Signes religieux: Paris-Bruxelles et retour edit

7 juillet 2020

L’article que vient de consacrer Vincent Tournier, sur Telos, à l’arrêt de la Cour constitutionnelle de Belgique autorisant un établissement d’enseignement supérieur à inscrire dans son règlement intérieur l’interdiction « de tous les signes politiques, philosophiques et religieux » a évidemment une portée plus qu’informative. Il suggère qu’il pourrait en aller de même en France. Le débat, effectivement, existe depuis plusieurs années.

Le Haut Conseil à l’Intégration, en 2013, avait préconisé l’interdiction du voile à l’Université. Et le ministre de l’Intérieur de l’époque, Manuel Valls, s’était dit intéressé par la proposition, sans la reprendre, cependant, une fois devenu Premier ministre. Car, comme le souligne Vincent Tournier, les milieux universitaires, à commencer par la Conférence des présidents d’université, sont contre cette perspective en considérant qu’il n’y a nul besoin de légiférer, les universités ayant les moyens de faire face aux problèmes posés par le port des signes religieux. Mais la question demeure, portée principalement par le Rassemblement national et des personnalités politiques et intellectuelles, le plus souvent de droite, mais également de gauche. Et interrogée, l’opinion, comme le montre un sondage IFOP de 2019, se prononce majoritairement pour l’interdiction de tous les signes religieux ostensibles dans les salles de cours des universités – mais non dans leurs enceintes.

Il vaut donc la peine d’approfondir le problème. Restons, un moment, en Belgique, puisqu’elle est à l’origine de ce rebond. Remarquons, d’abord, que le cas ne concerne que la Wallonie, puisque les autorités flamandes rejettent cette position. Surtout – et c’est l’essentiel – il faut rappeler que la Belgique, à la différence de la France, ne connaît pas un régime universel de laïcité. Elle est constituée par des « piliers » de convictions religieuses et philosophique. Le « pilier » laïque n’est que l’un d’entre eux. En France, nous parlerions de « communautés ». Il est licite, en Belgique, pour un établissement d’enseignement supérieur, s’inscrivant dans le « pilier » laïque d’interdire , dans leurs règlements intérieurs , le port de signes religieux. Alors que les autres établissements ne le font pas. Est cela que nous voudrions pour notre pays? Cela serait étonnant que les milieux laïques français le souhaitent. D’autant plus que pour en arriver là, comme le marque la décision de la Cour constitutionnelle de Belgique, il faudrait passer par l’interdiction de tous les signes, politiques et philosophique comme religieux. Pour qui connaît la vie universitaire, c’est peu vraisemblable que les étudiants et les enseignants puissent l’admettre. Ils y verraient une atteint insupportable aux libertés fondamentales, dans un milieu d’adultes, et pour la plus grande part, de citoyens. La Cour Constitutionnelle de Belgique est conséquente juridiquement en englobant tous les signes, tout en indiquant que cela ne concerne que les établissements qui le veulent.

Même s’ils sont minoritaires – selon les enquêtes et les rapports effectués – des problèmes posés par le port de signes religieux existent. Ils sont évoqués presque exclusivement à propos de l’islam dans le débat public. Les pressions que des signes religieux peuvent constituer pour la population étudiante et sur les enseignants sont la question-clé. Cependant, le cadre juridique actuel pour les universités françaises offre les moyens nécessaires pour y répondre. Il est utile de citer l’article du Code de l’Education qui donne les définitions principales (art L-141-6) : « Le service public de l’enseignement supérieur est laïque et indépendant de toute emprise politique, économique, religieuse et idéologique; il tend à l’objectivité du savoir; il respecte la diversité des opinions. Il doit garantir à l’enseignement et à la recherche leurs possibilités de libre développement scientifique, créateur et critique. »

Les choses sont claires dans les principes. L’indépendance des enseignants-chercheurs doit se concilier en permanence avec le respect de la laïcité – et cela vaut pour toutes et tous ceux qui ont un charge d’enseignement, mais non pour des conférenciers invités. Ils doivent également, dans leur enseignement et dans leurs publications universitaires des règles d’objectivité scientifique. Le Conseil d’Etat, dans les années passées a condamné des enseignants qui excipant de leurs qualités universitaires ont manqué à ces obligations. Les étudiants, eux, disposent d’une liberté d’expression en ce qui concerne leurs convictions religieuses à l’intérieur des universités, dans la mesure elle ne contrevient pas aux nécessités de l’ordre et de la sécurité publics. La liberté religieuse, effectivement, n’a pas un caractère absolu. Ainsi, le Conseil d’Etat, qui établit la jurisprudence, considère illégale l’interdiction de fréquenter l’université aux étudiantes porteuses d’un foulard islamique. Mais il reconnaît la validité des règlements intérieurs, élaborés par les conseils académiques, où sont représentées les différentes parties prenantes des universités, pour juger des actes de prosélytisme, des manifestations de discrimination, de refus de participer à certains cours, de contrevenir aux règles d’hygiène et de sécurité, notamment dans les activités sportives, de l’occupation de locaux etc. En cas de non respect de ces règlements intérieurs, les universités ont les moyens d’agir, par des médiations, des rappels à l’ordre, des procédures disciplinaires.

On le voit, la situation n’amène pas à penser qu’il y a simplement un choix entre porter ou non des signes religieux (et politiques et philosophiques, à ce moment là). Le droit actuel français, qui a l’avantage de s’appliquer pour tous les établissements publics sur le territoire, permet de faire face à la plupart des situations problématiques. La réflexion, d’ailleurs, gagnerait à s’élargir pour ne pas en rester qu’aux termes d’interdiction. Car c’est le rapport entre le savoir et les traditions religieuses et philosophiques qui mériterait d’être approfondi. Les universités ont un rôle important à jouer en cette matière – elles ont commencé à le faire, mais il faudrait le conforter.