Un an après Hong Kong, où en est l'OMC? edit
Comme chacun sait l'OMC a quatre fonctions. Elle négocie et fixe les règles du commerce international, elle assure la surveillance permanente de la mise en œuvre par les 150 États membres de l'ensemble des règles accumulées depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, elle gère le contentieux relatif à ces règles, dans le cadre d'un mécanisme de règlement des différends qui est en fait de nature judiciaire, et elle consacre enfin des moyens importants à la formation au droit commercial international des négociateurs, des législateurs et des administrations des pays en voie de développement. Le programme de négociations en cours depuis Doha, en 2001, comporte une vingtaine de sujets. Il ressemble aux précédents dans sa logique mais revêt une dimension plus politique, imposée par les pays en développement : l'objectif est de rééquilibrer les règles du commerce international, qu'ils estiment leur être défavorables, notamment en matière agricole.
Depuis cinq ans, les vingt sujets ont avancé selon un processus d'accumulation progressive très complexe, dès lors qu'il s'agit de mettre d'accord 150 pays aux niveaux de développement et aux intérêts très hétérogènes. La négociation n'a pas suffisamment avancé pour être conclue mais, en termes d'impact potentiel sur les échanges commerciaux internationaux, les résultats déjà obtenus valent deux à trois fois le quantum du cycle précédent, qui s'était terminé en 1994. Plusieurs thèmes font encore l'objet de débats et l'un d'entre eux, l'agriculture, prééminent à certains égards sur les autres, a connu un accident de parcours en juillet 2006, ce qui a amené à suspendre la négociation. Des discussions techniques entre experts ont repris depuis quelques semaines mais l'OMC n'en est pas au stade où elle pourrait réunir les ministres pour boucler le volet agricole, qui conditionne le reste.
La prépondérance du volet agricole est moins due à des motifs économiques qu'à des motifs politiques. Ce secteur ne représente en effet que 7 à 8 % du commerce mondial mais bénéficie d'une attention politique particulière dans tous les pays, du Nord au Sud et de l'Est à l'Ouest, quel que soit leur degré de démocratie, en raison du rôle particulier qu'il joue dans la vie des sociétés. Ce phénomène se constate en particulier en France, mais également aux États-Unis, où l'agriculture n'occupe pas une place fondamentale dans l'économie nationale proprement dite.
Même si ces acteurs de l'OMC ne décident pas pour les autres, les positions respectives des États-Unis, de l'Europe, du Japon, de l'Inde et du Brésil permettent de comprendre pourquoi la négociation, en juillet 2006, a achoppé sur l'agriculture.
Les Américains ayant peu de protections tarifaires mais versant beaucoup de subventions, ils demandent une diminution des tarifs agricoles des autres pays pour le prix de la réduction de leurs subventions. Les Européens, qui versent d'importantes subventions et disposent de protections tarifaires élevées, espèrent une réduction des subventions américains aussi significative que possible. Le Japon partage les mêmes caractéristiques que l'Europe. L'Inde, qui pratique des tarifs élevés mais ne verse pas de subventions, est prête à réduire un peu les premiers mais attend en contrepartie une réduction des subventions américaines et européennes. Quant au Brésil, qui n'a ni tarifs élevés ni subventions, il est offensif sur tous les tableaux. L'OMC n'est donc pas parvenue à trouver un équilibre entre ces positions ; elles étaient même tellement éloignées les unes des autres qu'il n'y avait pas de terrain d'entente possible, contrairement à ce qui s'est passé sur les dix-neuf autres sujets.
Le choc provoqué par cette suspension a conduit les négociateurs à prendre un peu de recul avant d'entamer la dernière étape du parcours. Les résultats déjà obtenus dans les autres domaines ne doivent pas être négligés, sans compter qu'un échec éventuel aurait des conséquences économiques et politiques considérables, avec une menace d'érosion du système de discipline multilatérale, police d'assurance collective contre les excès du protectionnisme, qui vise à stabiliser l'organisation commerciale internationale et à rendre ses règles plus transparentes.
Même si des contacts bilatéraux ont de nouveau lieu, les négociations politiques n'ont pas repris et elles ne reprendront pas avant que les uns et les autres ne chiffrent plus clairement les intentions qu'ils affichent d'adopter une attitude plus souple.
Les délais dépendent assez étroitement du cycle législatif des États-Unis. Le Congrès américain doit donc déléguer son autorité de négociation à l'exécutif, ce qu'il ne consent à faire que dans le cadre d'un troc institutionnel complexe et toujours pour une durée limitée, l'échéance tombant précisément en juillet 2007.
La loi d'orientation agricole américaine, valable pour cinq ans, sera réexaminée en 2007. La position des États-Unis dans les négociations s'en trouvera sans doute modifiée, notamment pour ce qui concerne la réduction des subventions perturbant les échanges, soit environ un quart des aides totales. Le printemps 2007 constituera par conséquent une phase critique.
La négociation s'effectue par « paquets » : en 2001, lorsqu'elle a été lancée, les États membres de l'OMC ont décidé de n'ajouter et de ne retirer aucun sujet au périmètre fixé, mais aussi de ne cesser les discussions qu'une fois tombés d'accord sur tous les points : c'est le « principe de l'engagement unique ». Au moment de la préparation du prochain cycle, la question sera reposée et il pourra être envisagé de négocier sujet par sujet. Toutefois, plus les sujets sont nombreux, plus il est facile pour les négociateurs de convaincre les élus de leurs pays de la qualité de l'accord trouvé. En tout cas, le cycle en cours ne pourra aboutir que si un accord est obtenu en matière agricole, c'est-à-dire si un compromis se fait entre la réduction des subventions perturbant les échanges et celle des protections à la frontière.
Si la négociation multilatérale échoue, il serait tentant de revenir au bilatéralisme. Est-ce un risque ? Tout est question de mesure. Du point de vue de l'imagerie politique, les accords bilatéraux sont infiniment plus parlants. Par le passé, la coexistence de discussions multilatérales et bilatérales a entraîné des progrès synergiques. Cette synergie peut demeurer dès lors que le système reste fondamentalement multilatéral et que la consolidation de ce système multilatéral reste la priorité.
Les accords bilatéraux ne peuvent pas remplacer les accords multilatéraux mais seulement les compléter. Ils supposent par exemple que soient identifiées les exportations provenant du pays partenaire, d'où des lourdeurs administratives. Ensuite, certains sujets prioritaires pour les pays en développement, notamment les subventions agricoles, la pêche ou les instruments de défense commerciale, ne sont pas susceptibles d'un traitement bilatéral. Enfin, pour signer un accord bilatéral avec les États-Unis, l'Europe ou la Chine, un pays de taille modeste doit faire des concessions supérieures à celles qui seraient nécessaires dans un cadre multilatéral, sans aucune garantie que les mêmes conditions ne seront pas accordées à ses voisins.
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