Pourquoi les poulets brésiliens ne s'envolent pas vers l'Europe edit

20 septembre 2006

Un des thèmes les plus sensibles dans les relations commerciales entre le Brésil et l'Union européenne est l'accès au marché des poulets brésiliens. C'est avec la question de la viande bovine l'un des points clés de la position européenne dans le cycle de Doha. L'UE n'autorise aujourd’hui que 29 000 tonnes de volailles brésiliennes, réparties sur six quotas d'importations. Cela représente 0,4 % d'une consommation européenne qui s'élève en tout à 11 millions de tonnes annuelles. Toute importation dépassant ce volume subit des tarifs prohibitifs qui, joints à des mesures de sauvegarde spéciales, aboutissent à une augmentation de 1,450 euro par tonne, soit exactement 100 %.

C'est un exemple typique des multiples instruments protectionnistes qui peuvent affecter une ligne de produits. A Doha, les négociateurs européens ont généreusement proposé de faire passer les quotas à… 36 000 tonnes annuelles. Dans les couloirs, ils ont laissé entendre qu’ils pourraient aller jusqu’à 100 000 tonnes, soit 2,5 % de la consommation européenne. Pour bien comprendre l’insignifiance de cette proposition, il faut savoir qu’en 2005 le Brésil a exporté en Europe presque 350 000 tonnes de volailles, dont plus de 60 % étaient lourdement taxées.

Mi 2003, les Européens ont unilatéralement décidé de développer des mesures protectionnistes pour le secteur. À l'époque, le Brésil exportait environ 150 000 tonnes de poulet salé et congelé à destination des industries agroalimentaires européennes, avec une taxe de 15,4 %. L'UE a changé les règles, en plaçant le poulet salé dans la tranche d'imposition plus élevée qui affecte aussi les viandes non salées, sur la base d’un tarif fixe de 1,024 euro par tonne. Cela représente environ 70 % du prix de vente original. Le Brésil a porté l’affaire devant l’OMC, qui a rendu un jugement favorable en forçant l'UE à revenir aux niveaux tarifaires précédents.

Mais l'UE n'a pas baissé sa garde, lançant au contraire une nouvelle mesure arbitraire contre les poulets brésiliens en s’appuyant sur l'article 28 des accords GATT de 1947. Dans le système GATT-OMC, les pays doivent notifier les tarifs maximums pouvant être appliqués aux produits spécifiques, mais l'article 28 autorise n'importe quel membre à changer ses tarifs, du moment que les pays lésés bénéficient de compensations.

Comme je l’ai dit, l'UE protège traditionnellement la viande de poulet congelée avec des tarifs dissuasifs et des quotas misérables, alors que la viande déjà découpée bénéficiait de tarifs moins élevés et n’étaient pas soumise à quotas. On comprend dans ces conditions que les industries agroalimentaires brésiliennes et thaïlandaises aient investi dans une option présentant davantage de valeur ajoutée, en commençant à exporter en Europe des volailles découpées. Bonne stratégie, fondée à la fois sur une diversification et sur une augmentation de la valeur ajoutée ; les exportations brésiliennes ont augmenté de 300 % entre 2000 et 2005. Contre-attaque européenne : en juin, l'UE annonçait que les tarifs appliqués aux volailles découpées étaient portés au niveau de ceux qui frappent les produits non transformés. Autrement dit, la position de Bruxelles semble désormais dictée par les lobbyistes de l’agroalimentaire.

Les importations de viande représentent en tout 6 % de la consommation européenne, et elles sont loin de menacer les producteurs et les exportateurs de l’Union. La seule alternative offerte aujourd’hui aux producteurs brésiliens semble de négocier des quotas de compensation, ce qui limitera probablement les exportations brésiliennes de poulets découpés à un niveau inférieur à celui de 2005, mettant un coup d’arrêt au développement de cette industrie. Autrement dit, grâce à un processus de filtrage à base d’exceptions et d’échappatoires au système commercial multilatéral et s’appuyant sur un régime de quotas draconiens, l'UE va bloquer non seulement la croissance, mais aussi le développement futur d’activités à plus grande valeur ajoutée qui commençaient à peine à donner des résultats.

Sans doute l'UE a-t-elle réduit ses subventions domestiques, mais elle reste résolue à conserver intact son système quasi-médiéval de barrières douanières fondé sur des méga-tarifs, des quotas, des clauses de sauvegarde spéciales, sans parler des barrières non-tarifaires comme les normes sanitaires, techniques et environnementales. Et si cela ne suffit pas pour limiter l’accès à ses marchés, elle aura recours aux relèvements de tarif autorisés par l'article 28. Pour les exportateurs brésiliens, cela représente une perte annuelle de 350 millions de dollars.

Le relèvement unilatéral des tarifs représente une détérioration profonde des relations commerciales entre le Brésil et l'Union Européenne, aussi bien dans le cadre du cycle de Doha que dans celui des négociations bilatérales entre le Mercosur et l'UE, que le gouvernement brésilien est décidé à rouvrir. Les Européens répètent à l’envi qu'ils sont les plus grands importateurs mondiaux de produits agricoles, et ils se décrivent comme un marché ouvert pour les importations agricoles. Mais il suffit de jeter un coup d’œil aux exportations agricoles brésiliennes en Europe pour constater que sur neuf produits clés, l'UE en bloque littéralement trois (le porc, le sucre et la crème) et limite sévèrement les six autres (le bœuf, la volaille, l'éthanol, le café instantané, les bananes et le maïs). Dans ces conditions, quelle sorte d'accord multilatéral ou bi-régional peut-on espérer conclure ?

Au mépris des liens historiques, culturels et économiques qui attachent le Brésil à l’Europe, les questions commerciales sont toujours placées sous le signe du dialogue des sourds et des mesures arbitraires. Cela n’est pas sans risque.