Européens, faites partir Wolfowitz ! edit

10 mai 2007

Le FMI et la Banque mondiale sont-ils des agents des Etats-Unis qui cherchent à imposer au monde entier les idées anglo-saxonnes ? L'idée est populaire, mais bien loin de la réalité. L'affaire Wolfowitz offre une intéressante illustration de la manière dont fonctionnent ces institutions. Pour ceux qui l'ignorent, Wolfowitz est le président de la Banque mondiale. Il a une belle carrière derrière lui : ancien vice-ministre de la Défense de Bush, il est l'un des plus flamboyants « néo-cons », terme réservé aux Etats-Unis pour identifier les néoconservateurs qui ont pris le pouvoir avec l'arrivée de George W. à la Maison blanche. Après avoir « brillamment » réussi à monter la guerre en Irak, il a obtenu son bâton de maréchal à la tête de la Banque mondiale, une marque de profonde gratitude de son président.


Connu pour son scepticisme à l’égard des politiques d’aide au développement, il a fait de son nouveau mandat une base de la croisade contre la corruption, identifiée – à juste titre, d’ailleurs – comme l’un des obstacles les plus graves au développement des pays pauvres. Mais voilà, on a découvert qu’à son arrivée à la Banque mondiale, il a organisé le détachement dans un ministère américain d’une membre du personnel qui se trouvait alors être une amie très proche. Les règles d’éthique de la Banque – et oui, il y en a ! – interdisent qu’une personne travaille sous les ordres, directs ou indirects, de son partenaire dans la vie. Comme, en tant que patron, Wolfowitz a tout le personnel de la Banque sous ses ordres, cette mutation était donc parfaitement justifiée. Le problème c’est qu’à cette occasion, la dame a obtenu une augmentation de salaire qui va au-delà de toutes les règles de la maison. Il s’est rapidement avéré que l’augmentation avait été décidée par le président lui-même, contre l’avis de ses adjoints.

Un vrai beau scandale. Le croisé de la lutte contre la corruption pris la main dans le sac ! Courageusement, les syndicats des personnels de la Banque et plusieurs officiels ont demandé sa démission, estimant qu’il avait perdu son autorité. Fidèle à la tradition néo-cons qui consiste à ne jamais admettre la moindre erreur, Wolfowitz a indiqué qu’il n’avait aucune intention de démissionner. Cela pose la question de la gouvernance de la Banque mondiale. Comme le FMI, la Banque est soumise à l’autorité d’un Conseil des gouverneurs, constitué des ministres de l’économie ou des finances des pays membres. Comme ce Conseil ne se réunit qu’une fois par an, il délègue son autorité à un Conseil d’administration composé de 24 personnes qui résident à Washington.

Les cinq principaux actionnaires (Allemagne, États-Unis, France, Japon, Royaume-Uni) ont chacun leur propre administrateur, les autres pays se partagent les 19 administrateurs restants. Chaque administrateur a un droit de vote qui est proportionnel aux droits attribués à chacun de leurs pays. Les Etats-Unis ont 16,4% des voix, les Européens en contrôlent 28,9%, dont 4,3% pour la France. Pourquoi tous ces détails ? Parce que le Conseil d’Administration a le pouvoir de renvoyer le président. A ce jour, il ne l’a pas fait.

Par la voix de leur président en personne, les Etats-Unis ont fait savoir que Wolfowitz garde toute leur confiance. Mais l’administrateur américain ne pèse que 16,4%. On pourrait imaginer que les autres administrateurs passent outre. On pourrait même imaginer que les administrateurs européens, qui se consultent régulièrement, prennent la tête d’une opération de salubrité publique. Pour l’instant, on ne voit rien de tel. Les personnels qui ont pris des risques personnels pour faire savoir leur outrage, probablement convaincus que le Conseil d’administration allait promptement agir, doivent se sentir bien seuls. Certes, une procédure est en cours et il se peut que les administrateurs européens attendent le bon moment. Mais, en attendant, la prudence est ce qui caractérise leur attitude, comme s’il existait des doutes sur la conclusion de cette affaire.

Comme toujours au FMI et à la Banque, les pays membres ne s’opposent pas aux Etats-Unis dès lors que ceux-ci ont pris une position ferme. Pratiquement toutes les décisions qui sont décriées sont la conséquence d’une telle démission collective. Les Etats-Unis jouent leur rôle de premier actionnaire mais, en principe, leur pouvoir est limité. Ce qui leur donne une influence énorme, ce n’est pas le nombre de leurs voix, c’est l’incompréhensible suivisme des autres pays membres, France et Europe en tête.

L’affaire Wolfowitz est exemplaire. Personne, hormis Bush, ne le défend. Certes, ses jours sont comptés. Encore quelques jours ou quelques semaines, et il démissionnera « pour convenance personnelle », histoire de partir la tête haute. C’est, paraît-il, le genre de solution qu’adorent les diplomates. Mais laisser Wolfowitz partir la tête haute est scandaleux et ne fait que ternir l’image de la Banque mondiale et renforcer la fausse impression d’une imparable domination américaine. La raison du scandale n’est pas à Washington, mais à Paris, Berlin, Rome, Londres et bien d’autres capitales où l’on estime que la réputation du FMI et la Banque mondiale ne vaut pas une fâcherie avec la super-puissance, même lorsque l’on fait de beaux et grands discours pour réclamer un monde multipolaire.

C’est bien commode d’attaquer les Etats-Unis dans nos journaux et de se taire à Washington. Ça le serait moins si les citoyens et les médias arrêtaient de répéter des contre-vérités sur le pouvoir des Etats-Unis et s’ils demandaient à leur ministre, Thierry Breton en l’occurrence, ce qu’il fait pour rétablir l’intégrité de la Banque Mondiale aujourd’hui, et du FMI en bien d’autres occasions.