Les conséquences du Brexit: incertitudes et clarification géopolitique edit

July 1, 2016

Le vote du peuple britannique en faveur du « Brexit », le 23 juin dernier, a ouvert une période d’incertitudes mais aussi apporté une clarification géopolitique.

Au titre des incertitudes, il y a d’abord la situation politique intérieure britannique qui prendra plusieurs mois à se stabiliser : la démission annoncée de David Cameron, la compétition interne au sein du parti conservateur comme au sein du parti travailliste, de probables élections générales.

Cela va compliquer la négociation du futur lien du Royaume-Uni avec l’Union européenne à 27, comme on le voit au retard pris par l’activation de « l’article 50 » du TUE (qui engage le délai de deux ans pour achever le retrait). Le scénario d’un nouveau vote (réclamé par une pétition qui a déjà recueilli près de 4 millions de signatures) ou d’un blocage de la part des parlementaires ne peut être exclu, mais il n’est pas très probable compte tenu de la victoire nette du « leave » (52 %, avec une participation de 70 %) et de la dimension identitaire de la question (on pourrait imaginer des dérogations nouvelles de la part de l’UE dans le « statut spécial » du Royaume-Uni, mais l’UE est déjà allée très loin et il n’est pas évident que cela réponde aux préoccupations identitaires des Britanniques).

À terme, le Royaume-Uni devrait garder des liens économiques forts avec le continent, au profit de tous. Il pourrait réintégrer l’Association européenne de libre-échange, dont il était un membre fondateur, comme la Norvège et la Suisse qui en font encore partie aujourd’hui. Compte tenu du poids du pays, il est peu probable qu’il rejoigne le cadre plus contraignant de l’Espace économique européen s’appliquant à la Norvège, à l’Islande et au Liechtenstein, ou l’union douanière offerte à la Turquie (qui aspire à rejoindre l’UE), mais plutôt qu’il négocie un statut sur mesure « à la Suisse ». Dans la négociation de ce statut, l’UE devra être – comme à l’égard des Suisses – très vigilante pour défendre ses intérêts et contrer la politique du « pick and choose » (par exemple, elle devra exiger de Londres qu’en contrepartie de l’accès au marché intérieur, une contribution significative soit versée à la politique de cohésion de l’UE pour compenser la perte de la « contribution nette » britannique actuelle). La transition peut être souple, avec une négociation qui sera difficile et prendra du temps (deux ans à partir de l’activation de l’article 50) et une période de transition qui pourrait aller jusqu’à l’expiration du cadre pluriannuel du budget européen (2014-2020).

Au titre des incertitudes enfin, il y a les risques pesant sur l’unité du Royaume-Uni (l’Irlande du nord, l’Ecosse et Gibraltar ayant clairement choisi le « remain ») et aussi le risque de possible contagion du Brexit vers d’autres pays membres de l’UE (notamment les pays protestants à famille inégalitaire, comme le Danemark et la Suède, non membres de l’euro, ou les Pays-Bas ; mais aussi d’autres pays, y compris la France, compte tenu de la montée de l’euroscepticisme). La monnaie unique, pour les pays qui en font partie, constituera une solide corde de rappel face à la contagion du Brexit : on l’a vu en Grèce, où le mécontentement envers l’Europe n’a pas entraîné une sortie de la monnaie unique qui aurait encore plus appauvri le pays. De même, les pays de l’Est ont trop à perdre des aides du budget européen pour emboîter le pas aux Britanniques.

C’est là que le Brexit apporte aussi une clarification géopolitique majeure. « L’Angleterre est une île, et en disant cela je crois avoir tout dit », répétait André Siegfried à ses étudiants. Le Royaume-Uni a adhéré à un marché commun mais jamais à un projet politique. Il n’est ni dans l’euro ni dans Schengen, et bénéficie de dérogations diverses. Son départ offre l’opportunité de mieux faire converger le cadre institutionnel de l’UE (à 27), la zone euro (à 19) et la zone Schengen (26 pays, dont 22 dans l’UE et 4 extérieurs à l’UE). La perspective de nouveaux élargissements de l’UE, dont Londres a toujours été l’un des avocats les plus ardents, va encore s’éloigner, et un statut sur mesure pour le Royaume-Uni peut inspirer un statut sur mesure pour la Turquie. L’enjeu majeur va être en revanche de consolider la zone euro (par une convergence macroéconomique) et d’arrondir ses limites (Pologne et République tchèque, pays à tendance fortement souverainiste en raison notamment de la méfiance persistante vis-à-vis de l’Allemagne ; Hongrie ; voire Croatie). Les blocages britanniques sur l’approfondissement de l’Europe de la défense (QG européen, budget) vont être levés, les préférences libérales britanniques en matière fiscale ou commerciale vont moins peser sur la politique économique européenne.

La sortie du Royaume-Uni accroît mécaniquement le poids de la France, qui retrouvera presque la part de population qu’elle avait avant les élargissements à l’est (15 % au lieu de 13), ce qui compte dans le critère de la majorité démographique pour la prise de décision. Avec l’Allemagne (18 % de la population), la France, qui a une dynamique démographique favorable, formera presque une minorité de blocage (35 %). L’enjeu pour les deux pays est de repenser leur relation alors que le Royaume-Uni était un partenaire privilégié de la France dans les affaires stratégiques depuis la déclaration de Saint-Malo (1999), et un partenaire privilégié de l’Allemagne sur les questions économiques. La nouvelle situation n’empêchera pas les coopérations dans le cadre de l’OTAN, du Conseil de l’Europe, de l’OSCE ou du G7/G20, forums dont le Royaume-Uni continuera à faire partie, ni une association forte de ce pays au marché intérieur. Mais alors que le soutien des Etats-Unis n’a pas suffi à empêcher le « Brexit », la France et l’Allemagne ont plus que jamais l’obligation de renforcer l’Europe, y compris dans la relation de « dialogue et fermeté » avec la Russie (cf. le « format Normandie » dans la crise ukrainienne).

La sortie du Royaume-Uni n’est pas une bonne nouvelle, car elle accroît le malaise sur l’adhésion des peuples au projet européen. La paix et la réconciliation n’apportent plus une légitimité suffisante. A présent, « l’Europe doit donner la preuve qu’on fait mieux ensemble que séparément » (Pascal Lamy). Recentrée sur la zone euro, l’Union européenne doit combiner méthode intergouvernementale et instruments communautaires pour « délivrer » (un anglicisme - il est sans doute trop tard pour que Bruxelles se remette à parler français) sur le plan des résultats : croissance, amélioration de la compétitivité, réponse à la crise migratoire, sécurité, « juste échange » avec les pays tiers. Plutôt que de courir aux référendums derrière les populistes, il faut mener et expliquer les réformes indispensables, écouter les inquiétudes des peuples et y répondre, et ne pas laisser au bord du chemin ceux qui sont marginalisés ou exclus par la mondialisation.