PAC : encore un effort ? edit

4 juin 2008

Les pays membres de l'Union Européenne sont engagés dans un « bilan de santé » de la Politique agricole commune, qui pourrait conduire à des ajustements. Y a-t-il besoin d'une nouvelle réforme ?

Cette révision était prévue dans le cadre de la réforme de 2003 qui précisait qu'un bilan devait être tiré du nouveau système d'aide mis en place entre 2005 et 2006. Elle s'inscrit aussi dans l'examen des dépenses communautaires dont Tony Blair fit en 2005 une condition au compromis sur le cadre financier pour la période 2007-2013. En 2002, la Commission avait profité de ce qui ne devait être qu'une simple « revue à mi-parcours » de la PAC pour proposer une réforme très ambitieuse, adoptée en grande partie en 2003. Le souvenir des protestations françaises qui accusaient la Commission d'outrepasser son mandat ont sans doute incité à nommer différemment le processus actuel, qualifié cette fois-ci de « bilan de santé ».

Ce health check a été lancé en novembre 2007 par une communication de la Commission, à laquelle ont réagi le Parlement Européen, puis le Conseil agricole. Rappelons que le Conseil, constitué des ministres des Etats membres, a tout pouvoir de décision en matière agricole dans la mesure où il peut, au final, adopter un texte sans y inclure les modifications demandées par le Parlement. Ce dernier a ainsi peu voix au chapitre sur la PAC, ce qui devrait changer après la ratification du Traité de Lisbonne.

La Commission a publié le 20 mai 2008 un projet plus détaillé, avec des propositions d'amendements des textes réglementaires. Ces propositions doivent repasser devant le Conseil et le Parlement. La Commissaire à l'agriculture espère qu'un accord sera trouvé en 2008, pour s'appliquer dès 2009. Si un accord ne peut être trouvé avant la fin du mois de novembre, l'ensemble de l'exercice serait en effet compromis. S'il est ratifié, le Traité de Lisbonne donnera au Parlement Européen pouvoir de codécision sur le futur texte dès le début 2009. Or, les élections du Parlement à la mi-2009 risquent de repousser la signature d'un texte à 2010. On serait alors trop proche de l'échéance de 2013 pour mettre en place de nouvelles dispositions.

Les dépenses agricoles sont jugées excessives par le Royaume-Uni, mais aussi par les Pays-Bas, la Suède ou la République tchèque. En 2002, à un moment crucial pour décider l'élargissement de l'UE, un accord franco-allemand s'est traduit par un engagement de maintenir l'essentiel des budgets de la PAC jusqu'en 2013. Avalisé de plus ou moins bonne grâce par les autres États-membres, cet engagement a résisté aux pressions britanniques au moment de l'établissement du cadre budgétaire pour la période 2007-2013. Ainsi les dépenses agricoles bénéficient de facto d'un bouclier jusqu'en 2013. La France, pays qui bénéficie le plus des retours budgétaires procurés par la PAC, fait valoir que sa sanctuarisation jusqu'en 2013 est un contrat moral vis-à-vis des agriculteurs qui ont besoin d'avoir un horizon fiable sur plusieurs années.

Dès 1973, le Royaume-Uni refusait de financer une PAC qui lui apportait peu de ces retours budgétaires. Il ainsi obtenu un important rabais à sa contribution au budget communautaire. Ce rabais devient aujourd'hui indéfendable car le Royaume-Uni est l'un des États-membres les plus riches. Le gouvernement britannique a néanmoins réussi à lier intimement les dossiers de la réforme des contributions, y compris son rabais, à une remise en cause de la PAC. L'échéance 2013, où seront remis sur la table l'ensemble des questions budgétaires, risque de donner lieu à de vifs débats.

Les réformes successives de la PAC ont eu des résultats positifs. Il faut se souvenir qu'en 1987, les prix intérieurs des céréales étaient de l'ordre de 2,5 fois ceux qui prévalaient sur les marchés mondiaux. La garantie de toucher ces prix élevés incitait les agriculteurs à produire des quantités importantes ; l'industrie de l'alimentation animale, n'achetait plus ces céréales européennes trop chères, mais préférait utiliser d'autres matières premières souvent importées. Bref, la PAC créait des conditions de déséquilibres structurels des marchés. Les stocks de céréales, mais aussi de poudre de lait, de beurre, et de viande bovine achetés par la puissance publique pour garantir ces prix élevés s'entassaient. S'en débarrasser mobilisait des subventions à l'exportation, qui atteignirent des budgets considérables (12 milliards d'euros par an). Celles-ci organisaient de fait la baisse des prix mondiaux ce qui conduisait à un cercle vicieux en nécessitant davantage de subventions pour exporter. Ces subventions contribuaient à déstructurer les agricultures vivrières dans les pays en développement et avivaient les tensions commerciales avec les pays exportateurs.

Les réformes de 1992 et 1999 ont mis fin à ces excès. Les aides octroyées comme compensation de la baisse des prix administrés ont un coût budgétaire très élevé, mais elles bénéficient davantage aux agriculteurs que les budgets antérieurs dévolus au stockage d'excédents ou aux subventions à l'exportation. Parallèlement, les réformes de 1999 et 2003 ont réorienté la PAC vers la rémunération de la protection de l'environnement, des espaces ruraux et l'amélioration de la qualité des produits. Ces objectifs de développement rural forment le second pilier de la PAC, par opposition au premier pilier qui regroupe les aides à la production et les soutiens au revenu.

Les réformes ont laissé subsister un certain nombre de points insatisfaisants. Les aides actuelles, compensant des réformes passées, perpétuent les soutiens donnés autrefois à la production. Beaucoup sont octroyées à des citoyens en moyenne plus riches que le contribuable qui paie ces aides, ce qui pose la question de leur légitimité. Malgré les clauses (peu contraignantes) de la réforme de 2003 pour conditionner ces aides à de bonnes pratiques environnementales, ces paiements sont loin de correspondre à une rémunération d'externalités positives ou de biens collectifs (maintien des paysages, protection de la faune, de la flore). Ces aides ne baissent pas quand les prix sont élevés : le citoyen européen est alors taxé comme contribuable et pénalisé comme consommateur dans son pouvoir d’achat. Dans ce domaine l'UE est contrainte par la discipline de l'OMC (des aides indexées sur les prix ne seraient plus considérées comme neutres), mais plus encore par ses propres procédures budgétaires internes qui imposent des dépenses prévisibles et non pas variables d'une année à l'autre.

Dans certains pays européens, vu le fonctionnement des marchés fonciers, une partie de ces aides va accroître la valeur des terres et bénéficier in fine non pas au producteur que l'on voudrait aider mais à des détenteurs d'actifs. C'est en particulier le cas de nouveaux pays membres de l'UE, où au fur et à mesure que les aides directes montent en puissance, on assiste à une forte inflation foncière.

La réorientation des budgets vers le second pilier est restée modeste du fait de l'opposition de certains pays membres. Il faut reconnaître que ce n'est pas la panacée. Il est plus difficile de gérer correctement des aides ciblées sur des mesures environnementales, dont la pertinence ne peut être que locale et qui doivent donc être fortement décentralisées, que de soutenir les prix de manière uniforme. Trop peu de suivi donnera des effets d'aubaine, mais trop de complexité et de contrôles se traduit rapidement par de la bureaucratie et des coûts de gestion.

La PAC a donc encore besoin de réformes. Dans l'absolu, il faudrait définir quel modèle souhaitent les citoyens européens et en déduire les budgets nécessaires. Le mandat donné à la Commission fait du bilan de santé un ajustement pour passer le cap de la période 2009-2013 dans le cadre d'un budget prédéterminé, plus qu’une réforme à plus long terme. Derrière les aménagements de la PAC se cachent encore beaucoup des logiques nationales, et en particulier celle qui consiste à défendre des politiques maximisant des retours budgétaires du projet européen. A ce titre, le débat sur le bilan de santé risque de n'être qu'une partie de plaisir avant l'échéance de 2013, où l'on remettra sur la table les budgets agricoles, les fonds structurels et les modalités de financement du budget communautaires. Dans ce débat, les Britanniques disposent d'une arme de poids: le rabais obtenu par Margaret Thatcher en 1984. Ils le vendront sans doute chèrement contre des concessions sur la PAC. La France a intérêt à trouver d’ici là des justifications convaincantes aux aides agricoles.