France : un tournant social ? edit

5 février 2013

L’accord national interprofessionnel du 11 janvier 2013 est une forte étape dans la modernisation du droit social et de ses pratiques, tant par la méthode mise en œuvre que par son contenu.

Par la méthode mise en œuvre, car cet accord est un compromis conclu entre partenaires sociaux, conformément à la loi Larcher du 31 janvier 2007 qui les transforme en « prélégislateurs », et conformément à la stratégie présidentielle qui s’inscrit résolument dans cette logique notamment en envisageant d’en constitutionnaliser le principe et veut renforcer le rôle du dialogue social dans l’évolution de la société française. Une telle approche est transpartisane.

Par son contenu ensuite, car il propose des avancées importantes, permettant d’élever protection des travailleurs et efficacité économique. Ces avancées sont nombreuses et seules les plus significatives sont rapidement évoquées ici.

L’accord généralise la couverture complémentaire des frais de santé qui matérialise, au nom du droit fondamental à la santé, un principe similaire à celui relatif à la retraite complémentaire, peu important les difficultés de sa mise en œuvre. L’accord ouvre aux partenaires sociaux la possibilité de conclure au niveau des entreprises connaissant de graves difficultés conjoncturelles des accords de maintien dans l’emploi, en contrepartie de réductions transitoires de la durée du travail et des salaires. D’autres pays comme l’Allemagne ont montré que de tels accords permettent d’éviter des licenciements. L’accord développe aussi les moyens de décliner la flexicurité, par exemple en rendant rechargeables les droits à l’assurance chômage (une prise d’emploi ne fera pas disparaitre les droits à indemnisation déjà acquis et non « consommés »), en améliorant la portabilité des droits à la formation par la création d’un compte individuel de formation attaché à la personne du salarié, et en améliorant la portabilité droits en matière de prévoyance. Il réduit la dualité du marché du travail ; à cet effet, le taux de cotisation chômage employeurs sur les CDD de moins de trois mois est majoré et, simultanément, ce taux est porté à zéro durant trois mois sur les jeunes embauchés en CDI. Il prévoit la mise en place d’une durée minimale de 24 heures hebdomadaires pour le travail à temps partiel, assorti de dérogations notamment pour les emplois à domicile. L’accord sécurise et réduit les lourdeurs procédurales des licenciements collectifs et favorise le règlement des contentieux individuels dès l’étape de conciliation.

Si la possibilité de conclure des accords de maintien dans l’emploi est bienvenue dans la période actuelle de forts licenciements, on peut regretter qu’elle n’ait pas été ouverte à l’automne 2012, des négociations entre les partenaires sociaux étant déjà très avancées dès avril 2012 sur la question. On peut aussi regretter que de nombreuses rigidités actuelles du droit social, qui à la fois affaiblissent son rôle protecteur et sont contraires à l’efficacité économique, ne soient pas ou restent insuffisamment abordées dans l’accord. Mais cela ne doit pas faire occulter que par son ampleur et sa profondeur, l’accord est réellement historique et sans précédent depuis des décennies.

Cet accord constitue une très forte étape d’un processus plus long, sinon continu. De nombreux domaines du droit social doivent encore être adaptés à la société du XXIe siècle, notamment la formation professionnelle, les garanties sociales par la mutualisation de droits sociaux, le traitement plus efficace des litiges, la représentation élue du personnel… Et, bien sûr, les conditions d’un développement de la syndicalisation, le renforcement souhaitable du rôle des partenaires sociaux étant bridé en France par son taux, actuellement le plus faible parmi tous les pays de l’OCDE. Mais aborder cette dernière question nécessite d’évoquer préalablement celle, très délicate, du financement des syndicats.

Les signataires de l’accord ont montré leur sens de l’intérêt général. C’est maintenant au tour du gouvernement et du Parlement de faire la même démonstration. Le projet de loi destiné à transposer dans le droit français le contenu de l’accord devra respecter l’économie de ce texte, le président et le Premier ministre s’y étant engagés. Le Parlement devra alors assumer à son tour une responsabilité historique. Toute modification de l’esprit du texte constituerait une trahison, rendant difficile l’appel des partenaires sociaux à de nouvelles négociations interprofessionnelles ambitieuses et nécessaires. Cela n’exclut pas pour autant des modifications justifiées au regard d’exigences tant constitutionnelles que de droits fondamentaux.

Le procès d’illégitimité fait à cet accord, parce que signé par trois des cinq confédérations syndicales et non cinq, est totalement infondé. L’accord respecte les règles actuelles de représentativité pour valablement conclure un accord interprofessionnel. Il respecte aussi les nouvelles règles qui s’y substitueront dès 2013, en application de la loi du 20 aout 2008. Rappelons que ces nouvelles règles ont été voulues par les deux plus grandes confédérations syndicales, la CGT et la CFDT, dans la position commune du 9 avril 2008.

La portée de l’accord du 11 janvier et d’autres à venir est grande pour la société française. Il s’agit de la capacité d’y créer, par le compromis, les conditions d’une meilleure conciliation entre efficacité économique et protection des travailleurs. De cela dépend pour une bonne part la situation de l’emploi. Le droit social ne doit pas être figé mais, au contraire, continuellement se transformer, par la recherche permanente de nouveaux compromis entre partenaires sociaux. Il s’agit de choisir entre une stratégie condamnant la France à la paupérisation et de nombreux salariés au chômage et une stratégie dynamique de recherche permanente de nouveaux équilibres renforçant à la fois protection des travailleurs, efficacité économique et rôle des partenaires sociaux.

Dès la transposition de cet accord, se posera la question des domaines qui devront être abordés lors de nouvelles négociations interprofessionnelles. Il faut souhaiter à cet égard la même ambition que celle des négociations qui ont abouti à l’accord du 11 janvier. Au-delà, il est indispensable que cette même ambition de réforme se manifeste dans d’autres domaines de la vie économique et sociale.