Nicolas Sarkozy à Moscou: un futur axe franco-russe? edit

2 novembre 2015

La conférence de l’ancien Président sur la situation internationale au prestigieux Institut d’Etat des relations internationales de Moscou (MGIMO) a été suivie d’un entretien avec Vladimir Poutine. Au-delà des traditionnelles déclarations passionnées et des formules plus ou moins convenues sur la grandeur de l’amitié franco-russe, des rituels existants entre les deux hommes depuis la médiation de Nicolas Sarkozy dans la guerre russo-géorgienne de 2008, quelles perspectives se dressent en cas de victoire de Nicolas Sarkozy à l’élection présidentielle de 2017 ? Nicolas Sarkozy donnerait-il alors un nouveau cours aux relations tumultueuses entre Paris et Moscou, émaillées de l’annulation de la vente des Bâtiments de Projection et de Commandement de classe Mistral (BPC), de plusieurs vagues de sanctions et d’un soutien répété au président ukrainien, Petro Porochenko ? Rien n’est moins sûr : en dépit de la rhétorique conciliante adoptée par Nicolas Sarkozy à Moscou, plusieurs forces de rappel structurelles entravent le développement d’un partenariat franco-russe décomplexé.

Les relations entre les deux hommes ont, il est vrai, par le passé, revêtu un aspect de bonne entente et de coopération : en dépit du désaccord sur la proclamation d’indépendance de Ossétie du Sud, la France de Nicolas Sarkozy a en effet proposé sa médiation, contribué à figer la situation dans un « conflit gelé » à l’avantage de Moscou et au détriment de Tbilissi, a engagé un partenariat économique et technologique par la conclusion du contrat concernant les BPC Mistral et conduit une politique internationale largement compatible avec les priorités de Moscou. Au fil des sommets et malgré les vicissitudes de la crise en Libye, les deux hommes ont développé une relation de soutien mutuel avantageuse aux deux : le statut d’homme fort de l’un venant régulièrement renforcer la carrure d’homme d’Etat de l’autre, et réciproquement.

Plus récemment, le 10 février 2015, Nicolas Sarkozy avait, concernant la crise en Ukraine, repris plusieurs des argumentaires du Kremlin : il avait ainsi souligné les liens historiques de la Crimée et de la Russie, mis sur un même plan l’autodétermination des populations du Kosovo et celle de la Crimée, appelé à une protection des minorités russophones en Ukraine contre les politiques discriminatoires du gouvernement central et appelé au renforcement des liens avec la Russie.

Dans la même lignée, dans son allocution au MGIMO, Nicolas Sarkozy, largement relayé par la presse russe a soigneusement souligné tous les points de convergences entre Vladimir Poutine et lui-même dans la situation actuelle : il a tout d’abord appelé à la levée des sanctions envers la Russie et s’est ainsi positionné, en rupture avec François Hollande, dans le camp de ceux qui, en Europe, comme la Hongrie, la Grèce ou l’Italie, souhaitent abandonner la politique de fermeté vis-à-vis de Moscou inspirée par la Pologne, les Etats baltes et appuyée par Berlin. L’ancien Président a également appelé à former un front uni des Européens, des Russes et des Américains contre le djihadisme international : ayant les mêmes ennemis, subissant les mêmes menaces et étant exposés aux même risques mondiaux, France et Russie sont naturellement alliés sur la scène internationale. En somme, le leader français semble s’aligner sur les positions défendues depuis longtemps par la présidence russe et proclamées urbi et orbi le 28 septembre 2015 à la tribune de l’ONU par Vladimir Poutine au moment de déclencher l’opération militaire russe en Syrie.

Pourrions-nous donc assister, en cas de victoire de Nicolas Sarkozy aux élections présidentielle puis législative à une inflexion stratégique dans les relations franco-russes ?

Certains l’espèrent, au sein du parti même de l’ancien Président. Un des grands succès de Vladimir Poutine est précisément d’avoir réussi, dans plusieurs pays d’Europe, à une reconfiguration des lignes inter- et intra- partisanes autour de sa personne et de son action. Ainsi, à l’intérieur du mouvement des Républicains, les clivages passent aussi entre les pro- et les anti-Poutine. Par son déplacement à Moscou, Nicolas Sarkozy envoie un signal à l’aile la plus conservatrice de son parti : le combat pour les valeurs chrétiennes et les valeurs traditionnelles, la lutte contre le terrorisme et les migrations illégales, la promotion d’un Etat fort et d’un patriotisme décomplexés, voilà tous les éléments que le futur candidat à l’élection présidentielle rassemble à Moscou en bénéficiant de l’aura du président russe.

Toutefois, plusieurs forces de rappel se manifestent dans les déclarations de Nicolas Sarkozy et dans la structuration même de l’action extérieure de la France. Ainsi, le leader français a-t-il préservé, malgré les apparences, plusieurs fils rouges de la diplomatie française de la décennie écoulée : le maintien au pouvoir de Bachar al-Assad, souhaité officiellement par les autorités russe, est, selon lui, un obstacle à la résolution politique de la crise syrienne ; en outre, il est possible et nécessaire de faire la différence, au sein de l’opposition syrienne, entre les modérés et les radicaux, contrairement aux thèses soutenues par le président russe, qui a déclaré vaine cette distinction lors de la récente réunion du club Valdaï à Sotchi en rayant l’idée d’un « terrorisme modéré ». Enfin, l’idée d’un changement de régime (le regime change néo-conservateur tant honni par le président russe) est repris comme une nécessité par l’ancien Président français.

De manière plus générale, les pierres d’achoppement entre Paris et Moscou sont loin de pouvoir être balayées d’un revers de main. Ainsi, la position de la France dans la crise ukrainienne tient à des principes que tous les pouvoirs publics français soutiennent avec constance, y compris au moment de la présidence Sarkozy : le principe d’intégrité territoriale de l’Ukraine est fondamental et interdit une reconnaissance rapide de l’intégration de la Crimée dans la Fédération russe ; le principe de souveraineté nationale est également infrangible et ne peut que conduire Paris à réclamer l’application des accords de Minsk I et II visant à rétablir progressivement le « monopole de la violence légitime » de Kiev dans le bassin du Donbass ; enfin, la sortie du régime de sanction n’est pas du seul ressort de Paris : un président français nouvellement élu ne pourra qu’en être l’avocat, pas le juge, face aux partenaires européens. D’ici 2017, il y a de toute façon fort à parier que l’effet des sanctions sur la Russie aura tant été affaibli (par les stratégies de contournements déployées par Moscou et par un retournement éventuel de la conjoncture en Russie) que réclamer leur retrait sera une position bien plus consensuel.

En somme, à Moscou, Nicolas Sarkozy se pose moins en alternative à la politique russe de François Hollande qu’il ne reprend la ligne traditionnelle des chefs de l’opposition française à l’étranger : lancer quelques formules indirectes contre l’action du chef de l’Etat français, bénéficier de l’aura de son hôte, mais reconduire en fait la ligne politique traditionnelle du pays.

On comprendra dans ces conditions qu’un réalignement franco-russe majeur n’est pas à l’ordre du jour.