Biocarburants : faut-il défiscaliser davantage ? edit
Les biocarburants font l'objet de toute l'attention des pouvoirs publics, et les candidats présidentiels rivalisent de promesses pour encourager leur production. Ces carburants sont le biodiesel, fabriqué à partir d'oléagineux et principalement utilisé en mélange avec le gazole, et le bioéthanol, produit à partir de plantes à sucre ou de l'amidon de céréales, mélangé à l'essence. Ces cultures bénéficient d'aides agricoles. De plus, en France, les biocarburants sont exonérés d'une partie des taxes pétrolières et les distributeurs sont fortement incités par un système de taxe à en incorporer un taux minimum dans les carburants fossiles. La France s'est en effet fixé un objectif d'incorporation de 7% pour 2010, allant au-delà d'une Directive européenne qui prône un taux de 5,75%.
Les aides aux biocarburants semblent recueillir un large consensus. Energie renouvelable, ils plaisent aux écologistes. La profession agricole y voit un débouché, si ce n'est une bouée de sauvetage, dans un environnement économique incertain du fait des menaces sur les budgets futurs de la Politique agricole commune (PAC) : avec les objectifs retenus, les biocarburants pourraient occuper quelque 2,5 millions d'hectares en France (sur 18,3 millions d’hectares de terres arables). Pour les pouvoirs publics, il y a là un espoir de réduire, au moins marginalement, la facture énergétique, tout en supprimant des casse-tête politiques : davantage d'utilisation non alimentaire signifie des prix agricoles plus élevés, ce qui rendrait moins douloureuses les réformes à venir de la PAC et aiderait à débloquer les négociations commerciales multilatérales.
Faut-il aider davantage les biocarburants ? Les analyses coûts-bénéfices se heurtent ici au problème des divergences méthodologiques entre les études, à l’origine d’une large gamme de résultats. De nombreux chiffres contradictoires circulent sur le bilan économique. Tentons ici une synthèse.
Les biocarburants permettent de réduire les émissions de gaz à effet de serre : le gaz carbonique émis lors de la combustion est compensé par l'absorption de CO2 par les plantes lors de leur phase de végétation. L'utilisation de biocarburants réduit aussi les émissions de particules et autres polluants locaux. Néanmoins, la production de biocarburants consomme elle-même de l'énergie, de l'eau, des engrais. Deux chercheurs américains, Pimentel et Patzek (2005) trouvent même que la production de biocarburants utilise plus de pétrole qu'elle n'en économise, pour le biodiesel comme pour l'éthanol. Leurs chiffres sont contestés. Si l'on prend une plus large gamme d'études, le bilan en énergie fossile paraît positif mais le bénéfice global des biocarburants en terme d'émission de gaz à effet de serre semble faible (voir Farrel et al. 2006).
Les analyses sur les filières françaises donnent des bilans énergétiques modestes, avec une production d'énergie de 30% supérieure à la consommation d'énergie fossile pour produire l'éthanol. Les bilans énergétiques des filières à partir de colza et de tournesol sont bien meilleurs, mais ces cultures à faible rendement par hectare occupent beaucoup de terre et entrent donc davantage en compétition avec les cultures alimentaires.
Les bilans énergétiques de produits tropicaux comme l'éthanol issu de canne à sucre ou l'huile de palme sont généralement très supérieurs à ceux des biocarburants européens. Cela suggère qu’en Europe, une politique réellement axée sur l'environnement viserait plus à développer l'utilisation (et donc les importations) que la production. Néanmoins, les cultures tropicales utilisées pour les biocarburants posent d'autres problèmes environnementaux, comme la déforestation liée à l'huile de palme, catastrophique en Indonésie, très inquiétante en Malaisie, et qui semble menacer l'ensemble des forêts tropicales comme le montrent des projets de plantation en Colombie. En utilisant des terres, les biocarburants risquent en outre de pousser à l'intensification de la production alimentaire, requérant plus d'engrais et d'irrigation. Globalement, les organisations écologiques comme le WWF reconnaissent l'impact ambigu des biocarburants et ne soutiennent leur développement qu'avec de fortes réserves.
L'évaluation économique nécessite de tenir compte de nombreuses interactions. Une augmentation de la production posera des problèmes de valorisation des co-produits et le seuil de rentabilité par rapport au pétrole augmentera. Les prix agricoles monteront, ce qui éloignera encore davantage les biocarburants de la rentabilité. Il y a ainsi un risque de soutenir artificiellement des investissements qui ne trouveront plus de matière première compétitive.
Les rapports passés du Conseil général des mines ont conclu que les bénéfices attendus ne justifiaient pas les coûts d'une large politique d'aide. La question mérite d'être posée à nouveau, du fait de la hausse des prix du pétrole en 2006. Les études indépendantes suggèrent que le biodiesel de colza devient compétitif à partir d'un pétrole de l'ordre de 75-80 dollars le baril (l'éthanol brésilien est lui compétitif à environ 30 dollars le baril).
À l'heure actuelle, les généreuses subventions et défiscalisations permettent aux biocarburants français d'être rentables avec un prix du pétrole très inférieur (de l'ordre de 30 dollars). Mais si ces productions se développent, se posera avec acuité le problème du financement d’un niveau d'aides aussi élevé. Se posera aussi la question de la concurrence avec les productions alimentaires : jusqu'ici les biocarburants français étaient largement produits sur des terres qui étaient laissées en jachère pour satisfaire aux obligations de la PAC. S'ils sont produits sur des terres en remplaçant des productions agricoles, l'intérêt économique global pour la société s'amenuise considérablement.
La défiscalisation actuelle valorise implicitement la tonne de CO2, dans le cas de l’utilisation de colza, à plus de 100 euros. C'est beaucoup plus que les recommandations de la Commission européenne pour le calcul public (20 euros la tonne), et c'est supérieur à la valorisation de la tonne de CO2 sur le marché des quotas, le maximum historique ayant été de 32 euros la tonne depuis la création de ce marché, alors que le cours est aujourd'hui à 17 euros sur le marché à terme à 1 an. L'exonération fiscale du bioéthanol valorise implicitement à un niveau encore plus élevé le CO2. Bref, l’argument environnemental de réduction des émissions ne justifie qu'une partie des subventions actuelles dans la mesure où les réductions d'émissions pourraient être plus fortes si les budgets de la défiscalisation étaient consacrés à d'autres actions contre l'effet de serre.
Une seconde génération de biocarburants devrait atteindre un stade industriel d’ici une dizaine d’années. Ces biocarburants seront produits à partir des mêmes cultures qu'aujourd'hui, comme les céréales, mais cette fois en valorisant la plante entière. Ils seront aussi produits avec des cultures très différentes, comme des taillis (saules, peupliers), des sous-produits agricoles, des pailles ou des déchets de bois. Non seulement les rendements énergétiques et le bilan d'émission seront bien meilleurs que pour les biocarburants actuels, mais la production pourrait prendre place dans un plus large éventail de régions agricoles et moins concurrencer les cultures alimentaires. Les coûts sont pour l’instant encore élevés et des problèmes logistiques et techniques demeurent. Néanmoins, on fonde de grands espoirs sur le génie génétique afin que des microorganismes puissent dégrader plus efficacement la cellulose et réduire substantiellement les coûts.
Les perspectives sont donc très prometteuses à terme, ce qui peut justifier des aides pour faciliter la mise en place de cette nouvelle filière. Aux Etats-Unis, où l'on s'oriente vers la production d'éthanol de seconde génération, les investissements dans l'éthanol de grain ne seront pas perdus. Mais c'est sans doute moins le cas en France où la seconde génération devrait porter sur des productions très différentes de la première.
Si les perspectives tout à fait considérables de la seconde génération justifient un soutien public aux biocarburants, il est sans doute bien plus légitime d'investir massivement dans la recherche que d'accroître les aides et la défiscalisation aux biocarburants actuels. Les Etats-Unis l'ont compris et consacrent d'ailleurs des budgets colossaux à la recherche sur la filière cellulosique.
Références
Sourie, Tréguer et Rozakis (2005)
Pimentel et Patzek (2005)
L'article de Farrel et al (2006) est paru dans Science le 27 janvier et n'est pas disponible sans abonnement, mais on peut en lire un compte rendu ici.
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