qui pourrait déboucher sur l’impeachment.

Plus encore que ses prédécesseurs, le président Trump est prisonnier des sondages d’opinion. Il est minoritaire dans le pays puisqu’Hillary Clinton a obtenu 3 millions de voix de plus que lui et il a besoin du soutien de la classe moyenne blanche pour affronter une classe politique réservée à son égard. Or, la politique préconisée par la droite républicaine qui contrôle les deux chambres va souvent à l’encontre des promesses qui lui ont permis de gagner les États du Middle West enlisés dans une crise industrielle interminable et donc de remporter les élections.

Le calme relatif des parlementaires républicains ne doit donc pas faire illusion. Ils ont été battus aux primaires et, comme le rappelle Politico, ils sont attaqués avec virulence par les sites d’extrême droite comme Breitbart News qui soutiennent Trump.  Cet état de grâce ne durera pas. Les politiques ont une revanche à prendre à l’égard de l’homme qui les a humiliés et ils exploiteront immédiatement un retournement de l’opinion qui mettra en lumière l’isolement du nouveau président. Pour cela, ils ont l’arme de l’impeachment qui a été utilisée à l’encontre de Bill Clinton et que celui ci a déjoué grâce à sa grande popularité. En revanche, la conjonction de mauvais sondages d’un public déçu et de trop flagrants conflits d’intérêt peuvent être fatals au président Trump.