Réforme du pacte de stabilité: une occasion manquée? edit

29 novembre 2022

Après des mois de délibérations et de consultations, la Commission Européenne a finalement publié sa proposition pour réformer le pacte de stabilité et de croissance. Ce projet comporte deux avancées importantes et cinq insuffisances.

La première avancée est d’adopter comme critère central l’évolution à venir de la dette publique. C’est là le seul concept valide. La discipline budgétaire se mesure dans le temps, elle ne repose absolument pas sur le déficit budgétaire cette année ou l’an prochain. La limite arbitraire de 3% du PIB a rendu le pacte inutilisable. Pour être reconnue soutenable, la dette publique doit converger vers un niveau modéré, par exemple qu’elle se rapproche du seuil de 60% du PIB, un niveau raisonnable mais irréaliste à moyen terme dans de nombreux pays.

La seconde avancée est de ne pas traiter tous les pays de la même façon, mais de tenir compte du niveau actuel de l’endettement public. C’est la suite logique de la première avancée. Elle permet de ne pas chercher à contraindre le déficit budgétaire annuel indépendamment de ce qui est économiquement possible et politiquement faisable.

La Commission avait reconnu depuis longtemps qu’il fallait avancer dans ces deux directions, et sa pratique s’en rapprochait parfois. Mais la règle des 3% demeurait le guide officiel, ce qui conduisait souvent à des contorsions étranges qui ont beaucoup décrédibilisé le pacte. Il est impossible de sous-estimer l’importance de ces deux modifications, qui redéfinissent le concept de discipline budgétaire pour l’aligner, enfin, sur ce qui est communément admis, depuis très longtemps. Quel dommage, donc, que ces avancées soit gâchées par des mesures de mise en œuvre malvenues !

En premier lieu, l’évolution du sentier que devra suivre la dette publique serait déterminé par la Commission elle-même. Ces calculs permettent de déterminer la dette publique à un horizon donné. Les calculs sont simples et apparemment purement comptables, donc indiscutables. Mais la longueur de l’horizon est cruciale. Il doit être assez éloigné pour correspondre au concept de soutenabilité, qui évoque le long terme. La Commission propose de définir cet horizon comme les quatre prochaines années, ce qui trop court. Elle admet la possibilité de l’allonger à sept ans, sous condition (voir plus loin). Un aspect positif est les calculs de l’évolution de la dette seront extraits de calculs sous-jacents qui portent sur dix ans, un horizon raisonnable. Là où le bât blesse, c’est que ces calculs, tout comptables soient-ils, requièrent de poser des hypothèses sur l’évolution sur dix ans de trois variables : le taux d’intérêt, le taux de croissance et les déficits (ou surplus) du déficit budgétaire. Évidemment, ces hypothèses sont hautement incertaines, en fait largement arbitraires. La Commission propose de s’en charger. Mais alors le résultat sera entièrement déterminé par les choix des services de la Commission. Ce faisant, elle va à l’encontre de son souhait, constamment réaffirmé, de donner plus de responsabilité aux pays membres. Des diktats arbitraires, motivés par l’objectif de 3%, on passe à des nouveaux diktats tout aussi arbitraires.

Ensuite, si le passage à un horizon de quatre ans représente indéniable un progrès, c’est bien trop court pour éviter des corrections budgétaires précipitées. Dans le passé, cette propension à vouloir agir tout de suite à eu pour résultat de préconiser des politiques budgétaires procycliques, c’est-à-dire à chercher à imposer l’austérité quand l’économie est en récession, soit le contraire de ce qu’il faut faire. Cette approche a gravement réduit l’applicabilité du pacte. Anticipant cette critique, la Commission ouvre la porte à un horizon de sept ans, mais elle impose en contrepartie de bien étranges conditions qui n’ont aucun rapport direct avec la discipline budgétaire. En gros, elles portent sur la mise en œuvre de réformes structurelles ou la promesse de « bons » investissements publics. Certes, de telles mesures pourraient accélérer la croissance et incidemment la baisse du ratio de la dette publique au PIB, mais la conséquence est de mélanger deux objectifs distincts, la discipline budgétaire et la qualité de l’action politique. Depuis deux décennies le pacte de stabilité a échoué à assurer la discipline budgétaire, un objectif politiquement difficile. Demander maintenant, en plus, des réformes tout aussi délicates politiquement a peu de chances de réussir.

La troisième erreur concerne le choix de l’instrument censé atteindre l’objectif de dette. Les calculs d’évolution future de la dette indiquent qu’il s’agit du solde budgétaire primaire – primaire car on déduit le paiement des intérêts sur la dette. Le problème, bien identifié depuis longtemps, est que les gouvernements ne contrôlent pas précisément leurs soldes budgétaires, car ils fluctuent en fonction des circonstances. Par exemple, les recettes fiscales augmentent mécaniquement avec l’inflation (c’est qui s’est passé en 2022) alors que les dépenses d’aide au chômage baissent en période de forte croissance (comme en 2021-2022). La solution, adoptée il y a une dizaine d’années, a consisté à évaluer le budget en calculant ce qu’il serait en période normale (ni boum, ni récession, et inflation à 2%). L’expérience a montré que cette bonne idée n’en était pas une parce que ces calculs sont très imprécis, trop pour servir de guide fiable. La Commission propose un autre indicateur, les dépenses publiques. Mais le solde budgétaire dépend aussi des recettes fiscales. Cela conduit la Commission à vouloir ajuster les dépenses publiques en soustrayant les modifications de la fiscalité et le montant des allocations de chômage supplémentaires versées en raison de la conjoncture. Trop compliqué pour comprendre ? Bien sûr, et c’est un gros problème. Bien des ministres et de leurs administrés auront du mal à comprendre ce que leur demandera la Commission au nom du nouveau pacte de stabilité. La Commission annonce vouloir un pacte simple et compréhensible, c’est raté. Ce faisant, le nouvel indicateur ressemble beaucoup à l’ancien solde budgétaire ajusté et souffrira donc des mêmes difficultés d’évaluation.

Quatrièmement, la proposition ignore une évolution récente observée dans de nombreux pays, la création de conseils budgétaires indépendants. Imposés en Europe lors la dernière réforme du pacte, ces conseils sont censés réunir un petit groupe d’experts reconnus comme compétents et apolitiques, chargés d’évaluer l’adéquation de la politique budgétaire à la discipline budgétaire. Leurs évaluations sont destinées à être rendues publiques de manière à peser sur les parlements qui doivent approuver le budget. Dans certains pays, ces conseils sont influents, comme ce fut le cas lors de la crise déclenchée le mois dernier en Grande-Bretagne lorsque Liz Truss n’a pas soumis son mini-budget à son très respecté conseil. Cette manœuvre a suscité des doutes profonds, et elle a dû démissionner. Certes, en Europe, certains gouvernements se sont évertués à émasculer leurs conseils, parfois surnommés chiens de garde. C’est le cas en France : qui connaît le pléthorique Haut Conseil des Finances Publiques ? Mais on sait comment construire des conseils efficaces. Dans un projet censé redonner aux pays membres plus de contrôle sur la discipline budgétaires, on aurait pu s’attendre à ce que le Commission demande aux pays membres de renforcer leurs conseils, lorsque c’est nécessaire (la liste est un secret de polichinelle). Les conseils auraient pu alors prendre en main toute la procédure, sous la surveillance d’un conseil budgétaire européen indépendant. En réalité, pour l’instant (cela pourrait bouger), la Commission propose de s’approprier ce rôle, tant au niveau national qu’européen.

Enfin, la mise en application des règles a toujours été le talon d’Achille du pacte de stabilité. En particulier, il est illusoire de s’appuyer sur des sanctions financières pour forcer les gouvernements récalcitrants. Les gouvernements sont naturellement peu enclins à se punir de la sorte les uns les autres. Depuis 1999, aucune sanction n’a été décidée, alors que les dettes ont considérablement augmenté dans plusieurs pays. Et pourtant, la Commission persiste. Son idée est que les sanctions seront utilisées si elles sont moins importantes. C’est probablement une nouvelle illusion. Il serait préférable de s’en remettre à des conseils budgétaires indépendants en exigeant qu’ils aient plus de moyens d’influencer les processus budgétaire.

La Commission a fait œuvre utile en reconnaissant que l’évolution de la dette publique est un concept de long terme, en mettant l’accent sur la trajection pluriannuelle des déficits budgétaires, et en proposant d’adopter une approche diversifiée qui tient compte des conditions particulières de chaque pays. Malheureusement, les erreurs inclues dans sa proposition fragilisent l’ensemble du projet. Sans aucun doute, elle doit naviguer entre les vues parfois contradictoires des pays membres en matière de discipline budgétaire. La réponse ne peut être que de s’en remettre plus clairement aux autorités nationales qui ont le pouvoir de décider de la politique budgétaire, autrement dit décentraliser la responsabilité de la discipline. Cela passe par une mise en place rigoureuse de conseils indépendants et influents, au niveau de chaque pays comme au niveau européen. Dans la mesure où cette décentralisation risque de réduire son rôle, il n’est pas surprenant que la Commission ne le propose pas.

Il revient maintenant aux pays membres d’évaluer la proposition. Certains vont y voir une tentative de prise de pouvoir de la Commission. D’autres y seront favorables dans la mesure où ils y verront la possibilité de négocier une mise en œuvre compréhensive, comme ce fut le cas dans le passé. Il se peut que le résultat sera un rejet de la proposition, ou bien son adoption. À ce stade, on peut craindre qu’une opportunité de finalement mettre en place la discipline budgétaire dans tous les pays de la zone euro ne soit gâchée. Une fois de plus.