Stratégies de sortie de confinement edit

3 juin 2020

Aujourd’hui le débat sur les stratégies de déconfinement met surtout en avant des grandes options sectorielles ou géographiques (départements rouges et verts), mais assez peu les populations à protéger en priorité. Le Collège des Économistes de la Santé (CES), société savante en économie de la santé, a décidé de contribuer aux débats sur les stratégies de sortie de confinement en rappelant toute l’attention qu’il faut porter à l’interaction entre santé et marché du travail, dans une analyse globale bénéfices-risques. L’infection à Covid-19 présente des formes plus sévères chez les personnes atteintes de certaines maladies chroniques ; mais il existe aussi une interaction fine entre l’état de santé et le monde du travail. C’est cette triangulation qu’il faut avoir en tête pour définir précisément une stratégie de déconfinement rapide mais raisonnée, capable d’éviter d’autres encombrements des services hospitaliers. Notre analyse se limite pour le moment aux enjeux sanitaires de court terme des différentes options du déconfinement en France.

Notre position peut être résumée en trois constats et quatre recommandations.

Constat 1 : avec le déconfinement, il est question de gérer le risque sanitaire pas de l’éliminer

Le risque lié à l’infection au Covid-19 est durablement installé. Les études épidémiologiques montrent que l’immunité de groupe est très loin d’être atteinte sur l’ensemble du territoire (Salje et al, 2020). Le virus va donc continuer à circuler et le risque de rebond épidémique rester très important. Le confinement a permis de réduire la transmission interhumaine du virus ; la politique du moindre risque sanitaire supposerait de le maintenir, voire de le renforcer. Sortir du confinement, c’est assumer pleinement les risques liés à la réactivation de la circulation du virus.

Constat 2 : Les coûts économiques mais aussi sanitaires d’un confinement prolongé sont très élevés

Les prévisions à la mi-avril de la Banque de France sur l’activité économique et le déficit des administrations publiques sur l’année 2020 sont très préoccupants (-8% pour le PIB et 9% de déficit budgétaire). L’allongement de la durée du confinement renforce la probabilité d’une crise profonde et durable, qui risquerait d’avoir des effets délétères additionnels. Le confinement a également un impact sanitaire direct sur la santé des populations. Il affecte le bien-être, la santé physique et mentale et génère des comportements à risque pour les populations confinées (Qiu et al, 2020) et du renoncement aux soins. Il modifie également le rapport au travail avec des effets potentiels néfastes sur la santé.

Constat 3 : Les formes graves de la maladie sont concentrées sur des sous-populations identifiées

La littérature internationale s’accorde sur un ensemble de facteurs de risque associés aux formes graves d’infection au Covid-19 nécessitant une hospitalisation en réanimation. L’âge est un facteur de risque majeur, car, au-delà de son effet intrinsèque important, il est associé à la présence de comorbidités de plus en plus nombreuses notamment au-delà de 65 ans. La majorité des patients atteints de formes graves à l’infection au Covid-19 présentent au moins une comorbidité (Grasselli et al., 2020). L’hypertension, les maladies cardiovasculaires, le diabète, les maladies respiratoires, l’hypercholestérolémie et l’obésité sévère, apparaissent parmi les facteurs de risque de sévérité de l’infection les plus élevés (Grasselli et al., 2020 ; Guan, 2020 ; Simonnet et al., 2020 ; Yang et al., 2020). Les premiers résultats publiés par Santé publique France (avril 2020) confirment que 67% des cas présentant une forme grave de Covid-19 avaient une comorbidité et que les comorbidités sont un facteur de risque majeur, y compris chez les plus jeunes.  

Il découle quatre orientations de ces différents constats :

Orientation 1 : Oui, il fallait déconfiner vite 

Il n’aurait été souhaitable de différer la date de sortie de confinement, par exemple dans certaines régions, que si le taux d’occupation des lits de soins intensifs et de réanimation n’avait pas régulièrement baissé. Chaque jour de confinement supplémentaire génère des coûts économiques et sanitaires indirects plus importants que le précédent. 

Orientation 2 : Protéger les populations à risque 

La priorité est d’organiser la protection des populations à risque susceptibles d’une forme grave de la maladie qu’elles soient en emploi ou inactives. Pour les personnes à risque qui ne travaillent pas, la restriction des contacts doit être privilégiée. Lorsque le télétravail n’est pas possible, un droit de retrait doit être organisé pour les travailleurs souffrant de comorbidités à risque et devant se rendre sur leur lieu de travail. Il faut également s’assurer que la divulgation de problèmes de santé ne soit pas source de discrimination ultérieure dans le monde du travail. Des ressources importantes doivent être consacrées au dépistage des personnes symptomatiques et de leurs contacts puis à leur isolement. Au regard des projections épidémiologiques, il s’agit là d’un des moyens essentiels avec le maintien de règles de distanciation sociale pour réduire l’ampleur du rebond épidémique au déconfinement. Le rendement d’un tel investissement est élevé.

Orientation 3 : Reprise générale de l’ensemble des secteurs d’activité

L’objectif est une reprise générale de l’ensemble des secteurs d’activité. Limiter l’ouverture à certains secteurs d’activité réduit plus que proportionnellement le bénéfice économique d’une sortie de confinement. Seuls certains secteurs propagateurs de l’épidémie sont à considérer différemment (loisirs et spectacles, lieux de rassemblements) . La réouverture progressive des écoles et des transports en commun doit être organisée, tout en respectant des mesures sanitaires de protection, pour faciliter le retour en emploi et la reprise de l’activité économique.

Orientation 4 : Le rôle du milieu professionnel dans la lutte contre le Covid

La réduction des contacts (télétravail, distanciation sociale sur le lieu de travail et dans la vie courante) doit être renforcée dans la limite de son impact sur la productivité du travail et la viabilité des entreprises. Tout dispositif permettant de ralentir la circulation du virus doit être déployé, dans la mesure où il ne remet pas en question de manière majeure la productivité du travail. Il passe en priorité par une réorganisation complète de l’entreprise tant au niveau des schémas de circulation, de la disposition des postes de travail, des lieux de restauration et de pauses, des mesures de distanciation sociale et d’hygiène au sein de l’entreprise. Par ailleurs, on peut envisager de proposer l’accès à un dépistage régulier sur le lieu de travail des personnes particulièrement exposées aux contacts avec du public, des patients ou des clients.

Notre message, développé dans une note de synthèse, est donc de favoriser une reprise rapide de l’activité économique, tout en garantissant une protection maximale des populations exposées au risque de formes sévères du Covid-19. Nous mettons en exergue dans nos contributions disponibles sur le site web du CES : l’identification fine des populations à risque dans une acception plus large que les affections de longue durée (ALD) ; les interactions malignes entre la défavorisation sociale et la maladie ; entre la situation d’emploi et la santé ; mais également, au plan macroéconomique, l’interaction entre crise économique et santé. Le Covid-19 stimulera vraisemblablement ces interactions malignes. Nous présentons également les estimations disponibles sur les effets sanitaires du confinement, une revue des politiques étrangères en matière de confinement et des éléments sur l’acceptabilité du confinement du confinement ainsi les perceptions individuelles quant aux modalités de sortie du confinement.

Une évaluation macroéconomique complémentaire sera bientôt disponible, permettant d’évaluer différents scénarios de déconfinement, en tenant compte de la prévalence des maladies chroniques chez les actifs occupés.

Références

Grasselli G., Zangrillo A., Zanella A., et al., “Baseline Characteristics and Outcomes of 1591 Patients Infected With SARS-CoV-2 Admitted to ICUs of the Lombardy Region, Italy”, JAMA, published online April 6, 2020. doi:10.1001/jama.2020.5394.

Qiu J, Shen B, Zhao M, et al. A nationwide survey of psychological distress among Chinese people in the COVID-19 epidemic: implications and policy recommendations. General Psychiatry2020;33:e100213. doi:10.1136/gpsych-2020-100213

Guan W., NI Z., Yu Hu (2020), “Clinical Characteristics of Coronavirus Disease 2019 in China”, The New England Journal of Medicine, February 28, 2020 and last updated March 6, 2020.

Salje H, Tran Kiem C, Lefrancq N, Courtejoie N, Bosseti P, Paireau J, Andronico A , Hoze N, Ricet CL et al (2020), Estimating the burden of SARS-CoV-2 in France, https://doi.org/10.1101/2020.04.20.20072413.

Simonnet A., Chetboun M., Poissy J., et al. (2020), « High prevalence of obesity in seveare acute respiratory syndrome coronavirus-2 (SARS-CoV-2) requiring invasive mechanical ventilation”, Obesity, April 9, 2020, doi: 10.1002/oby.22831.

Yang J. (2020), “Prevalence of comorbidities and its effects in patients infected with SARS-CoV-2: a systematic review and meta-analysis”, International Journal of  Infectious Diseases, 94 : 91_95.

 

Une note de synthèse datée du 27 avril est disponible. Plusieurs annexes sont également disponibles et traitent spécifiquement des questions suivantes : l’Acceptabilité du confinement en population et perception quant aux modalités de sortie du confinement, Comment le confinement lié au COVID-19 affecte indirectement l’état de santé de la population, la Synthèse des modèles de prédiction de sorties de confinement en raison du Covid-19, les liens entre crise économique et santé, les populations fragiles à risque de formes graves de Covid-19 et en emploi et les scénarios de sortie de confinement en Europe et dans d’autres pays.

Ce travail est collectif, en partenariat avec l’Irdes, l’Université Paris-Dauphine (et l’équipe de l’enquête SHARE) et le service de documentation de la Haute autorité de santé (HAS). Parmi les membres du CES : Thomas Barnay, Julia Bonastre, Benoît Dervaux, Bruno Detournay, Florence Jusot, Pierre Levy, Sandy Tubeuf, Bruno Ventelou et Jérôme Wittwer ont contribué à l’élaboration de la note. Sur les aspects épidémiologiques les travaux ont bénéficié du précieux travail de revue de littérature de Louise Baschet, Sandrine Bourguignon, Sophie Larrieu, Magali Lemaitre, Sandy Leproust ainsi que des échanges nombreux avec Henri Leleu. Louis Arnault et Thomas Renaud de l'université Paris-Dauphine ainsi que Thierry Rochereau de l'IRDES ont contribué aux analyses sur les populations à risques de développer une forme grave de l'infection au Covid-19. Ces travaux doivent également beaucoup à Isabelle Bongiovanni et au service de documentation de la HAS ainsi qu'à Catherine Rumeau-Pichon.